Lorsque Chantal Machabée parle d’une journée « chargée en émotions », il faut la prendre au mot.

Tourner la page sur un métier qu’on adore et qu’on pratique depuis presque quatre décennies n’est pas chose facile. Dire au revoir à son employeur des 32 dernières années n’est pas plus aisé. Et être embauchée par le club de son enfance, l’« équipe de Guy Lafleur », est également loin d’être une mince affaire.

« Elle était LA personnalité de RDS »

La journaliste sportive la plus connue du Québec, véritable visage de RDS, change de camp : le Canadien de Montréal a annoncé mercredi la nomination de Chantal Machabée à titre de vice-présidente aux communications.

Contrairement à son prédécesseur Paul Wilson, qui a été congédié en même temps que le directeur général Marc Bergevin il y a quelques semaines, elle ne supervisera pas les communications du Groupe CH en entier, mais bien celles liées au département hockey, qui regroupe les joueurs, le personnel d’entraîneurs ainsi que l’équipe de direction – le président et propriétaire Geoff Molson, le vice-président aux opérations hockey Jeff Gorton ainsi que le futur directeur général, qui doit être nommé au cours des prochaines semaines.

« Ils ont vraiment forgé le poste en fonction de mes compétences », a expliqué Mme Machabée en entrevue avec La Presse, mercredi après-midi.

C’est France Margaret Bélanger, présidente Sports et divertissement du Groupe CH, qui a elle-même pressenti la reporter et animatrice bien connue, et ce, dès les jours suivant le remaniement de la fin novembre.

La proposition a surpris la principale intéressée, qui a alors amorcé une longue réflexion. Jamais on ne l’a mise sous pression, assure-t-elle. Les deux femmes ont continué d’échanger pendant le mois de décembre. Et lundi dernier, la réponse est venue : Chantal Machabée acceptait l’offre qu’on lui faisait.

« Je suis prête à faire le saut ! lance-t-elle. Ça va être le fun ! »

Relation à réinventer

Ce n’est pas un grand secret : le Tricolore traîne depuis des années la réputation d’une organisation opaque qui assure un contrôle serré de l’information qui sort de ses murs.

Historiquement, les nombreux journalistes affectés à la couverture du quotidien de l’équipe et le service des communications entretiennent une relation en dents de scie, au gré des personnalités (et des ego) dans les deux camps.

Néanmoins, la relation entre la direction du club et les médias s’est durcie davantage au cours des derniers mois.

Pendant l’été 2021, par exemple, les multiples rebondissements impliquant l’équipe – la retraite anticipée de Shea Weber et la décision de ne pas protéger Carey Price au repêchage d’expansion, entre autres – ont d’abord été révélés par des médias torontois ou américains, avant de n’être confirmés que des jours plus tard par le Canadien malgré les demandes répétées des journalistes locaux. Le contact était tendu, difficile.

Sélectionner Logan Mailloux, un délinquant sexuel, au premier tour du plus récent repêchage a également entaché l’image du club en juillet dernier. Des voix s’étaient élevées dans la société civile et même dans la classe politique pour dénoncer cette décision.

En congédiant Paul Wilson, Geoff Molson a exprimé la volonté de donner un « nouveau départ » à cette relation avec les médias. Il confirme aujourd’hui ses dires en nommant Chantal Machabée, une personnalité appréciée à la fois du public, de ses collègues et même des joueurs : Max Pacioretty et Charles Hudon ont personnellement communiqué avec elle pour la féliciter.

Elle est la première à le reconnaître : il y a une « mentalité à changer » chez le Canadien. « J’ai eu une bonne conversation avec Geoff Molson, qui m’a dit : “C’est ton mandat, on te fait confiance.” J’ai carte blanche.

Il y a une volonté que je n’ai jamais vue aussi réelle de changer les choses. Je suis contente de faire partie de ça.

Chantal Machabée

À l’intérieur de l’organisation, elle souhaite briser la perception selon laquelle « les médias, c’est les méchants ». « Je veux qu’on arrive à mieux connaître les joueurs, dit-elle. Quand on pense aux anciens, que ce soit Guy Lafleur, Yvon Lambert, Mario Tremblay, Patrick Roy… on les aime parce qu’on a connu leur vie, leurs hauts et leurs bas. Ça les a rendus humains, attachants. Montréal a besoin d’avoir des héros qui n’ont pas qu’un numéro dans le dos. »

Elle-même a toujours aimé interviewer des joueurs qui n’hésitent pas à livrer le fond de leur pensée, sans banalement égrainer le chapelet des clichés. Pensons à Phillip Danault, Josh Anderson, Brendan Gallagher… « Je veux que tous les joueurs se sentent à l’aise de s’exprimer. Tu peux tout dire, il y a une façon de le dire. »

Malgré son nouveau rôle, qui constituera par ailleurs pour elle une première expérience comme gestionnaire, elle ne disparaîtra pas de l’espace public. On attend d’elle qu’elle aille en ondes expliquer une situation spécifique ou une décision d’entreprise, par exemple. Une tâche qui, souligne-t-elle, est en phase exacte avec ses compétences et son parcours.

32 ans plus tard

Chantal Machabée est entrée à RDS à l’âge de 24 ans. Elle était à la barre du tout premier bulletin du réseau spécialisé en 1989.

Elle y a couvert tous les sports imaginables, des compétitions locales jusqu’aux Jeux olympiques. En passant, bien sûr, par le Canadien : depuis 2011, elle est affectée aux activités quotidiennes du club, à domicile et sur la route. Le respect qu’elle s’est attiré tout au long de sa carrière en a fait une pionnière de la profession, encore davantage en tant que femme dans un monde presque exclusivement masculin.

Elle ne s’en cache pas : elle « pleure [sa] vie » depuis qu’elle a pris la décision de quitter son employeur – sa « famille », dans ses propres mots.

Elle ne peut s’empêcher de sourire en pensant que la jeune journaliste embauchée il y a 32 ans passera une dernière fois la porte de la station à quelques mois de devenir « mamie ». L’un de ses fils et sa conjointe auront un enfant en juin. « Ça donne une idée du nombre d’années que j’ai passées là, c’est assez heavy ! », s’esclaffe-t-elle.

Chantal Machabée a toujours répété à quel point elle adorait son travail.

Je me voyais comme la Jean-Paul Chartrand féminine : à 90 ans, je parlerais encore de hockey à RDS !

Chantal Machabée

Elle se « console » en se rappelant qu’elle continuera de côtoyer ses collègues devenus amis, à commencer par Luc Gélinas et François Gagnon, « mais de l’autre côté de la clôture ».

Le public n’en est pas conscient, mais Luc Gélinas et elle ne travaillaient à peu près jamais ensemble, puisqu’ils alternaient leur présence aux entraînements et aux matchs du Canadien. Ils se croiseront maintenant quasi quotidiennement sur la galerie de la presse, aux entraînements et aux matchs.

À voir la vague de félicitations et d’éloges qui a déferlé sur les réseaux sociaux après l’annonce de sa nomination, il n’y a pas vraiment de doute : tout le monde aime Chantal Machabée.

Ça commence par le public qui la suit depuis des années, bien sûr. Mais ça inclut aussi, et surtout, celles et ceux qui la côtoient au quotidien, comme ses camarades journalistes, concurrents ou pas.

Eux aussi se consolent en se rappelant que, même si leur relation changera invariablement, ils ne perdront pas cette collègue adorée.