Le déclin de la représentation québécoise parmi les gardiens de but de la LNH n’est plus une nouvelle. Ce dont on parle moins, toutefois, c’est du phénomène semblable qui s’exerce, chez les femmes, au sein du programme national.

La perte d’expertise chez les entraîneurs d’ici serait en cause. Tout comme le nombre de gardiennes tout court.

Le gratin du hockey féminin converge vers Calgary, cette semaine, où se tiendra le camp estival de Hockey Canada. L’équipe senior soulignera le début d’un nouveau cycle olympique, tandis que les formations M18 et M22 (équipe de développement) procéderont plutôt à une sélection de leurs athlètes pour la saison 2022-2023.

Plus de 140 joueuses ont reçu une invitation.

Un peu moins de 14 % de celles-ci sont québécoises, ce qui est largement en deçà de la proportion réelle de la population de la province par rapport à celle du pays (23 %).

Ce n’est pas une surprise en soi : au cours de la dernière année, deux rapports étoffés ont documenté à quel point le Québec traîne la patte. En septembre 2021, le rapport du Sommet du hockey féminin rappelait que beaucoup moins de filles pratiquaient ce sport au Québec qu’en Alberta et en Colombie-Britannique, deux provinces pourtant beaucoup moins populeuses. En 2019-2020, il y avait presque huit fois plus de joueuses en Ontario que dans la Belle Province.

Il n’est donc pas dénué de sens que la représentation dans les équipes nationales soit le reflet de ce phénomène. Le rapport du Comité québécois sur le développement du hockey, déposé l’hiver dernier, a d’ailleurs formulé une série de recommandations afin de stimuler le hockey féminin.

Une certaine perception demeurait toutefois dans l’esprit collectif. Celle selon laquelle les gardiennes de but se soustrayaient à cette tendance. Les performances d’Ann-Renée Desbiens aux récents Jeux olympiques de Pékin ont laissé tout le pays sans voix. Elle a succédé à ses compatriotes Manon Rhéaume, Kim St-Pierre et Charline Labonté, qui ont brillé depuis le retour des femmes aux Jeux, en 1998.

Ève Gascon, qui évolue pour l’équipe masculine des Patriotes du cégep de Saint-Laurent, a pour sa part disputé deux matchs avec les Olympiques de Gatineau au cours de la dernière saison. Nombreux sont les observateurs qui voient en elle une prochaine grande vedette de l’équipe canadienne devant le filet.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Ève Gascon

Au camp estival de Hockey Canada, toutefois, on retrouvera une seule autre Québécoise à cette position : Arianne Leblanc, qui tentera de décrocher un poste chez les M18. Elles seront donc 3 sur 19 gardiennes au total (15,8 %).

Quand on regarde l’historique récent de l’équipe nationale M18, on constate que l’étoile des gardiennes québécoises a pâli. De 2012 à 2019, soit entre les passages de Desbiens (2011) et de Gascon (2020), des Québécoises se sont vu confier le filet pour seulement 5 des 41 matchs de la formation canadienne aux Mondiaux. Celles qui ont disputé ces rencontres, Edith D’Astous-Moreau (4) et Mahika Sarrazin (1), ne sont plus dans le giron de Hockey Canada.

Manque d’entraîneurs

Simon Grondines ne se fait pas prier pour discuter de cette tendance.

Entraîneur des gardiennes pour l’équipe québécoise M18 qui sera des Jeux du Canada en 2023, il connaît parfaitement l’état des forces devant les filets de la province.

Il croit fermement au potentiel d’Arianne Leblanc d’être des prochains Mondiaux. Et il voit arriver une tonne de talent dans les cohortes nées en 2007 et 2008.

Le creux de vague des dernières années — à l’exception d’Ève Gascon —, il l’a toutefois constaté. Même aux Jeux olympiques, Desbiens s’est élevée en 2022 après un long règne de l’Albertaine Shannon Szabados.

Ce phénomène, il l’explique, tristement, avec beaucoup de spontanéité.

PHOTO TIRÉE D’UNE VIDÉO YOUTUBE DE HOCKEY QUÉBEC

Il manque d’entraîneurs. C’est vrai du côté des garçons, mais encore pire chez les filles. Celles qui évoluent dans des équipes masculines, elles auront un entraîneur des gardiens. Mais dans bien des équipes bantam et midget AAA féminines, il n’y en a pas. C’est d’autant plus difficile de développer des gardiens quand on sait que l’outil numéro 1 est l’encadrement.

Simon Grondines, entraîneur des gardiennes pour l’équipe québécoise M18

La pénurie est particulièrement criante loin des grands centres. « Il y a un vrai manque de formation, déplore Simon Grondines en entrevue téléphonique. Un parent bénévole va embarquer sur la glace et faire ce qu’il peut, mais il n’a pas les qualités nécessaires pour faire monter [les gardiennes] à un autre niveau. »

Celui qui réside à Québec s’est fait approcher, récemment, par un club de la Rive-Sud de Montréal pour faire du mentorat à distance auprès d’entraîneurs locaux. Un niveau d’intervention nettement insuffisant, selon lui, pour « enligner des cliniques et faire le suivi des progressions ».

En outre, indique-t-il, le bassin de joueuses ontariennes est tellement démesuré qu’invariablement, elles ont pris une place plus importante dans les sélections nationales. La preuve, si elle était encore à faire : au cours des 10 dernières éditions du Mondial M18, une Ontarienne a obtenu la majorité des départs canadiens à cinq reprises.

Valorisation

Danièle Sauvageau, l’une des figures les plus connues du hockey au Québec, connaît les défis du volet féminin sous toutes ses coutures. Le Centre de haute performance 21,02, qu’elle a cofondé, a organisé le Sommet du hockey féminin en 2021. Et elle siégeait au Comité québécois sur le développement du hockey, qui a recommandé à l’État toute une série d’actions pour repenser ce sport de bas en haut, depuis le recrutement des talents à un jeune âge jusqu’à la formation d’une nouvelle génération d’entraîneures.

La valorisation du hockey féminin est au cœur de la démarche, jusque dans les détails les plus élémentaires. Notamment afin de « s’assurer que les petites filles qui s’inscrivent soient les bienvenues et [de] cesser de les diriger vers d’autres sports », dit Danièle Sauvageau en entrevue.

L’Ontario a « commencé à organiser le hockey féminin il y a plus de 25 ans », poursuit-elle. « Les choses ne se font pas toutes seules, ils se sont mis à la tâche. »

Les constats qu’elle dresse sur son sport s’appliquent à toutes les positions, « mais il faut y aller d’une manière encore plus spécifique » avec les gardiennes, note-t-elle.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Il faut s’assurer qu’il y ait des spécialistes, sur le plan technique, oui, mais aussi dans le développement des habiletés générales et athlétiques. Tout doit être là.

Danièle Sauvageau

Les défenseures sont dans le même bateau que les gardiennes, rappelle-t-elle. Vérification faite, de toutes celles qui seront évaluées à Calgary cette semaine, seulement 3 sur 43 sont québécoises.

Depuis des années, Danièle Sauvageau milite pour la création de structures qui permettront aux hockeyeuses de continuer à jouer après leur passage à l’université. Elle salue donc l’arrivée de ligues (elle appuie sur l’emploi du pluriel) à Montréal, notamment la PHF.

Cette « offre de services » bonifiée permettra aux jeunes femmes de poursuivre leur développement sur la glace et d’aller au bout de leur potentiel, qui n’est pas nécessairement atteint au début de la vingtaine. Les gardiennes, qui évoluent à une position « à développement tardif », en seraient les premières gagnantes.

Tout cela afin que le programme national ne soit plus le seul véhicule du hockey d’élite pour les femmes. Et que celles, gardiennes ou autres, qui n’ont pas reçu leur invitation pour Calgary aspirent à ravoir leur chance dans le futur plutôt que de faire une croix sur leur carrière.

Une version précédente de ce texte portait le titre « L’étoile des gardiennes québécoises a pâli »