« Je suis très mal à l’aise, il n’y a aucun doute là-dessus. J’essaie d’être le plus objectif, le plus juste possible. Mais oui, j’ai été très affecté. »

Jocelyn Thibault ne jette pas Hockey Canada sous l’autobus. Mais il ne cherche pas non plus à défendre l’organisme. Au contraire.

La série de scandales qui a récemment secoué la fédération nationale a eu des répercussions partout au pays, notamment du côté de ses antennes provinciales. Hockey Québec s’est malgré elle retrouvée au cœur de la tempête. Son directeur général a donc trouvé l’été long et, avec ses homologues des autres provinces, il talonne désormais les dirigeants de Hockey Canada afin d’en savoir davantage sur ses mécanismes de gouvernance et sur les changements structurels et culturels qu’ils ont promis d’implanter.

En avril dernier, Hockey Canada a, dans le cadre d’une entente à l’amiable, réglé une poursuite au civil intentée par une jeune femme alléguant avoir été violée par huit hockeyeurs en 2018. On a par la suite appris que l’organisme s’était satisfait d’une enquête dite indépendante laissée incomplète, et qu’il puisait depuis des années des sommes à même un fonds spécial afin de conclure des ententes avec des victimes d’agression sexuelle sans se retrouver devant les tribunaux. Ce fonds était entre autres financé par les cotisations des jeunes athlètes de partout au pays.

Devant le comité du Patrimoine, à la Chambre des communes, les dirigeants de Hockey Canada ont avoué que, depuis 33 ans, 22 victimes avaient reçu jusqu’à 12,45 millions de dollars, et ce, par le truchement de diverses sources de financement.

À la tête de Hockey Québec depuis un peu moins d’un an, Jocelyn Thibault est, comme bien du monde, tombé des nues lorsque les premiers détails de l’affaire ont été révélés, le printemps dernier. Il a demandé des explications, mais, de prime abord, n’en a pas reçu. « On n’en avait pas plus que le reste de la population », a-t-il expliqué à La Presse, jeudi dernier, en marge du lancement de la saison 2022-2023 de la Ligue de hockey junior AAA du Québec. Il aura fallu que les fédérations provinciales et territoriales posent un ultimatum à l’organisme national avant d’avoir accès à plus de « transparence » – voir le texte suivant à ce sujet.

Comme père

Cette crise, Thibault dit l’avoir vécue « comme papa, comme gars de hockey et comme administrateur ».

Père de trois jeunes femmes, l’ancien gardien du Canadien de Montréal avoue qu’il a probablement une plus grande « sensibilité » que d’autres à l’égard de sujets aussi délicats. Âgées de 19, 21 et 23 ans, ses filles sont, de surcroît, des hockeyeuses. Comme sa femme et lui, elles ont été « affectées » par les révélations qui se sont succédé tout l’été.

On en a beaucoup parlé dans les soupers de famille. Ça a brassé.

Jocelyn Thibault, DG de Hockey Québec

Autant en son nom qu’en celui de la fédération qu’il dirige, il exprime le souhait que « justice soit rendue ».

« Si des gens ont fait des gestes répréhensibles — pardon, le mot est trop faible. Si des personnes ont commis des gestes criminels, car c’est bien ça que c’est, elles devront en répondre. Il faut absolument que la lumière soit faite là-dessus. »

La police de London, qui avait fermé son enquête sur l’agression de 2018, l’a rouverte au cours des dernières semaines. Hockey Canada a également ranimé l’enquête interne qu’elle avait aussi mise sur la glace. La LNH mène également son enquête.

Entre deux feux

Comme administrateur, Jocelyn Thibault a dû, d’une part, se démener pour comprendre la situation adéquatement et, d’autre part, composer avec les associations régionales qui fulminaient de voir la manière dont la fédération nationale utilisait leur argent.

Le DG s’est retrouvé entre deux feux. L’utilisation qui a été faite du Fonds d’équité nationale créait un malaise évident. Ce fonds d’urgence a été créé pour dédommager des joueurs ou joueuses victimes de blessures qui ne sont pas couvertes par les assurances de Hockey Canada. Les multiples ententes à l’amiable conclues grâce à cet argent avaient été gardées secrètes.

Or, il devait rappeler à ses membres et aux parents que « le programme d’assurances de Hockey Canada est excellent ».

Nos jeunes sont bien assurés. Ce n’est pas la question. Il fallait donc expliquer aux gens que, non, ce n’est pas vrai que 100 % de l’argent qu’ils versaient servait à payer des viols.

Jocelyn Thibault, DG de Hockey Québec

Un fonds de prévoyance, dit-il par ailleurs, « c’est non seulement correct, mais c’est nécessaire ». « C’est de la bonne gestion. Maintenant, qu’est-ce qui est fait avec ? On a posé des questions et eu des réponses. On doit rassurer les gens pour qu’ils sachent que l’argent qu’ils nous donnent, ce n’est pas pour acheter des clauses de confidentialité. »

Changements

Comme « gars de hockey », Jocelyn Thibault est bien placé pour savoir que son sport est à la croisée des chemins. Lui-même a évolué dans les rangs juniors au début des années 1990, avant d’accéder aux rangs professionnels. Il a pris sa retraite en 2008 après une carrière professionnelle de 13 ans au cours de laquelle il a disputé presque 600 matchs dans la LNH.

Jamais, martèle-t-il, il n’a eu connaissance de « viols ». Mais il concède qu’« il y a des affaires qui étaient tolérées il y a 30 ans qui ne le sont plus ». Au même titre qu’« il y a 20 ans, un entraîneur pouvait dire des choses à ses joueurs qu’il ne peut plus dire aujourd’hui ».

Il ne nie pas les enjeux de masculinité toxique au hockey, mais insiste pour que les changements à apporter soient encore plus importants.

La culture du hockey, c’est sûr qu’il faut la changer, et on est en train de la changer. Mais je veux aussi qu’on parle d’intégrité, du ton entre les parents et les joueurs, ou entre les parents et les officiels et les entraîneurs. Je veux qu’on s’assure que les joueurs sont sélectionnés de la façon la plus objective possible, que le plaisir des joueurs soit mis au premier plan… C’est large, la culture du hockey.

Jocelyn Thibault, DG de Hockey Québec

La diversité sexuelle et ethnique doit faire partie de la conversation, ajoute-t-il.

Le sport, dit-il encore, n’échappe pas aux changements sociaux de son époque. Thibault évoque les nombreux milieux qui ont été secoués par des scandales de nature sexuelle et dont la culture a été montrée du doigt. Il donne en exemple l’industrie québécoise de l’humour.

« Dans la société, de façon générale, nos comportements doivent changer. Le hockey fait partie de ça. »

Il prône « la pédagogie et la sensibilisation » pour assainir son sport. « Les gens commencent à cliquer, assure-t-il. C’est notre job de continuer à taper sur le clou. »

« Il arrive parfois que des évènements malheureux accélèrent des changements culturels, conclut-il. Ce qu’on vit depuis quelques mois, c’est très malheureux. Il faut qu’on s’en serve de la bonne façon. »

Les demandes des fédérations « cheminent », selon Thibault

Au début du mois d’août, les 13 fédérations représentant les provinces et territoires du pays ont, d’une même voix, posé un ultimatum à Hockey Canada.

Non seulement a-t-on exigé de l’organisme qu’il fournisse des informations détaillées sur sa gestion des évènements de 2018, mais on a aussi rendu le versement des cotisations pour la saison 2022-2023 conditionnel à une reddition de comptes exhaustive et transparente.

Une liste de huit demandes a ainsi été établie, concernant notamment le déploiement et l’encadrement du Plan d’action pour améliorer le hockey au Canada dévoilé par Hockey Canada quelques jours auparavant. L’élaboration rapide de ce document a été critiquée par des experts et des universitaires, qui le jugent incomplet.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE HOCKEY CANADA

Un mois plus tard, Jocelyn Thibault assure que « le dossier chemine ». Peut-être pas à la vitesse grand V, mais déjà, on dit se sentir moins dans l’inconnu.

Les directeurs généraux de chaque fédération ont désormais des rencontres hebdomadaires avec les dirigeants de Hockey Canada. Le plan d’action, souligne Thibault, n’est « pas final ». Les provinces et territoires doivent toutefois suivre pas à pas son évolution, puisque ce sont ces instances qui, au bout du compte, le mettront en place. Afin, note le DG, que ce qui s’est produit « n’arrive plus ». Déjà, il salue des améliorations sur le plan de la transparence.

L’avenir de Scott Smith

Par ailleurs, ni lui ni Hockey Québec ne désirent prendre position quant à la légitimité de Scott Smith, président de Hockey Canada. Le gestionnaire a été la cible d’innombrables critiques au cours des derniers mois, au point où tous les principaux partis fédéraux ont réclamé son départ. La semaine dernière, après que le conseil d’administration de l’organisme eut réitéré sa confiance en Smith, le premier ministre Justin Trudeau a, au contraire, répété que les Canadiens avaient perdu confiance en Hockey Canada.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Scott Smith, président de Hockey Canada

Hockey Québec, toutefois, observe un droit de réserve… pour l’instant. « On est en train de faire le processus qu’on a nous-mêmes demandé qu’ils fassent avec nous », rappelle Thibault.

Au terme de cette démarche, le conseil d’administration de Hockey Québec devrait toutefois se prononcer.