Même si un nombre grandissant de femmes s'intéressent au hockey, elles sont toujours très peu nombreuses à couvrir notre sport national. Quel bilan peut-on tracer de leur percée dans le domaine au cours des dernières décennies et quelles sont leurs perspectives d'avenir? La Presse a interviewé quelques pionnières et des vedettes montantes du milieu pour faire le point.

Les statistiques sont étonnantes: 40% de l'auditoire des matchs du Canadien au Réseau des sports (RDS) est féminin, affirme cette station de télévision sportive québécoise. Ce taux grimperait même à 50% pendant les séries éliminatoires de hockey.

Pourtant, peu de femmes occupent le paysage médiatique francophone dans l'univers du hockey au Québec.

Chantal Machabée, de RDS, tient le fort avec brio depuis 1989; Évelyne Audet a percé cet univers pendant un certain temps l'hiver dernier à L'attaque à cinq, sur les ondes de V, jusqu'à ce qu'on retire l'émission des ondes au printemps; Diane Sauvé, Jacinthe Taillon et Marie Malchelosse font quelques visites occasionnelles au Centre Bell pour la SRC. Sinon, presque rien.

La situation est fort différente aux États-Unis et au Canada anglais. Sherry Ross est analyste à la radio des Devils du New Jersey, un poste semblable à celui de Dany Dubé à CKAC. Christine Simpson a longtemps travaillé pour le réseau Versus, Cassie Campbell est toujours à CBC. Charissa Thompson est l'intervieweuse officielle aux matchs des Kings de Los Angeles sur Versus. Erin Andrews est passée du Lightning de Tampa Bay à ESPN; Rachel Nichols des Capitals de Washington à ESPN également. Et on ne parle pas de toutes les lectrices de nouvelles à TSN et à Sportsnet, non plus que d'Andie Bennett et Sonali Karnick, reporters à Team 990 et CBC Radio, respectivement.

Aucune Québécoise francophone n'est affectée à la couverture du hockey dans les médias écrits. À La Presse, Stéphanie Morin a couvert la Formule 1, entre autres, et Sophie Allard la boxe, mais pas notre sport national.

Aux États-Unis, par contre, l'éternelle Helene Elliott suit toujours les Kings et les Ducks d'Anaheim pour le Los Angeles Times; Nancy Marrapese-Burrell et Karen Guregian ont toutes deux été affectées à la couverture des Bruins de Boston pour le Boston Globe avant de devenir chroniqueuses; Katie Carrera suit Alexander Ovechkin et compagnie pour le Washington Post; Rosie DiManno est chroniqueuse pour le Toronto Star.

On ne peut évidemment comparer les marchés du Québec et celui des États-Unis ou même du reste du Canada. Il n'empêche que les femmes sont peu représentées compte tenu de leur intérêt grandissant pour le hockey.

«J'aurais pu, mais j'avais l'impression qu'il m'aurait fallu être une encyclopédie sportive pour être prise au sérieux, répond Stéphanie Morin, de La Presse. J'ai quand même fait quelques matchs, des voyages avec l'équipe, recueilli des commentaires dans des vestiaires où il n'y avait pas de place pour se changer ailleurs que dans ma face.

«Je crois aussi que ça prend une carapace en acier trempé pour couvrir le Canadien sur une base régulière, poursuit-elle. Les partisans sont tellement émotifs et engagés qu'il faut être prêt à défendre ses écrits et ses idées sur toutes les tribunes et à tous les jours. C'est heavy. J'ai couvert la F1, le football et le soccer, mais le hockey, on est vraiment plongé sous les réflecteurs.»

Danielle Rainville a animé une tribune téléphonique de sports à CKAC de 1984 à 1994, au coeur de la rivalité entre le Canadien et les Nordiques. Pierre Bouchard et elle menaient une lutte acharnée dans la guerre aux cotes d'écoute à Mario Tremblay, à CJMS, et à Tom Lapointe, à CKVL.

Elle a ensuite touché à la télévision généraliste avant de prendre une pause pour élever ses enfants. Aucune femme ne lui a jamais succédé au cours des 15 dernières années.

«Je suis convaincue que des femmes sont intéressées, mais sont-elles assez passionnées, ont-elles le caractère, la fougue et l'énergie pour faire le travail? Je n'avais pas le droit de me tromper sur la prononciation d'un nom ou sur une date. À mes premières années à Québec, les gens m'appelaient pour me poser des colles. Si je n'avais pas la réponse au but près, j'étais nulle. J'ai l'impression que ça n'a pas beaucoup changé. Du moins, quand j'ai refait l'émission La zone, j'ai senti que c'était du pareil au même. Celle qui empruntera cette avenue aura besoin d'une force de caractère et d'une colonne vertébrale aussi solides qu'il y a 20 ans.»

Il faut aussi admettre que les ouvertures semblent rares pour les femmes.

«On ne peut pas dire que ça a évolué rapidement depuis 25 ans, concède Chantal Machabée. Les anglophones sont plus ouverts à ça. Mais il y a eu la mode des «journalistes-mannequins» qui nous a nui. Elles ont été embauchées pour les mauvaises raisons et elles ne connaissaient pas tellement leur sport. Les patrons ont peut-être été plus craintifs par la suite. On peut facilement avoir l'air fou dans ce métier. Il faut suivre ça sept jours par semaine, même si on allaite, même si on accouche. Quand j'ai eu mon premier enfant, les Expos étaient dans la course au championnat et j'ai dit à mon médecin de se dépêcher parce que je voulais la télé dans ma chambre à 7h pour voir le match!»

Chantal Machabée a vécu des joies et des frustrations au fil des années.

«Ça a pris 13 ans avant que je travaille pour les matchs du Canadien. Je faisais l'après-match et les entrevues dans les entractes. Joël Bouchard fait désormais les interviews pendant les entractes. Ça fait mal. Je le respecte, il est archi-compétent, je n'ai pas de problème avec ça, mais c'est une marche de plus à monter pour nous autres. J'anime maintenant L'antichambre le samedi, c'est quand même un show de boys et peu de femmes animent un talk-show de sports. C'est une belle marque de confiance. Mais j'ai vu beaucoup de gars passer devant moi et ça va continuer. Quand elle est entourée d'anciens joueurs qui connaissent leur sport sur le bout des doigts, la fille doit être pas mal compétente parce que les réseaux ne veulent pas faire rire d'eux. Déjà qu'ils se font critiquer sur le travail des gars. Une femme est tellement plus facile à démolir. On peut s'attaquer à son look, lancer des rumeurs à son sujet. Mais en ce moment, je ne suis pas convaincue qu'il y en a tant que ça qui peuvent faire le boulot.»

Le vice-président à l'information à RDS, Charles Perreault, est ouvert à l'embauche des femmes, à condition qu'elles apportent une valeur ajoutée.

«Nous en rencontrons plusieurs au cours des stages que nous mettons sur pied et elles sont intéressées par le métier, mais elles n'ont généralement pas les connaissances pour continuer. On aimerait avoir une bonne représentation de la société, mais on ne mettra pas une femme à l'écran parce qu'il faut en placer une. Elle devra apporter une complémentarité à ce que nous avons déjà. Mario Tremblay vient d'être embauché. Il a été joueur et il a dirigé des équipes de la LNH. Joël Bouchard est un ancien joueur. Est-ce qu'on peut trouver un pendant féminin à Mario ou à Joël?»

Ce n'est sans doute pas demain la veille, en effet. Mais à quand un pendant féminin à Renaud, Luc ou Félix?

Photo: André Pichette, La Presse

Danielle Rainville a animé une tribune téléphonique de sports à CKAC de 1984 à 1994. Elle a ensuite touché à la télévision généraliste avant de prendre une pause pour élever ses enfants.