Dès sa première conférence de presse comme directeur général du Canadien, en janvier dernier, Kent Hughes a senti le besoin de changer ce qui lui apparaissait comme une fausse perception. Après une réponse de Jeff Gorton, Hughes a interrompu le relationniste qui s’apprêtait à donner la parole à un autre journaliste.

« Est-ce que je peux ajouter quelque chose ? Parce qu’il semble y avoir un thème récurrent… Je peux vous assurer que je ne serais pas ici si je n’avais pas confiance en ma capacité d’être directeur général du Canadien de Montréal. »

Hughes est donc manifestement au fait que l’embauche de proches de Gorton et de lui fait grincer des dents, mais il va néanmoins de l’avant.

Après Martin St-Louis comme entraîneur-chef, le Tricolore a annoncé deux autres embauches, vendredi : Vincent Lecavalier à titre de conseiller spécial aux opérations hockey et Nick Bobrov comme codirecteur du recrutement amateur.

Ces nouvelles suscitent évidemment plusieurs questions. D’abord, un « conseiller spécial aux opérations hockey », ça mange quoi en hiver ? Ensuite, comment cette nouvelle administration s’y prendra-t-elle pour être vue comme un groupe de décideurs compétents, plutôt qu’une gang de chums ?

Quel rôle ?

Vous savez, ces descriptions de poste qui évoquent « toute autre tâche connexe » ? On se demande presque si ce n’est pas inscrit dans le contrat de Lecavalier, tant il a ratissé large dans son explication.

Tantôt, il a évoqué l’idée – purement hypothétique – de partir « en Caroline, deux jours avant la date limite des transactions, pour un mandat spécifique ». Plus tard, il a indiqué avoir regardé sur vidéo l’espoir Emil Heineman, acquis par le Canadien dans la transaction de Tyler Toffoli cette semaine.

« Aller au camp, rencontrer les gars, aider les jeunes aussi comme Cole Caufield et Nick Suzuki, a poursuivi Lecavalier. Je sais qu’ils seront bien entourés avec Martin et les adjoints, mais ils auront aussi des conversations avec moi. Martin veut vraiment m’impliquer avec les joueurs. Martin est un communicateur impeccable, mais je peux aussi aider. »

On note ici que certaines de ces missions impliquent des voyages, ce que Lecavalier se dit prêt à faire. Après tout, la Floride ne compte que deux clubs de la LNH, trois de l’ECHL, mais aucun de la Ligue américaine ni de l’USHL. Aucun programme de Division I de la NCAA non plus. S’il souhaite effectuer du travail en présentiel, les options dans sa région sont limitées.

Lecavalier parle toutefois d’un poste structuré de façon à ce qu’il puisse « aider l’équipe et rester avec [sa] famille ». Il est père d’enfants de 8, 10 et 11 ans, et si Hughes le voyait dès le départ au sein de son administration, il était hors de question que la famille quitte la région de Tampa.

Lecavalier a aussi évoqué un coup de pouce pour le repêchage et « pour les joueurs autonomes ». Ce bout-là est particulièrement intéressant, sachant que Montréal n’a pas toujours été la destination la plus attrayante pour les joueurs.

Il peut être singulier qu’un Québécois n’ayant jamais porté l’uniforme du CH et qui demeure à Tampa à l’année ait pour mandat de « vendre » Montréal comme destination, mais il a rappelé qu’en 2008, soit au sommet de sa carrière, il avait accepté une transaction qui l’envoyait chez le Tricolore. Transaction qui avait finalement avorté en raison d’un différend entre les propriétaires du Lightning.

Les liens

Nick Bobrov a des liens avec Hughes et Gorton, mais c’est évidemment l’embauche de Lecavalier qui fait le plus jaser. Son lien avec Hughes est assez direct : il était son client. « On se parle depuis 20 ans, presque toutes les semaines », a laissé tomber Lecavalier. Son frère, Philippe, était par ailleurs partenaire de Hughes au sein de l’agence Quartexx Management. Et il y a bien sûr le lien entre Lecavalier et St-Louis, coéquipiers à Tampa pendant une douzaine d’années.

Mais l’ancien numéro 4 assure qu’il n’est pas là pour simplement valider ce que pense le nouveau DG du Canadien. Il a évoqué sa grande expérience de joueur, qui lui a valu une Coupe Stanley et 1212 matchs dans la LNH.

« Les gens parlent de l’amitié, oui. Mais Kent a confiance en ma façon de penser et il sait que je vais le challenger. C’est la différence entre quelqu’un qui ne le connaît pas et quelqu’un qui le connaît depuis 20 ans. Kent engage des gens qu’il pense capables de rendre l’organisation meilleure. La confiance est la chose la plus importante quand tu demandes l’avis de quelqu’un. »

Chaque organisation a ses façons de faire. Prenons un exemple de succès, soit le Lightning de Tampa Bay. Julien BriseBois y est devenu DG en 2019. Comme il a été promu de l’interne, il n’a évidemment pas fait table rase. Mais notons parmi ses embauches Mathieu Darche et Jean-Philippe Côté, deux hommes qui avaient fait partie de l’organisation du CH au moment où BriseBois travaillait aux opérations hockey de l’équipe.

Les Capitals ne regrettent sans doute pas d’avoir permis à George McPhee, à l’époque où il était DG, d’embaucher son ancien cochambreur à l’Université d’État de Bowling Green, Brian MacLellan. Aujourd’hui, c’est MacLellan qui possède une bague de la Coupe Stanley.

Tout ça pour dire que l’embauche d’amis du régime est une pratique qui se voit aussi ailleurs, sans être non plus un automatisme. Plus récemment, les Rangers ont promu Chris Drury au poste de DG l’an dernier, après avoir justement remercié Jeff Gorton. Drury a embauché un entraîneur-chef (Gerard Gallant) qu’il n’a jamais croisé dans d’autres organisations, du moins dans des mandats connus. Idem pour son assistant-DG, Ryan Martin, qui a fait ses classes chez les Red Wings.

Les Canucks de Vancouver, eux, ont nommé Jim Rutherford comme président des opérations hockey. Ce dernier a embauché un ancien collègue Patrik Allvin comme DG, mais Émilie Castonguay et Cammi Granato ont ensuite été nommées assistantes au DG. La première était agente de joueur, la deuxième, recruteuse chez le Kraken de Seattle après une carrière de joueuse.

Ce n’est donc pas aujourd’hui que l’on pourra se prononcer sur la validité des embauches du duo Hughes-Gorton ; les résultats feront foi de tout, en temps et lieu. En attendant, l’exemple des Canucks devrait toutefois nous rappeler que le vœu de Geoff Molson d’ajouter de la diversité au sein des opérations hockey demeure, pour le moment, un vœu.

Qui est Nick Bobrov ?

Nick Bobrov a été directeur du recrutement européen chez les Bruins de Boston (2001 à 2006) et les Rangers de New York (2015 à 2021), soit au moment où Gorton a travaillé pour ces deux organisations. Il a aussi étudié au Middlebury College, soit l’alma mater de Kent Hughes, mais il y est arrivé trois ans après le départ de Hughes. Les Bruins ont réalisé deux prises intéressantes en Europe sous sa gouverne : David Krejci (63e au total en 2004) et Vladimir Sobotka, qui a connu une carrière de 548 matchs même s’il a été repêché au quatrième tour en 2005. Comme il a travaillé de 2016 à 2021 à New York, il est encore tôt pour se prononcer sur l’ensemble de son mandat. Mais en 2017, l’équipe a puisé en Europe deux fois au premier tour. Lias Andersson (7e) a été un fiasco, tandis que Filip Chytil (21e) est établi à temps plein chez les Rangers, mais dans un rôle de joueur de soutien avec une production offensive modeste.