De nombreux romans québécois évoquent le hockey, parfois de façon centrale, souvent de façon accessoire. Mais même si nous entretenons une relation viscérale avec «notre» sport, on doit admettre que LE grand roman de hockey reste à être écrit.

C'est du moins ce que pense Benoît Melançon, auteur de l'essai Les yeux de Maurice Richard et directeur du Département des littératures de langue française à l'Université de Montréal.

«Quand on demande aux gens quel est le meilleur livre de hockey, ils ne nomment pas un roman, ils citent souvent The Game de Ken Dryden, souligne M. Melançon.

«Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir essayé...»

Aux États-Unis, Philip Roth a utilisé le baseball comme point de départ pour parler de la civilisation américaine dans le chef-d'oeuvre The Great American Novel.

Mais chez nous, aucun roman n'a vraiment réussi à utiliser le hockey pour parler de quelque chose de plus grand.

«Le problème avec les textes littéraires portant sur le hockey, c'est qu'on est trop souvent dans des cadres attendus, on est rarement surpris», estime Benoît Melançon, qui ne cache cependant pas son affection pour Des histoires d'hiver, de Marc Robitaille.

«Or, le vrai romancier doit sortir des lieux communs et nous faire découvrir ce que l'on n'avait pas vu sur le sport.»

C'est peut-être Le Chandail de hockey, de Roch Carrier, qui est le plus près d'un texte consacré. Ce conte est suffisamment estimé, en tout cas, pour qu'un extrait apparaisse sur les billets de cinq dollars.

«Il y a eu des textes évoquant le hockey dans tous les genres - le conte, la pièce de théâtre, le poème... - mais malheureusement, les plus forts sont souvent en anglais, déplore M. Melançon. Je pense entre autres au poème fabuleux d'Al Purdy qui associe Maurice Richard à la vie dans les manufactures.

«Il y a aussi de très bons romans, comme The Last Season, de Roy MacGregor, qui raconte la carrière d'un batailleur.»

Mais chez les anglos non plus, aucun roman sur le hockey n'atteint l'envergure des grandes fresques américaines.

Le pouvoir de l'Émeute

C'est avec l'arrivée de Maurice Richard, et surtout l'Émeute de 1955, que les romanciers d'ici ont trouvé dans le hockey une source d'inspiration. Le Rocket comme «défenseur de la nation», tel que l'écrit Jacques Poulin dans Le Coeur de la baleine bleue (1970), est presque devenu une obsession chez les auteurs ayant effleuré le hockey.

«En 1956, l'année suivant l'Émeute, Eugène Cloutier (dans Les Inutiles) parle déjà du Rocket comme d'un mythe, note Benoît Melançon. Trois ans plus tard, Pierre Gélinas publie Les Vivants, les morts et les autres, un roman très réaliste où il parle du Parti Communiste et des grèves ouvrières, et où l'Émeute est traitée comme un événement sociopolitique.

«Même en 2006, dans le roman familial de Jean-François Chassay (Les Taches solaires), l'Émeute est décrite comme le moment déterminant dans la famille.»

Le thème de l'identité revient constamment en littérature québécoise et dans cet esprit, Maurice Richard est une source inépuisable d'identification au héros canadien-français.

Une aura disparue

Le Rocket n'a pas été la seule vedette à faire vibrer le Québec. Pourtant, Guy Lafleur n'a jamais alimenté les oeuvres littéraires! «Après Maurice Richard, l'identification ne sera plus possible car l'argent commence à prendre de la place. Les gens savent que Guy Lafleur gagne beaucoup plus qu'eux, ça crée une distance», explique M. Melançon.

«Mais ce qui rend aussi le hockey moins intéressant pour les romanciers, c'est la dimension médiatique. On sait tout de Guy Lafleur: on sait quelle auto il conduit, on sait qu'il écrit des poèmes, on sait depuis ses années pee-wee qu'il deviendra une grande vedette... Bref, il n'y a plus cette aura de mystère. Et c'est encore pire aujourd'hui.»

Il est vrai que de nos jours, l'omniprésence des médias dans le hockey laisse peu d'espace pour le lyrisme.

Sans compter qu'un romancier peinerait à écrire à partir des «succès» du Canadien!

«C'est peut-être moins la qualité sportive de l'équipe d'aujourd'hui que l'absence d'un événement catalyseur qu'on n'arrive pas à trouver, précise Melançon.

«L'Émeute Maurice Richard donnait aux romanciers un bon matériau avec lequel travailler. Il se passait quelque chose sur la glace comme en dehors qui permettait de sortir du monde sportif pour aller dans le social. Il n'y a pas ce genre d'événement en ce moment.»

Entre nostalgie et dérision

Il reste la nostalgie. Glorifier le bon vieux temps, se rappeler les six équipes, les salaires proches du vrai monde... Mais aussi l'innocence des enfants qui jouent dehors en se prenant pour d'autres.

N'est-ce pas précisément ce sur quoi misait la récente Classique Héritage?

«Roch Carrier, par exemple, a tout fait pour la nostalgie, que ce soit dans ses romans, dans sa biographie de Maurice Richard ou bien dans Le Chandail de hockey, qui est une réflexion sur l'enfance et le hockey. «Les romanciers sont souvent tournés vers le passé. C'est aussi ce que fait Richard Garneau dans Un Train de nuit vers la gloire, un truc parfaitement nostalgique qui évoque les voyages en train et les joueurs qui jouent aux cartes...»

Et si les plus jeunes auteurs s'aventurent à parler de choses contemporaines, on tombe alors en pleine dérision.

«Quand Matthieu Simard dédie son roman Ça sent la coupe à Brian Skrudland, on n'est pas exactement en train de créer une nouvelle mythologie», ironise Benoît Melançon.

Ça sent la coupe est découpé en 93 chapitres qui correspondent à tous les matchs du Canadien de la saison 2003-2004. Mais le hockey est ici un prétexte car le narrateur y raconte surtout ses problèmes existentiels.

«La Ballade de Nicolas Jones propose le même genre de situation de trentenaire en crise existentielle, mais ici le hockey est utilisé de façon beaucoup plus subtile. Or, tout le livre est quand même nourri par le hockey.

«Ce livre-là ne prétend pas régler la question et être le grand roman sur le hockey, mais l'auteur laisse voir qu'il a besoin du hockey pour écrire.»

Étrange destin, tout de même: l'auteur de La Ballade de Nicolas Jones, paru l'an dernier, s'appelle Patrick Roy et il habite à Québec...