Vincent Lecavalier évolue dans l’ombre chez le Canadien, mais il ne chôme pas pour autant.

Depuis janvier, le conseiller spécial de Kent Hughes prépare l’important repêchage qui attend le Canadien dans quelques mois, au cours duquel l’organisation pourrait choisir deux fois parmi les 15 premiers espoirs.

L’ancienne gloire du Lightning de Tampa Bay analyse à la loupe le jeu de la cinquantaine de meilleurs espoirs, de chez lui en Floride, en se gardant bien à l’abri de toute opinion extérieure, de façon à se forger sa propre opinion.

« Il y a toujours des petites affaires qui peuvent t’échapper sur vidéo, mais avec mon expérience du repêchage de l’an dernier, tu vois quand même 95 % du comportement du joueur sur la glace sans te déplacer et tu peux voir davantage de matchs et de situations », a-t-il confié à La Presse au téléphone ces derniers jours, entre deux séances de ski en famille au Colorado pendant la relâche.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Kent Hughes et Vincent Lecavalier

Lecavalier, intronisé vendredi au Temple de la renommée du Lightning avec Phil Esposito et Martin St-Louis, après avoir amassé 874 points en 1037 matchs à Tampa, ne se contente pas de regarder un ou deux matchs de chaque espoir.

Pour chaque joueur [à évaluer], j’essaie de regarder des matchs de cette saison, de l’an passé, ses matchs aux compétitions internationales.

Vincent Lecavalier

« Le plus difficile est d’établir des comparaisons entre des joueurs de différentes ligues, dit-il. Il faut savoir évaluer le jeune qui évolue en Europe avec des hommes en Europe comparativement à ceux dans les rangs juniors ici, par exemple. »

Après avoir analysé le jeu de cette cinquantaine de joueurs, Lecavalier se rendra à Bâle, en Suisse, le mois prochain, pour assister au Championnat mondial des moins de 18 ans.

« Je vais passer les dix jours du tournoi avec Kent, explique Lecavalier. La plupart des gars qui nous intéressent s’y trouveront. L’évaluation sera plus précise parce qu’ils seront tous réunis sur une même glace, au même âge, dans un niveau semblable. Il pourrait y avoir des petits changements sur nos listes. »

Lecavalier a eu un rôle actif à jouer lors du repêchage de 2022 à Montréal. Le Canadien y a repêché entre autres Juraj Slafkovsky (1er), Filip Mesar (26e), Owen Beck (33e) et Lane Hutson (62e). Notre homme les connaissait déjà sous toutes les coutures.

« Kent [Hughes] a commencé l’an dernier en m’envoyant des noms. Pas seulement des espoirs, mais aussi des joueurs potentiels à acquérir dans des échanges, confie Lecavalier. Il se contentait de me donner les noms, sans rien me dire d’autre pour ne pas m’influencer. [Pour le repêchage], j’ai commencé avec cinq ou six gars, mais plus j’en voyais, plus je voulais en voir d’autres. J’y prenais goût. Je me suis présenté aux meetings, je me sentais préparé. »

Les qualités principales recherchées par Vincent Lecavalier chez les jeunes joueurs ? « Il y a certaines différences d’une organisation à l’autre, mais pour moi, la détermination est importante. Va-t-il chercher la rondelle dans les coins ? Est-ce qu’il reste en périphérie où il transporte la rondelle à l’intérieur où ça fait mal pour que les choses marchent ? Est-ce qu’il s’efface en séries ? Mais l’intelligence sur la glace reste primordiale. Il doit prendre les bonnes décisions avec et sans la rondelle. »

Vincent Lecavalier ne veut pas non plus que son jugement soit altéré par les statistiques avancées dans la première phase de son analyse.

« Je peux les utiliser plus tard, mais je veux garder un regard neuf au début. Je vais quand même demander certaines informations à l’occasion : il y a combien de centres numéro un de moins de 6 pi dans la LNH ? Combien de défenseurs défensifs de moins de 6 pi 1 po ? Je veux au moins avoir certaines tendances générales. »

Des yeux sur Juraj Slafkovsky

Le premier choix au total par le Canadien en 2022 n’en était probablement pas conscient, mais il était épié de près par Lecavalier en première moitié de saison. Il constituait l’un des principaux projets du conseiller spécial de Kent Hughes.

Je regardais les matchs du Canadien avec une attention particulière à Slafkovsky. J’analysais chacune de ses présences. Puis je donnais mon opinion à Kent et à Adam Nicholas, le directeur du développement de l’équipe.

Vincent Lecavalier

Lecavalier est bien placé pour comprendre Slafkovsky et ses défis. Premier choix au total de la LNH en 1998 au physique comparable à celui du Slovaque, bien qu’un peu moins costaud, le Québécois a amassé seulement 28 points, dont 13 buts, en 82 matchs à sa première saison dans la Ligue nationale, à 18 ans. Il a connu des hauts et des bas lors des trois saisons suivantes, avant de prendre son envol pour de bon à 22 ans, après une saison modeste de seulement 37 points.

« La première année n’est pas facile. Les gens peuvent bien dire qu’il mesure 6 pi 4 et pèse 240 lb, il a 18 ans pareil. Il a un apprentissage à faire. En plus, il passait de l’Europe au style nord-américain. Il devait apprendre à suivre les bons tracés sur la glace, avec et sans la rondelle. Il avait beaucoup de choses à assimiler en même temps. »

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Juraj Slafkovsky

Lecavalier admet s’être parfois senti comme un chien dans un jeu de quilles avec le Lightning à 18 ans. « Je n’avais aucune idée de ce que ça pouvait représenter, jouer dans la LNH. La constance, ça peut prendre six, sept huit ans à obtenir. À 18 ans, je ne prenais pas les bonnes décisions avec la rondelle. J’avais l’habitude dans les rangs juniors d’essayer de déjouer tout le monde aux lignes bleues. »

Notre homme n’a pas mis de temps à se faire sermonner. « À un moment donné, à mon cinquième match, je crois, mon ailier Sandy McCarthy s’est fâché et il m’a dit assez sèchement de shipper la rondelle vers lui plus rapidement. Ça m’avait surpris. J’en avais presque les larmes aux yeux. »

Slafkovsky, 10 points en 39 matchs au moment de subir sa blessure, et aussi le seul joueur la cuvée 2022 à temps plein dans la LNH, donnait parfois l’impression de réfléchir sur la glace. Avec raison. Il avait des consignes à suivre en attendant que les automatismes soient acquis.

« Tu te places où, en zone neutre, quand tu n’as pas la rondelle ? Et quand tu sors du coin, dans quel espace te places-tu après avoir donné la rondelle à un de tes joueurs ? Il y a beaucoup de zones grises dans le hockey. Kent et Adam lui donnent des choses spécifiques à faire pour apprendre. »

La blessure permet à Slafkovsky d’apprendre avec un certain recul. « Il analyse tous les matchs sur vidéo pour apprendre justement quoi faire sur la glace. Il a du talent, il est gros, il est fort, il patine, mais ça prend du temps. »

Le phénomène Lane Hutson

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Lane Hutson

On demande à Vincent Lecavalier de nommer le premier espoir du CH qui lui vient en tête. « [Lane] Hutson, répond-il spontanément. Il est tellement intelligent, c’est un surdoué. C’était complètement fou au camp de développement à trois contre trois l’été dernier. Tu aurais mis n’importe qui de la Ligue nationale sur la glace et il aurait dominé. Son cerveau travaille différemment.

« Ce qu’il réalise à 18 ans dans la NCAA [44 points en 34 matchs, finaliste au trophée Hobey-Baker remis au joueur par excellence] est incroyable, poursuit Lecavalier. En plus, il a encore un corps d’adolescent. Ça n’est pas un homme encore, c’est ça qui est excitant. Il va devenir plus fort physiquement. »

On parle beaucoup de la défense du Canadien dans le futur, il peut avoir un gros impact.

Vincent Lecavalier

Lecavalier a vu beaucoup de ses matchs sur vidéo avant le repêchage et adorait le jeune homme, mais on a presque attendu deux rondes avant de le choisir. On a même misé sur Filip Mesar et Owen Beck avant lui.

« En fin de compte, on a pris une décision incroyable, on l’aimait tous beaucoup, mais il y a combien de défenseurs de 5 pi 8 po et 150 lb dans la Ligue nationale ? Ça fait peur. Tu ne peux pas en avoir quatre comme ça dans une équipe. Mais il est tellement intelligent qu’il peut faire une différence. Il sortirait probablement dans le top 15 si le repêchage était à refaire. »

L’ancien capitaine du Lightning s’est rendu compte à force d’y travailler que le repêchage constituait une science inexacte. « Il y a des gars que j’adorais avant le repêchage, on les a ratés parce que d’autres clubs les ont choisis avant et ça ne va pas bien du tout pour eux cette année. C’est très difficile à évaluer, surtout à 17 ans. »

Lecavalier se plaît dans ses fonctions et il résiste à la tentation de se projeter dans l’avenir. « Mes enfants sont encore à un âge où je ne veux pas regarder trop loin. J’occupe un rôle qui me plaît et j’adore mes conversations régulières avec Kent et Jeff. »