Rene Bourque a connu son lots d'infortunes depuis le début de sa carrière. La poursuite de son rêve de jouer au hockey professionnel a toutefois permis à l'attaquant du Canadien d'échapper aux problèmes qui affligent la communauté du nord de l'Alberta où il est né. Marc Antoine Godin l'a rencontré.

Il faut absolument commencer par une minute du patrimoine.

Autour de 1860, l'oblat Georges Bourque a quitté Saint-Roch-De-L'Achigan pour l'Ouest canadien, animé par sa ferveur religieuse... et un amour qui sortait des sentiers battus.

«Cet ancêtre du côté de mon père était engagé au sein de l'Église catholique, sauf qu'il est devenu amoureux d'une autochtone», raconte Rene Bourque en évoquant ses racines.

«Il a dû demander la permission à l'évêque de quitter l'Église afin de se marier. Puis il a déménagé en Alberta où il a aidé à mettre sur pied un endroit appelé la Mission de Lac La Biche.»

Ce lieu d'échanges entre anglophones, francophones et autochtones a été déterminant dans le développement du nord de l'Alberta, si bien qu'il a été désigné lieu historique par le gouvernement du Canada.

Aujourd'hui encore, Lac La Biche, petite ville de 3000 habitants située sur les rives d'un des plus grands lacs de l'Alberta, est au confluent des cultures. C'est là qu'est né l'attaquant du Tricolore.

«Les communautés autochtones sont très présentes dans la région, car il y a des réserves et des campements un peu partout, soutient Bourque. Mais il y a aussi plusieurs personnes d'origine arabe et française.

«La plupart des gens travaillent dans le secteur pétrolier et gazier. Tout le monde se connaît. On connaît la personne derrière le comptoir au bureau de poste et celle qui attend derrière nous à la caisse du supermarché.»

Bon, le pétrole, le supermarché... la minute du patrimoine est terminée.

Loin des problèmes

Il n'y a pas grand-chose à faire l'hiver à Lac La Biche. Le mercure peut descendre à -40ºC pendant deux semaines. Mais si le froid force souvent l'école à fermer, rien ne peut empêcher les gamins - pour la plupart autochtones - de jouer au hockey.

Mais comme dans trop de communautés autochtones, les problèmes d'alcool et de drogue sont endémiques chez les jeunes de la région.

«Je l'ai constaté chez des amis ainsi que chez leurs parents, confie Bourque. Je n'aime pas trop en parler parce que ça brosse un portrait négatif des gens avec lesquels j'ai grandi. Mais j'en vois les effets.

«Il y a des jeunes qui étaient meilleurs que moi au hockey, qui avaient plus de talent, mais qui n'avaient pas le soutien familial pour avancer.»

Sa mère Barbara, travailleuse sociale, fait face à cette dure réalité sur une base quotidienne. «Elle garde ça pour elle parce que ses dossiers sont confidentiels, mais c'est facile de reconnaître les cas problèmes dans une toute petite ville. Nous savons tous de qui il s'agit.»

Bourque est reconnaissant des sacrifices qu'ont faits ses parents et ses trois soeurs pour lui permettre de faire carrière au hockey. Il l'est particulièrement envers son père Gary qui, lorsqu'il n'était pas à Fort McMurray pour travailler dans les sables bitumineux, veillait à sa progression comme joueur de hockey.

«Quand on habite dans un endroit où il n'y a pas grand-chose à faire, l'alcool, la drogue et les fêtes peuvent vite devenir un problème, souligne l'ailier de 30 ans. Or, ma famille m'a gardé loin des problèmes. Mon père savait que le meilleur chemin, c'était les études et beaucoup de sport.»

Oeuvres caritatives

Les problèmes sociaux de la communauté attristent Bourque, mais ne diminuent en rien sa fierté d'avoir un si riche héritage culturel.

«Quand j'étais plus jeune, mes parents avaient un service de traiteur et l'été, nous allions de pow-wow en pow-wow.Je m'ennuie de faire ce genre de chose. En vieillissant, j'ai un peu perdu contact avec cela malgré moi. Heureusement, les soeurs ont déjà pris le relais et amènent à leur tour leurs enfants au pow-wow.»

Bourque fait aujourd'hui partie de la douzaine de joueurs de la LNH issus des Premières Nations. Si l'on ne peut parler de confrérie, Bourque souligne néanmoins qu'il connaît depuis longtemps avec des joueurs tels que Sheldon Souray ou Jordin Tootoo.

«J'ai grandi en participant souvent à des tournois provinciaux autochtones de hockey et, forcément, on entend parler des meilleurs joueurs issus de la communauté, dit-il.

«Si l'on a un trait en commun, c'est de soutenir la communauté autochtone d'où nous venons. Nous sommes tous engagés dans des oeuvres de charité ou avons été invités à prendre la parole devant des groupes de jeunes.»



Photo: André Pichette, La Presse

Non, merci à la Ligue de l'Ouest

Conscient des dérapages que risquait son fils en demeurant à Lac La Biche, son père l'a encouragé, à l'adolescence, à aller jouer son bantam et son midget ailleurs en Alberta et en Saskatchewan. Non seulement a-t-il fait face à des joueurs de meilleur calibre, mais en fréquentant l'école Notre Dame, en Saskatchewan, Bourque a pu en apprendre davantage sur les vertus du hockey universitaire américain.

«Puisque j'ai toujours été bon à l'école, c'est rapidement devenu l'option privilégiée, explique Bourque. Cette année-là, j'aurais pu jouer pour les Blades de Saskatoon dans la Ligue junior de l'Ouest, mais je savais que ce n'était pas pour moi.»

Bourque s'était taillé un poste avec les Blades dès l'âge de 17 ans, mais a choisi de tourner le dos au hockey junior canadien avant même d'avoir la garantie qu'il décrocherait une bourse d'études aux États-Unis.

Une décision audacieuse.

«Nous n'avions pas beaucoup d'argent, rappelle-t-il. L'occasion de pouvoir aller à l'université gratuitement était alléchante, et c'est le but que je me suis fixé lors de ma saison dans le junior A en Alberta. Ç'a été énorme pour ma famille et moi que j'obtienne cette bourse de l'Université du Wisconsin.»

La voie académique s'imposait également parce que Bourque, jusqu'à ce qu'il soit devenu un joueur régulier au Wisconsin, n'avait jamais eu la certitude qu'il ferait carrière.

Le rêve était là depuis toujours. Mais de là à en faire une réalité...

«Je n'avais jamais été un joueur dominant dans les niveaux inférieurs, donc je ne savais pas jusqu'où le hockey me mènerait. Mon développement était plus tardif et aller du côté des collèges américains me semblait la voie à suivre. Je pouvais jouer pendant quatre ans là-bas en plus d'obtenir un diplôme.

«En allant à Saskatoon, j'aurais peut-être joué deux ans sans avoir quoi que ce soit qui m'attende par la suite...»

Sorti au bon moment

Bourque est allé à la bonne école en se joignant aux Badgers de l'Université du Wisconsin. Mais le fait d'avoir choisi la NCAA au détriment de la Ligue junior de l'Ouest pourrait expliquer pourquoi il n'a jamais été repêché.

«Je n'ai pas joué beaucoup à mes deux premières saisons à l'université, se souvient-il. À ma saison recrue, par exemple, j'ai joué le premier match avant d'être retranché pour les six suivants. Et lorsque je jouais, c'était sur le quatrième trio. Ajoutez à cela le fait que le calendrier ne compte qu'une quarantaine de matchs, ça fait en sorte qu'on ne m'a pas beaucoup vu.

«Mais ça ne m'a pas dérangé outre mesure. J'adorais ma vie à l'université et je n'ai jamais regretté d'avoir fait ce choix-là!»

Surtout qu'à sa sortie de l'université, à l'âge de 22 ans, la LNH était en lock-out. Quel beau synchronisme.

Comme pour plusieurs joueurs de sa génération - les Zach Parise, Patrick Sharp, Mike Richards, Jeff Carter, Jason Spezza, Michael Cammalleri et Duncan Keith -, le fait d'avoir pu passer une saison dans la Ligue américaine s'est avéré le meilleur des tremplins pour Bourque.

«Les Blackhawks de Chicago m'ont embauché pour jouer dans leur club-école de Norfolk... et c'est la meilleure chose qui ait pu m'arriver», confirme-t-il.

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Photo: AP

Un grave accident

La gorge de Rene Bourque est barrée d'une cicatrice, vestige d'un accident dont il a été victime en 2006 et qui aurait pu avoir des conséquences fâcheuses.

«Ce n'était pas beau, se souvient Bourque. Durant un match à Columbus, j'ai bloqué un lancer. La rondelle s'est accrochée dans mon pantalon pendant un instant et je me suis étiré pour la dégager. Au même moment, notre défenseur Jassen Cullimore a frappé Nikolai Zherdev, des Blue Jackets, et il a perdu l'équilibre. Son patin a tranché ma jugulaire.»

L'accident n'a pas fait les manchettes comme ceux de Clint Malarchuk et Richard Zednik, car Bourque a quitté la patinoire avant que le sang ne se répande sur la glace.

«On s'est occupé de moi d'abord dans le vestiaire. J'ai vu les serviettes tachées de rouge et je comprenais que ça n'allait pas. Surtout, je l'ai vu dans le regard du soigneur. J'avais peur.»

Après avoir perdu deux litres de sang, Bourque a été opéré le soir même à l'hôpital.

«Dans les jours qui ont suivi, j'ai cessé de penser au hockey. Tout ce que je voulais, c'était de pouvoir mener une vie normale. Je suis resté cinq jours à l'hôpital, mais j'ai pu revenir au jeu au bout d'un mois.»

De Chicago à Calgary

Cette blessure, survenue après une excellente première saison avec les Blackhawks de Chicago, a marqué le début d'une série d'infortunes qui ont conduit Bourque à perdre son poste.

Il en était venu à souhaiter un changement d'air lorsque les Hawks l'ont échangé aux Flames de Calgary en juillet 2008. «Je détestais les Flames quand j'étais jeune, raconte Bourque. Dans mon coin, tout le monde prend pour les Oilers, car Edmonton est la ville d'importance la plus proche. Alors ç'a été une expérience étrange de me retrouver de ce côté-là de la rivalité. Mais au bout de trois années là-bas, j'en étais venu à haïr les Oilers.

«Sauf qu'à Lac La Biche, les gens ont continué de prendre pour les Oilers même quand je portais l'uniforme des Flames. Ils me souhaitaient du succès... mais ils ne voulaient pas qu'on gagne.»

> Les statistiques de Rene Bourque



Photo: André Pichette, La Presse