La partie achève à l'aréna de Vaudreuil. C'est toujours 0 à 0. Un joueur des Blancs s'empare de la rondelle, perce la défensive adverse et soulève le disque derrière le gardien.

Dans les gradins, une poignée de parents se lève d'un bond. Mais la majorité ne bronche pas. Un silence glacial parcourt ensuite l'amphithéâtre. La partie reprend. L'attaque des Noirs file à son tour en zone adverse. Leurs partisans sortent de leur mutisme. Le joueur rate sa cible. Les spectateurs font entendre une clameur de déception. Quelques-uns échappent des jurons. L'intensité est palpable. Les joueurs sur la glace ont à peine 10 ans.

Ici, à Vaudreuil, une passion malsaine pour notre sport national vient de se transporter de l'aréna au palais de justice. L'entraîneur-chef de l'équipe a engagé en février des poursuites en diffamation totalisant 85 000 $ contre une association de hockey mineur, et cinq parents et bénévoles liés à une ligue atome BB dans laquelle évoluent des jeunes de 9 et 10 ans. Les personnes visées par la poursuite, déposée devant la Cour supérieure, sont notamment accusées d'avoir entaché la réputation de l'entraîneur.

Des noms fictifs ont été utilisés pour ne pas nuire aux enfants des accusés et de l'entraîneur, tous des joueurs de l'équipe. Comme les personnes poursuivies jointes par La Presse ont refusé de faire des commentaires, nous ne rapportons ici que la version de l'entraîneur.

Les ennuis de l'entraîneur, Michel, débutent dès son arrivée derrière le banc de l'équipe, en 2009. Il fait alors la connaissance de Jérémy, un attaquant talentueux qui devient capitaine. L'entraîneur constate que le garçon subit énormément de pression de la part de ses parents. Son père, Steeve, n'hésiterait d'ailleurs pas à crier son mécontentement depuis les gradins.

À plusieurs reprises, Michel dit voir Jérémy pleurer au banc ou dans le vestiaire, terrorisé par les réactions de son père. Ce dernier va même jusqu'à écrire à Michel pour l'aviser que son garçon ratera le prochain match, car il est insatisfait de son jeu. L'entraîneur intervient alors auprès de la mère de Jérémy, estimant que cette sanction est démesurée.

Le père se ravise. «Ma femme n'est pas d'accord avec moi, donc tout porte à croire que Jérémy jouera demain. Mais s'il vous plaît, n'hésite pas à le bencher s'il ne performe pas à 100%», écrit-il à l'entraîneur.

Environ un mois plus tard, l'entraîneur écrit au père pour lui demander de cesser de diriger l'équipe depuis les gradins. Steeve réplique que son fils n'est pas assez dirigé, qu'il est frustré à l'idée de perdre. Graduellement, les relations entre le père et l'entraîneur se détériorent. Michel prétend même avoir été menacé plusieurs fois physiquement et verbalement.

Nomination d'un adjoint

L'histoire est compliquée par la rivalité malsaine qui semble exister entre les bénévoles de l'équipe, divisés en deux associations de hockey mineur voisines. Les joueurs de l'équipe ont été sélectionnés dans ces deux associations régionales, comme c'est souvent le cas dans les niveaux élite. L'entraîneur fait partie d'une association tandis que les parents impliqués dans la poursuite représentent l'autre association.

Dès l'arrivée de Michel à la barre de l'équipe, cette autre association - avec en tête les parents de Jérémy - commence à militer pour la nomination d'un des leurs, Mario, au poste d'adjoint. Parce qu'il a eu de nombreux problèmes disciplinaires par le passé, le nouvel adjoint signe un contrat de bonne conduite. Il adopte toutefois un «comportement inconvenant» aux yeux de l'entraîneur, qui le congédie. Une décision qui creusera encore plus le fossé entre Michel et l'autre association.

Lettre anonyme

Fin septembre 2011, Hockey Québec reçoit une lettre anonyme au sujet de l'entraîneur. On l'accuse de provoquer chez les joueurs des signes d'anxiété et de dépression, en plus de lui prêter des sévices physiques et mentaux. Quelques semaines plus tard, une autre lettre atterrit dans les bureaux de Hockey Québec, signée par un ami de Steeve et Mario. Elle reprend les mêmes accusations. Elle ajoute que l'entraîneur concentre surtout ses mauvais traitements sur les joueurs provenant de l'autre association. Après une enquête interne, l'auteur de la lettre retire ses accusations et présente des excuses à l'entraîneur.

Partie fatidique

Le 24 janvier, l'équipe dispute une partie à Verdun. Michel sermonne Jérémy, qui vient de s'interposer entre un adjoint et un autre joueur. Ce dernier se met à sangloter et à crier. Habitué aux crises du gamin, l'entraîneur l'exhorte à reprendre son calme. Le joueur tente de retourner sur la glace. L'entraîneur agrippe son chandail pour l'en empêcher, mais perd l'équilibre.

Après la partie, deux agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) demandent à Michel de les suivre, à la suite à une plainte de voies de fait déposée par la mère de Jérémy. Finalement, les policiers repartent et aucune accusation n'est portée.

L'entraîneur est suspendu et convoqué devant un comité de discipline, où siègent deux membres de chaque association. Le comité rend un rapport accablant contre l'entraîneur, mais son association le rejette. L'entraîneur est néanmoins congédié. C'est là qu'il engage des poursuites totalisant 85 000$ contre l'association rivale et cinq personnes, dont les parents de Jérémy. Dans sa requête, l'entraîneur se dit victime d'une campagne de salissage et d'avoir été accusé à tort d'être un agresseur d'enfant et d'avoir tabassé

un joueur.

Pour lui, il ne fait aucun doute qu'il a fait l'objet d'un putsch orchestré par des parents de l'autre association. L'entraîneur a aussi présenté une demande d'injonction pour réintégrer ses fonctions, ce qui lui a été refusé. Aucune date n'a encore été fixée pour le procès.

L'avocat de l'entraîneur, Me Éric Oliver, et l'association visée par la poursuite, qui nous ont dirigé vers Hockey Québec, ont refusé de commenter la situation. Le directeur général de Hockey Québec, Sylvain Lalonde, a dit ne pas vouloir s'immiscer dans le processus judiciaire en cours. M. Lalonde a toutefois indiqué qu'il voit en moyenne un ou deux dossiers de cette nature - des cas extrêmes, dit-il - chaque année.

- Avec la collaboration d'André Dubuc