Depuis le début de la semaine, d’ex-joueurs de l’équipe nationale junior multiplient les sorties sur les réseaux sociaux afin de se distancier de la sordide histoire de viol collectif qui serait survenu au banquet de la fondation de Hockey Canada en 2018. Or, ces plaidoyers n’ont aucune réelle portée légale, confirment trois professeurs de droit. Il semble par ailleurs peu probable que l’affaire se rende à un procès criminel.

Très discrets depuis que le scandale a été révélé au grand jour à la fin du mois de mai, la plupart des membres de l’équipe sont sortis de leur mutisme au cours des derniers jours, que ce soit directement ou par le truchement de leur agent.

Rappelons qu’en juin 2018, après une fête arrosée dans un bar de London, en Ontario, huit hockeyeurs auraient agressé sexuellement une jeune femme dans une chambre d’hôtel. On ignore toujours l’identité des suspects et de la victime allégués. Les suspects étaient tous des joueurs évoluant dans le hockey junior canadien à l’époque, mais pas nécessairement des membres de l’équipe nationale. La victime a intenté, en avril dernier, une poursuite civile contre Hockey Canada, les suspects et la Ligue canadienne de hockey. Hockey Canada a rapidement conclu une entente à l’amiable et se retrouve depuis sous le feu des critiques pour sa gestion de ce dossier.

Trois membres de l’équipe nationale affirment aujourd’hui qu’ils étaient carrément absents du banquet de Hockey Canada. D’autres ont écrit qu’ils n’avaient été mêlés en rien à l’agression alléguée. D’autres, encore, assurent n’avoir « rien fait de mal ». Cinq des 22 joueurs n’ont quant à eux pas fourni la moindre justification, ni auprès des médias qui ont tenté d’obtenir leur version des faits ni sur leur page personnelle.

À l’exception des cas où des joueurs ont présenté de réels alibis vérifiables – Victor Mete, par exemple, était en vacances en Jamaïque au moment des faits –, aucun de ces plaidoyers n’émeut les juristes consultés par La Presse. Garder le silence n’est pas un aveu de culpabilité ; de même, se proclamer non coupable n’est pas un gage d’innocence.

Clairement, en droit criminel, ça ne vaut rien. Ça s’appelle de la preuve préconstituée. C’est une opération de relations publiques.

Simon Roy, professeur de droit à Université de Sherbrooke

Même dans un procès, plaider non coupable ne prévient pas un verdict de culpabilité, rappelle-t-il.

« Ça n’a aucune valeur aux yeux des juges », confirme Rachel Chagnon, professeure au département de sciences juridiques de l’UQAM.

« Les prisons sont remplies de personnes innocentes », ironise-t-elle.

Mme Chagnon apporte toutefois une nuance : dans le cas inverse, celui d’une personne qui s’incriminerait publiquement, ses déclarations pourraient être prises en compte dans un éventuel procès. Et encore, il faudrait alors faire la preuve que les propos en question ont été tenus en pleine connaissance des conséquences possibles.

David Pavot, directeur adjoint à l’école de gestion de l’Université de Sherbrooke et spécialiste du droit du sport, reconnaît strictement une « valeur marketing » à l’exercice.

« Certains joueurs sentent que [ça chauffe] et veulent démontrer leur bonne foi, croit-il. Un joueur de hockey professionnel, c’est un objet commercial en soi. Si certains d’entre eux sont pris dans un scandale comme ça, leurs commanditaires vont se détourner d’eux. »

Procès improbable

Sur Twitter, les internautes s’en donnent à cœur joie. À mesure que les déclarations sont publiées, des noms sont chaque jour rayés de la liste des coupables potentiels.

On tente des recoupements avec les rares informations formulées dans la poursuite civile. Les années de naissance des suspects, par exemple : six d’entre eux sont nés en 1998, et les deux autres, en 1999. Comme on ne sait pas le nombre exact de joueurs de l’équipe nationale dans le groupe, on ne peut toutefois prouver sans ambiguïté l’identité d’un coupable.

Deux enquêtes sont en cours, l’une menée par une firme mandatée par Hockey Canada, l’autre par la LNH.

La police de London, a écrit le Globe and Mail plus tôt cette semaine, a mené en 2018 et 2019 une enquête de huit mois qui s’est conclue sans que des accusations soient portées. Une révision du processus d’enquête sera effectuée. On ignore toutefois la nature de l’implication (ou non) de la plaignante dans cette nouvelle étape – on sait néanmoins qu’elle participera à l’enquête de Hockey Canada.

Selon nos experts, les chances que la cause franchisse les portes d’une salle de cour sont faibles. La justice ontarienne pourrait porter des accusations même sans plainte formelle de la victime. Toutefois, ce scénario est peu probable, souligne Simon Roy, alors que, toujours selon le Globe and Mail, des avocats embauchés par des suspects remettent sérieusement en doute l’absence de consentement de la victime.

« Sans autre témoin [que la victime], la preuve de la Couronne tombe à l’eau, précise le chercheur. Ce n’est pas un des gars qui va témoigner contre lui-même… »

Le fait que la plaignante ait conclu une entente à l’amiable tend également à diminuer les chances d’une poursuite au criminel – encore que, même si elle avait signé une entente de confidentialité au civil, elle ne serait pas tenue de la respecter dans un cadre criminel.

Selon Rachel Chagnon, « ça risque fort peu d’arriver ». Celle qui se spécialise dans la judiciarisation des violences sexuelles constate, à la lumière de ce qu’elle a vu au cours des dernières années, « que c’est rare que des victimes, dans des situations comme ça, soient enthousiastes d’aller devant les tribunaux ».

Une réserve possiblement alimentée par l’acquittement, en 2018, de deux hockeyeurs des Gee-Gees de l’Université d’Ottawa accusés d’agression sexuelle sur une jeune femme. À l’époque, les remarques très critiques de la juge à l’endroit de la victime avaient semé l’émoi partout au pays.

Dans le cas de Hockey Canada, l’entente à l’amiable, perçue par le public et les élus comme un aveu de culpabilité, pourrait se retourner contre la victime, estime encore Mme Chagnon.

À première vue, on pourrait croire que c’est un cadeau pour un procureur de la Couronne, car ça confirme que quelque chose s’est passé, mais d’un autre côté, la défense va plaider : “Ça ne devait pas être si grave que ça, puisque vous avez signé.” Il y a un risque réel que la victime soit malmenée en raison de l’entente.

Rachel Chagnon, professeure au département de sciences juridiques de l’UQAM

Quant au mauvais quart d’heure que passent tous les joueurs de l’équipe canadienne junior de 2018 sur les réseaux sociaux, Rachel Chagnon y voit un « renversement de paradigme » ; après « des siècles » à « passer la victime dans le tordeur », « la population s’identifie davantage aux victimes qu’aux agresseurs potentiels ».

« C’est malheureux pour ces jeunes, surtout ceux qui ne sont pas proches des évènements, qui […] vont payer le prix des années de complaisance à l’égard des personnes ayant commis des inconduites sexuelles », dit-elle.

Toutefois, sa bienveillance ne s’adresse pas aux huit coupables.

« Je suis désolée, mais ma compassion s’arrête là. »