La direction du Canadien n'a surpris personne en nommant Brian Gionta capitaine, le mois dernier. Depuis son arrivée à Montréal, le petit ailier s'est signalé par son éthique de travail irréprochable. Un trait de caractère qui trouve sa source dans l'enfance de cet homme discret, pour qui la famille passe avant tout.

C'est une histoire qu'ont vécue des milliers de familles aux États-Unis.

Celle d'une première génération qui se déracine pour refaire sa vie en Amérique. De ses enfants, nés en sol américain, qui grandissent en valorisant le travail et le sacrifice. Et des générations suivantes, qui n'oublient jamais que rien n'est acquis dans la vie.

Cette histoire, c'est aussi celle de Brian Gionta, dont les grands-parents ont émigré d'Italie pour s'établir dans l'État de New York.

«Ma grand-mère était toute jeune quand elle est arrivée au pays, raconte Gionta. Mes grands-parents parlent évidemment l'italien, mais ils se sont immergés dans la culture américaine, si bien que la langue d'origine ne s'est pas transmise par la suite.»

Ce qui s'est transmis, par contre, c'est le sens de l'abnégation.

Gionta a grandi en voyant son père Sam travailler sans relâche, faisant appel à la collaboration de ses enfants, l'été, pour lui donner un coup de main à la quincaillerie.

«On aidait à remplir les tablettes, on réparait les fenêtres ou les moustiquaires, on faisait le ménage, se souvient Gionta. Et lorsqu'on est devenus plus vieux, on a pu travailler avec la caisse enregistreuse.

«Ce n'est pas facile d'exploiter sa propre entreprise. Ce sont de longues heures et c'est beaucoup de stress. Si l'argent ne rentre pas, ça se répercute sur toute la famille. On l'aidait pour que la famille ne se retrouve jamais en mauvaise position.

«Un père est toujours plus exigeant à l'égard de son fils que de ses autres employés, et le nôtre l'était certainement plus envers nous.»

Gionta n'avait que 4 ou 5 ans lorsque sa mère Penny lui a enfilé des patins pour la première fois.

Bien vite, il a rêvé de devenir Pat LaFontaine, son idole chez les Sabres de Buffalo.

«C'était un attaquant de plus petite stature qui lançait de la droite, se rappelle-t-il. Je m'identifiais beaucoup à lui et j'adorais son style de jeu.»

Sam Gionta, lui, ne savait pas patiner. Ce n'est pas lui qui a développé le lancer de son fils, ou son flair autour du filet. Mais l'énergie que déploie sur la glace le capitaine du Tricolore vient assurément d'un rayon de la quincaillerie...

«Mon père a implanté dans la famille une éthique de travail, une manière de nous dire: voici la façon dont les choses sont faites, explique Gionta. Et par la suite, ça s'est transposé dans le hockey, où le fait d'être plus petit faisait en sorte que rien ne m'était jamais donné.

«Il fallait que je travaille.»

Capitaine dès l'université

Dans le hockey d'avant le lock-out, les perspectives d'avenir n'étaient pas glorieuses pour les joueurs de 5'7. On peut comprendre ce réflexe de sécurité, de responsabilité, qui a mené Gionta sur les bancs du Boston College.

«J'ai toujours voulu recevoir une bonne éducation et m'assurer de décrocher un bon emploi si jamais ça ne fonctionnait pas dans le hockey, affirme l'attaquant de 31 ans. Car je n'avais aucune garantie que j'arriverais à faire carrière dans la LNH.

«J'ai adoré chaque minute passée à l'université», ajoute-t-il.

On le croit aisément: Gionta a établi le record de points dans l'histoire des Eagles (232), il a mené l'équipe à quatre participations consécutives au tournoi Frozen Four, et a été mis en nomination à trois reprises pour le trophée Hobey Baker remis au meilleur joueur universitaire américain.

Il a aussi été capitaine des Eagles à sa dernière année là-bas.

«J'avais 22 ans lors de mon premier camp professionnel chez les Devils, rappelle Gionta. Les quatre années passées à l'université m'avaient permis de mûrir physiquement. J'étais prêt à affronter les rigueurs de la LNH car j'étais plus fort et plus apte à recevoir des coups.

«Je ne pense pas que j'aurais été capable d'y faire face à l'âge de 18 ans...»

Du respect à l'admiration

Tout au long de son séjour dans la NCAA, Gionta a également représenté les États-Unis sur la scène internationale. C'est d'ailleurs au camp d'entraînement de l'équipe américaine en vue des Mondiaux de 2000, disputés en Russie, qu'il s'est lié d'amitié avec Hal Gill.

«Je suis originaire de Boston et je jouais alors pour les Bruins, raconte le grand défenseur du Canadien. Il était normal que j'accueille un gars du Boston College avec respect!»

Mais ce respect s'est vite transformé en admiration.

«Ma première réaction a été de me demander comment un gars aussi petit pourrait survivre au milieu de gars de la LNH, poursuit Gill. Les réponses sont venues rapidement. Car dès les premiers entraînements, j'ai été impressionné par sa fougue.

«Je me souviens très bien d'avoir tenté de profiter de ma taille pour le garder loin de notre filet. Non seulement résistait-il à mes assauts, mais il trouvait le moyen de se rendre au filet.

«À Saint-Pétersbourg, lors d'un match contre la Slovaquie, Zdeno Chara avait vraiment tenté de lui arracher la tête. Gio n'avait jamais reculé. Il avait même trouvé le moyen de marquer. Cette combativité est son principal trait de caractère selon moi. Et c'est ce qui lui a permis de se bâtir une réputation aussi enviable autour de la LNH.»

Gill avoue être motivé par le même genre de défi qui a toujours incité Gionta à se surpasser.

«Brian doit faire mentir ceux qui ont toujours dit et cru qu'il était trop petit pour atteindre la LNH. Faire mentir, ou mieux, faire taire ses détracteurs est souvent une source extraordinaire de motivation.»

Gill, dont le talent a souvent été mis en doute, en sait quelque chose...

La famille avant tout

Brian Gionta est souvent décrit comme un homme de famille. L'expression suggère la simplicité et laisse deviner que si Montréal est «une ville où l'on peut perdre son âme», comme le disait Felipe Alou, ça ne risque pas d'arriver à Gionta.

«Le hockey est ma passion, mon travail, mon style de vie et tout ce que je voulais avoir. Mais rien ne se compare à ce que m'apporte la famille. Mes deux enfants sont ma plus grande joie.

«J'essaie de faire tout ce que je peux pour qu'on ait du plaisir ensemble et pour être le plus présent possible pour eux. Mon but ultime dans la vie est de m'assurer que mes enfants apprennent les bonnes valeurs, les bonnes leçons.

«Certains diront que je mène une vie ennuyante, mais moi j'aime rentrer à la maison et passer du temps en famille, même lorsque je suis fatigué ou que les choses ne vont pas bien au point de vue hockey.»

Avec le «C» sur son chandail et quatre autres saisons garanties à Montréal, Gionta serait en position de bien monnayer sa notoriété. Mais il a choisi autre chose.

«J'essaie de ne pas faire trop d'activités en dehors de la patinoire, comme être porte-parole pour des produits. Car je valorise plus le temps que je passe à la maison que les avantages que je pourrais soutirer de ce genre de représentation.»

Une vie ennuyante, diront certains. Une vie exemplaire, diront les autres.

Mais cet exemple, c'est celui qui lui a été enseigné.

Et celui qui définit aujourd'hui son leadership.

Photo: François Roy, La Presse