Promis à une grande carrière, Benoit Pouliot tarde à devenir le hockeyeur qu'on voyait en lui. Histoire d'un jeune homme qui a traversé bien des épreuves, qui refuse de s'en faire avec la vie... et qui déteste la Saint-Valentin.

Une demi-heure s'est écoulée depuis que Benoit Pouliot a commencé à parler de sa carrière. Une carrière qui tarde à se mettre en marche si on compare ses succès mitigés aux triomphes de Sidney Crosby, Bobby Ryan et Jack Johnson, les trois seuls joueurs choisis avant lui lors du repêchage de 2005.

Même Carey Price, sélectionné par le Canadien tout juste après que le Wild du Minnesota eut misé sur Pouliot, a devancé, et largement, le Franco-Ontarien dans la course aux succès dans la LNH.

Plusieurs fois déjà au cours de cette demi-heure, Pouliot a esquissé de petits sourires agacés lorsqu'il se retrouvait victime au jeu des comparaisons. Car Price n'est pas seul devant. Les Anze Kopitar, Paul Stastny, Kristopher Letang, Devin Setoguchi, T.J. Oshie, James Neal et autres surdoués de la classe de 2005 ont semé l'ailier du Canadien, qui n'a disputé que 164 matchs en un peu moins de cinq saisons dans la LNH.

Pour s'extirper des griffes de ces comparaisons dont il ne peut sortir gagnant, Pouliot a insisté plusieurs fois sur l'amour qu'il voue au hockey. Il a mis l'accent sur son désir de gagner, de marquer des buts pour aider la cause de son équipe et de satisfaire des partisans qui le comblent de compliments quand ils le croisent dans la rue, mais qui, dans l'anonymat des gradins ou des tribunes téléphoniques, ne se gênent pas pour le critiquer.

Comment alors expliquer cette désinvolture qui frise l'indifférence quand il ne marque pas, qu'il est confiné au banc ou à la galerie de presse?

«Parce que je suis comme ça. C'est ma personnalité. Je garde tout en dedans et je refuse de me laisser abattre par les critiques ou de me faire du mauvais sang avec ce qui va mal dans ma vie, comme au hockey», lâche Pouliot d'un trait, mais sans la moindre agressivité.

Une épitaphe sur le bras

En complétant sa réponse, Pouliot étire les bras devant lui sur la grosse table de granit derrière laquelle il est assis. Les cheveux lissés, vêtu comme une carte de mode, Pouliot porte une chemise ample aux poignets qui laisse entrevoir la pointe d'un tatouage impressionnant sur son avant-bras droit.

Lorsque Pouliot réalise l'attention accordée à ce qu'il cache sous sa manche, il relève lentement celle-ci.

Deux choses sautent aux yeux. L'allure austère du dessin tracé à l'encre noire. Et la date: le 14 février 2004.

Pourquoi écrire la date de la Saint-Valentin en noir alors que le pourpre est depuis toujours associé à cette journée?

«Ça n'a rien à voir avec la Saint-Valentin. Je déteste d'ailleurs la Saint-Valentin et je ne serai jamais capable de l'aimer parce que Dad est mort le 14 février 2004», explique bien candidement Pouliot.

Fidèle à ses origines franco-ontariennes, Benoit Pouliot parle de «Dad» quand il est question de son père. Jamais au cours de l'entretien qui s'est prolongé pendant une bonne heure ne l'avait-il appelé par son prénom lorsque La Presse lui a finalement posé la question.

«Il s'appelait Sylvain, mais son vrai nom, c'était Dad. C'était comme ça chez nous», assure Pouliot.

Et ce l'est encore. Car si Sylvain Pouliot est décédé prématurément au terme d'un long et courageux combat contre la leucémie, Dad est toujours présent dans le coeur et la tête de son fils Benoit. Et sur son bras par le biais de ce tatouage qui tient lieu d'épitaphe.

«Mes frères - David, l'aîné âgé de 26 ans, et Hugo le petit dernier âgé de 22 ans - ont un tatouage comme le mien. C'est notre façon de nous souvenir de lui et d'appuyer «Mom» qui a dû travailler très fort pour nous aider à traverser ce qu'on a traversé quand Dad est parti.»

Mom, c'est Diane. Une belle blonde qui a puisé on ne sait où l'énergie nécessaire pour voyager aux quatre coins de l'Ontario afin d'assister à tous les matchs, ou presque, que le jeune Benoit disputait avec ses coéquipiers des Wolves de Sudbury, dans la Ligue de hockey de l'Ontario.

Le jeune homme avait besoin de cet appui.

«Dad était déjà malade lorsque j'ai été repêché dans le junior. Je ne savais pas quoi faire. C'est lui qui m'a poussé à y aller. Le hockey, c'était ma vie. Mais c'était la sienne aussi», explique Pouliot.

Une mort qui explique bien des choses

Sylvain Pouliot n'aura finalement jamais vu son fils évoluer dans les rangs juniors, où Benoit a vite fait parler de lui. Ses 64 buts et 132 points en 118 matchs répartis sur deux saisons ont ouvert la porte de la LNH au jeune homme qui portait alors le chandail numéro 67. Pourquoi le 67? «J'avais deux idoles: Mario Lemieux et Jaromir Jagr. En adoptant le 67, c'est comme si je me disais que j'évoluais entre les deux. J'ai toujours eu ce numéro. Mais à Montréal, il était pris (Max Pacioretty) et je n'ai jamais osé lui demander», explique Pouliot qui a toujours occupé la position de centre avant de faire le saut dans la LNH.

Malgré ses exploits sur la patinoire, le jeune homme transportait un deuil bien plus lourd que son sac d'équipement. Débarqué dans le Nord de l'Ontario où il ne connaissait personne, il avait des plaies à panser. Des plaies émotives. Des plaies vives qui l'ont entraîné sur des sentiers tortueux. «J'ai trouvé ça très dur par moment d'être loin de la maison, de Mom, de mes frères, de mes amis et d'avoir à vivre le deuil que je vivais. C'est vrai que j'ai été pas mal mêlé par moments. J'ai fait des gaffes de jeunesse», convient Pouliot, sans élaborer.

Mais l'appui de sa famille, de ses amis proches et de la famille d'accueil qui l'a hébergé à Sudbury - Léo et Lise Frappier, dont le fils et la fille avaient l'âge de Pouliot - l'ont aidé à se sortir du désarroi. «Tous ces chambardements émotifs ont fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Les années qui ont suivi la mort de Dad m'ont fait réaliser bien des choses. Je crois que c'est pour ça que je refuse de trop m'en faire et que je prends tout ce qui m'arrive avec du recul. Je n'ai qu'un secondaire 5, mais l'école de la vie m'a forcé à apprendre bien des choses. Ça n'a pas toujours été facile, mais ça me sert aujourd'hui.»

Dans la fleur de l'âge

À 24 ans, Benoit Pouliot sait qu'il est temps pour le hockeyeur de répondre aux attentes.

«On m'a beaucoup critiqué au Minnesota, mais je n'ai jamais eu une vraie chance. Je l'ai à Montréal. C'est sûr que j'aimerais jouer plus souvent, d'avoir une chance sur les premiers trios et obtenir des présences en attaque massive aussi. Mais depuis que Dave (David Desharnais) est arrivé et qu'on me fait jouer avec lui, je ne peux pas me plaindre.»

Si le hockeyeur entre dans la fleur de l'âge à 24 ans, le jeune homme qui se cache sous l'équipement commence à peine sa vie. Une vie qu'il partage entre sa famille, sa compagne et ses amis.

Pouliot s'est lié d'amitié avec Scott Gomez l'an dernier à leur première saison avec le Canadien. «Nous sommes pas mal semblables dans notre façon d'aborder le hockey et la vie. J'avais un bon allié. Mais j'ai deux amis d'enfance - Charles et Dominique Lamarque - qui sont à mes côtés depuis toujours. Ils font le voyage d'Alfred pour assister à tous les matchs au Centre Bell. Quand je traverse des passes plus difficiles, je n'ai pas besoin de les appeler. Quand j'ouvre mon cellulaire, ils m'ont déjà «texté» pour savoir ce qui ne va pas», révèle Pouliot avec un brin de fierté.

Et les enfants?

«Ça va venir. C'est certain. La famille, c'est très important pour moi. Un père c'est essentiel. J'ai perdu le mien trop vite, trop jeune. Mais je veux avoir la chance de donner à un enfant ce que j'ai reçu du mien. Un jour, ce sera moi Dad! J'ai hâte et je vais tout faire pour être aussi bon qu'il l'a été avec moi.»