Le 2 novembre 2019, Richard Legendre était à Rome. Comme tout bon amateur de sport, il n’a pas pu résister à l’attrait de visiter un des grands stades de foot d’Europe. Ça tombait bien, l’AS Roma jouait au Stadio Olimpico ce jour-là.
« Ç’a été construit en 1953, et je le trouvais encore bien intéressant ! », lance l’ancien vice-président de l’Impact et futur CF Montréal.
Le Centre Bell fêtera mardi ses 25 ans, une donnée qui fait sursauter quand on compare le domicile du CH à ses contemporains. Quiconque a déjà été au Centre Canadian Tire, avec ses entrées aux allures de salle communautaire, saura de quoi on parle. Le Wells Fargo Center à Philadelphie, inauguré lui aussi en 1996, n’est pas non plus une grande réalisation. Et on raconte que les sièges les moins chers du Prudential Center (2007) sont situés plus près de Manhattan que de Newark.
Legendre est aujourd’hui directeur associé du pôle sport de HEC Montréal. Il travaillait pour l’Impact pendant la construction du stade Saputo, était directeur de l’Omnium Du Maurier quand le stade de tennis a été rénové, au milieu des années 1990. Les gros équipements de sport, il connaît ça.
Lui aussi fait le saut quand on évoque le quart de siècle du Centre Bell.
Quand on est obligés de se remémorer que ça fait 25 ans, c’est signe que ça vieillit bien !
Richard Legendre
Mine de rien, il n’y a que 10 amphithéâtres plus vieux que le Centre Bell dans la LNH. Le plus ancien, le Madison Square Garden, a subi une cure de rajeunissement estimée à 1 milliard (!) de dollars en 2013, si bien que son année de construction (1968) est anecdotique. Les Islanders de New York sont retournés au Nassau Coliseum, construit à l’époque où Billy Joel a composé Piano Man, mais emménageront dans un édifice flambant neuf l’automne prochain.
Par ailleurs, la génération d’amphithéâtres qui ont précédé le Centre Bell, ceux construits dans les années 1970 et 1980, a eu une durée de vie limitée. Le Continental Airlines Arena, dans les « swompes » du New Jersey, a seulement accueilli les Devils pendant 26 ans. Le Northlands Coliseum d’Edmonton a été utilisé de 1974 à 2016.
Dans les circonstances, il importe de se demander : quelle est l’espérance de vie du Centre Bell ?
Visite guidée
Les coursives du Centre Bell sont vides le 10 mars, jour où Daniel Trottier nous reçoit pour une visite guidée. Drôle de hasard : elles sont vides depuis exactement 365 jours, soit depuis un duel Predators-Canadien qu’on oublierait facilement s’il n’avait pas marqué la fin d’une époque.
« Depuis quelques années, toutes nos coursives ont été agrandies de 20 %. On a rentré les comptoirs », illustre Trottier, vice-président exécutif, service à la clientèle et opérations, du Groupe CH.
La gestion de l’espace a toujours été un enjeu au Centre Bell, d’où les nouveautés des dernières années. Ça va de solutions simples, comme les poubelles vissées aux murs, à des rénovations d’importance, comme l’ajout de restaurants au niveau M2, soit un étage sous les coursives du niveau 100.
« On veut y diriger plus de gens pour libérer de l’espace en haut. Il n’y avait rien au M2, et beaucoup de pieds carrés n’étaient pas bien utilisés », souligne Trottier.
Les entrées sont un autre endroit où on se marchait naguère sur les pieds. L’idée est maintenant de faire rentrer le plus de spectateurs possible côté cour, par une entrée plus spacieuse. Mais on regarde l’entrée sur l’avenue des Canadiens-de-Montréal, et on imagine la superficie gagnée quand on démolira cet anachronisme qu’est la billetterie. Un espace « appelé à changer », dit pudiquement Trottier.
On s’engouffre dans un vomitoire pour contempler le « bol », partie qui fait la fierté de Trottier. « À Detroit, ils ont presque copié ce qu’on a », souligne-t-il. Qu’en est-il de l’écran géant ? Il date de 2008 et quand on parle d’expérience client, c’est le genre d’amélioration que l’on remarquerait.
« On pourrait en avoir un plus gros, mais les gens sont assis très proche de la patinoire, donc il faut faire attention à la vue », prévient Trottier. N’empêche, il reconnaît que le groupe CH devra investir « autour de la dizaine de millions » pour le remplacer « dans les prochaines années ».
« Ça va vers du 4 K, du 8 K, du 16 K, des reprises en 360 degrés. Ça va vite ! Mais nos équipements en arrière ne sont pas prêts pour ça. » C’est tout de même la suite logique après le remplacement des systèmes de sonorisation, qui étaient d’origine. « En mode spectacle, les gens au niveau 300 sont maintenant nourris par les speakers d’en haut, pas les speakers de scène. C’était un gros investissement, mais on fait aussi du spectacle. »
Enfin, point d’exclamation de la visite : la fameuse zone VIP, nouveauté que le public n’a pas encore vue. Au 5e étage, on a démantelé plusieurs loges pour créer un espace lounge, avec comptoirs de restauration et fauteuils plus espacés.
Ancienne capacité : 21 302
Nouvelle capacité : 21 105
« Avant, on n’avait que deux types de billets : des loges et des billets normaux, rappelle Trottier. On n’avait pas ça, des endroits où les gens peuvent socialiser, faire du réseautage. La tendance, partout, c’est d’offrir différents produits. »
L’avis des experts
La « tendance ». C’est là que ça peut accrocher. Redonnons la parole à Richard Legendre. « Ta désuétude vient de la compétition », souligne l’ancien ministre du gouvernement Landry.
« Quand on a décidé de rénover le stade de tennis, il ne tombait pas en morceaux ! Ça faisait la job. Mais on savait qu’on perdrait notre place si on gardait le vieux stade, parce que Cincinnati, Miami et New Haven en avaient de nouveaux. »
On vient de le constater, le Centre Bell ne tombe pas en morceaux. Mais qu’en est-il des tendances ?
L’avenir, ce sont les usages mixtes. Tu mélanges les affaires, du commercial, du résidentiel et du divertissement.
Bruno Delorme, professeur de gestion des universités McGill et Concordia
L’observation du professeur de gestion Bruno Delorme nous amène à regarder à l’extérieur — pas le point fort du Centre Bell. Le quartier est devenu méconnaissable en 10 ans. Le stationnement moche au nord de l’amphithéâtre n’est plus. Les immeubles défraîchis du côté sud sont devenus la Tour des Canadiens 2, mais la popularité des locations à court terme n’en a pas fait un quartier rayonnant, admettons-le.
« Dans le temps, il y avait six équipes. Tes chances de gagner la Coupe étaient bonnes. À 32 équipes, mathématiquement, tu vas peut-être voir une Coupe de ton vivant ! rappelle le professeur Delorme. Il faut enlever les résultats des matchs de l’expérience et créer un environnement où les gens voudront aller. Ils essaient de faire ça autour avec les condos, mais ça ne lève pas tant que ça. »
Il faudra toutefois voir l’effet qu’aura la fin de la pandémie et des travaux — il y avait encore de nombreuses pancartes orange lors de notre passage — sur le quartier.
Dans l’aréna aussi, il y a certaines tendances que le Canadien pourra difficilement suivre. Même Daniel Trottier reconnaît qu’il envie les nouveaux arénas d’Edmonton et de Detroit, notamment, qui ont aménagé des zones où les spectateurs peuvent voir le tunnel reliant le vestiaire à la patinoire. « On a l’espace pour le faire. Le problème, c’est qu’il faudrait sacrifier des sièges », explique-t-il.
Pour Richard Legendre, la longévité tient surtout à deux critères : l’emplacement et la capacité. « Quand ces deux éléments sont bons à la base, et que tu n’as pas d’obligation de les ajuster, tu es correct. »
L’emplacement, en plein centre-ville, avec des autoroutes, une gare de train, deux stations de métro et une gare du futur Réseau express métropolitain à proximité, est dur à battre. Quant à la capacité, les nombreuses salles combles règlent la question.
« Regarde le stade Percival-Molson, les Alouettes étaient à guichets fermés année après année, à 20 000. Ils ont augmenté à 25 000, et la marche était haute, rappelle Richard Legendre. Au début du Centre Bell, on ne remplissait pas les 21 000 [sièges], et on se demandait : “Coudonc, est-ce qu’on a trop augmenté ?” Finalement, la capacité est pertinente. »
Alors, l’espérance de vie ? Avec l’investissement de plus de 100 millions de dollars fait depuis cinq ans, Geoff Molson n’est pas prêt à déménager. Daniel Trottier croit que le Canadien en a pour encore au moins 20 ans. « La conception du Centre Bell était fantastique au départ. C’est en bon état, de bonne qualité, et on peut le faire évoluer. »
Richard Legendre : « Avant, on disait que les stades duraient 40 ans, donc le Centre Bell serait rendu à 60 % de sa durée de vie. Je n’ai pas ce feeling-là. »
Bruno Delorme reconnaît aussi que le Centre Bell vieillit bien. « Mais ce qu’il manque, c’est une âme. De quels évènements marquants se souvient-on ? Les retraits de chandail d’anciennes vedettes ? La remontée contre les Rangers ? Quelques matchs éliminatoires ? Il n’y a rien de marquant comme au Forum. »
Peut-être qu’une bannière de la Coupe Stanley plus récente que celle de 1993 aiderait en ce sens.