(New York) Il est presque minuit, jeudi, quand l’entretien avec Tanya Bossy s’amorce. « C’est correct, je suis une couche-tard ! », précise-t-elle.

La fille de Mike Bossy est en pleins préparatifs. Elle, sa sœur, sa mère et leurs proches prenaient la route de New York, vendredi, en vue du duel Canadien-Islanders de ce samedi.

La famille y est conviée parce que ce sera la soirée Mike Bossy. Les 10 000 premiers spectateurs recevront une figurine à l’effigie du regretté numéro 22, mais l’importance de cette soirée dépasse largement une simple babiole de plastique.

C’est qu’en plus de la famille Bossy, la fondation Cancer pulmonaire Canada (CPC) a été invitée à l’évènement. Mike Bossy a succombé à un cancer du poumon en avril dernier, et la famille s’est donné pour mission de faire avancer la cause afin d’éviter d’autres départs hâtifs comme celui de l’ancienne légende des Islanders.

Pour l’occasion, CPC installera un kiosque au UBS Arena afin de faire connaître sa cause, et les profits du tirage moitié-moitié de la soirée lui seront entièrement remis. Une initiative remarquée, puisqu’il est plutôt inusité qu’une équipe s’associe de cette façon à une cause d’un marché qui n’est pas le sien.

Prévention

Tanya Bossy se souvient encore de ce moment, quelque part à l’automne 2021. Le DKevin Jao venait d’annoncer à son père qu’il souffrait d’un cancer du poumon.

« Je disais au docteur : “Opérez-le, enlevez la tumeur.” Il disait : “Ben non, il est trop tard.” J’avais beaucoup de frustration, d’incompréhension. Comment ça se fait qu’on n’est pas capables de voir ça, au Canada, en 2021 ? »

Il était trop tard, comme c’est trop souvent le cas avec ce type de cancer. « Le problème de la majorité des patients qui en souffrent, c’est qu’on ne sent pas la petite tumeur qui pousse dans le poumon, rappelle le DJao, oncologue à l’hôpital du Sacré-Cœur, qui a suivi Mike Bossy pendant sa maladie.

Quand les symptômes apparaissent, la maladie est trop avancée. Mike s’est présenté un an après avoir ressenti des douleurs, qui avaient été mal diagnostiquées à l’origine. Et on est tombés presque par accident sur le cancer.

Le DKevin Jao, oncologue à l’hôpital du Sacré-Cœur

Le hic, c’est qu’il n’existe pas, comme on le voit pour d’autres cancers, de programme de détection du cancer du poumon. Or, selon CPC, 13 % des cancers diagnostiqués sont pulmonaires, et ils représentent le quart des décès liés au cancer.

« On n’a pas l’équivalent des mammographies et des colonoscopies », rappelle le DJao. Depuis un an et demi, Québec a cependant mis sur pied un projet pilote de détection pour offrir « aux Québécoises et Québécois de 55 à 74 ans présentant un risque élevé de développer un cancer du poumon un ensemble de services », lit-on sur le site du gouvernement.

Consultez les détails du projet pilote sur le site du gouvernement

Déstigmatisation

La prévention est donc centrale dans la mission de la famille Bossy. Mais la déstigmatisation est tout aussi importante.

Mike Bossy et Guy Lafleur nous ont quittés à une semaine d’intervalle l’an dernier, et dans un cas comme dans l’autre, leur passé de fumeur a été soulevé par plusieurs.

« C’était l’époque où les joueurs fumaient. On ne niera jamais que la cigarette a un lien avec ce cancer et on continue à rappeler qu’il est préférable d’arrêter de fumer, convient le DJao. Mais on veut éliminer la stigmatisation des fumeurs. Le cancer du poumon est celui qui suscite le moins de sympathie. Les gens disent : ils ont couru après. Or, il ne faut pas oublier qu’il y a une personne derrière ça, une personne qui a peut-être fumé à une époque où c’était plus accepté qu’aujourd’hui.

Certains de mes patients, même si ça fait 30 ans qu’ils ne fument plus, auront toujours l’étiquette de fumeur. C’est sûr qu’on veut que les gens arrêtent de fumer. Mais la stigmatisation doit arrêter, parce que la culpabilité, c’est difficile.

Le DJao, oncologue à l’hôpital du Sacré-Cœur

Tanya Bossy en sait quelque chose. « Je me faisais demander : “Combien de paquets il fumait ? Pendant combien de temps il a fumé ? Est-ce qu’il a arrêté ?” Je suis pour la promotion de saines habitudes de vie, mais ce genre de question là, ça ne mène nulle part.

« Juste un diagnostic, en soi, c’est souffrant physiquement, psychologiquement. En six mois, mon père a dû faire le deuil de ses relations. Déjà ça, c’est lourd. Si en plus, on subit une stigmatisation associée à la responsabilité de la personne, c’est encore plus cruel, et ça ne mène nulle part. »

C’est donc pour passer ce message que Tanya Bossy et ses proches se rendront là où Mike Bossy a écrit sa légende, il y a une quarantaine d’années. Pendant une décennie, Bossy a fait vibrer les banlieues new-yorkaises, et, en ce samedi soir, ce sera l’occasion pour les partisans de le remercier, à travers ses proches.

« Souvent, je me demande ce que mon père aurait fait si c’était moi qui étais partie. Et je sais que c’est quelque chose qu’il aurait fait. Donc ça me rapproche de lui. Mon père rayonnait. Partout où il allait, les gens souriaient. Il n’est plus là, donc c’est la responsabilité des gens qui sont encore ici de continuer à faire sourire les gens. Moi, ça me permet de faire la paix avec mes frustrations. »