Le pauvre Adam Smith doit se retourner dans sa tombe. Si on extrapole sa pensée exposée dans La richesse des nations et qu’on l’applique au hockey, le Canadien devrait tout détruire sur son passage en ce début de printemps.

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C’est toutefois un Tricolore encore une fois à bout de ressources qui s’est présenté au Centre Bell mardi, s’inclinant 5-0 devant les Red Wings de Detroit.

Les spectateurs présents dans les gradins ont eu droit à un deuxième spectacle désolant de suite, après la défaite de 3-0 de samedi contre les Hurricanes. On pourrait ajouter que le rapport qualité-prix du 5-2 contre la Floride, jeudi dernier, n’était guère mieux, sauf évidemment pour les partisans des Panthers.

« Plusieurs gars se battent pour un poste l’an prochain, que ce soit ici ou pour un contrat ailleurs », observait un Nick Suzuki découragé, après la joute.

Sean Farrell arrive chez les pros et souhaitera faire comme Jordan Harris et court-circuiter la Ligue américaine. Jonathan Drouin, Denis Gurianov, Jesse Ylönen, Chris Tierney et Michael Pezzetta seront sans contrat à la fin de la saison, dans des réalités bien différentes. Rem Pitlick, Justin Barron et Chris Wideman doivent démontrer qu’ils n’ont pas passé la majorité de la saison dans la LNH par défaut, en raison des blessures.

Bref, ça fait beaucoup de joueurs à la recherche de l’intérêt individuel, ce qui devrait mener à l’intérêt collectif, si Claude Montour ne nous a pas menti dans les cours d’économie au collège Ahuntsic à une autre époque.

« Une équipe est toujours la somme de ses parties, mais dans ces situations, tu dois identifier ta motivation, a observé Mike Matheson. Une fois que l’équipe est éliminée, tu peux t’attarder davantage aux motivations individuelles pour transporter l’équipe. Mais au bout du compte, les succès collectifs doivent toujours primer. »

Les blessures sont évidemment dures à écarter de l’analyse, quand une équipe est privée de 13 éléments comme l’est actuellement le Tricolore. Avec autant d’absents, on se retrouve avec Ylönen, Pitlick et Gurianov en avantage numérique. En six minutes de jeu à cinq contre quatre, le CH a obtenu trois maigres tirs.

On se retrouve aussi avec les jeunes Farrell et Ylönen dans un premier trio. Farrell jouait contre des universitaires il y a à peine deux semaines et s’est retrouvé en confrontation directe avec le sublime Moritz Seider, dont le nom circulera pour le trophée Norris avant longtemps.

« Ce n’est pas facile quand tu n’as pas les armes que tu penses avoir, a concédé Matheson. Mais c’est hors de notre contrôle et ça ne changera pas dans les quatre derniers matchs, donc ça ne sert à rien de s’en servir comme excuse. Peu importe la situation, c’est un privilège de jouer dans cette ligue et tu ne sais pas combien de temps tu auras ce privilège. De simplement jouer sans émotion les quatre matchs serait un manque de respect pour la chance qu’on a d’évoluer dans cette ligue. »

Le constat est d’autant plus crédible qu’il vient de la bouche d’un des vétérans qui conserve la pédale au plancher, même si lui ne se bat pas pour sa sécurité d’emploi.

Quel collectif ?

Trouver une direction collective, un but commun, à toutes ces individualités, aussi tard dans la saison, relève donc du défi.

« Plusieurs joueurs viennent de revenir de blessures, on a aussi de nouveaux joueurs, a rappelé Martin St-Louis. On a de nouvelles blessures, d’autres joueurs qui rentrent. C’est dur d’avoir de la continuité, d’avoir le jeu collectif qu’on est capables d’avoir. Ça prend du temps à bâtir ça, avec en plus la fatigue mentale. »

Cette fatigue mentale ne semble toutefois pas se manifester chez les Wings, qui se savent pourtant eux aussi condamnés. Des joueurs établis comme Seider et David Perron ont poussé l’équipe dans ce match, et ont permis à Detroit de remporter une quatrième victoire à ses cinq dernières sorties.

« Ce n’est pas un but ou un point de plus à un joueur qui va changer de quoi pour lui l’an prochain. C’est plus important de bien jouer pour bâtir quelque chose pour l’an prochain », martelait David Perron, après l’entraînement matinal de mardi.

Derek Lalonde, entraîneur-chef des Wings, a d’ailleurs répondu du tac au tac lorsqu’il s’est fait demander à quoi il attribuait les succès récents de son club, dans des circonstances difficiles : « au vestiaire ».

Parlant de leadership, c’est peut-être là une autre conséquence des nombreux blessés. Avec autant de joueurs qui se battent pour leur avenir, ils sont moins nombreux à être en position d’exercer de l’ascendant sur les autres.

En hausse

Nick Suzuki

Si on fait abstraction de ses insuccès aux mises en jeu, il a été l’un des rares à jouer de façon inspirée. Jumelé aux jeunes Sean Farrell et Jesse Ylönen, il a montré l’exemple.

En baisse : Michael Pezzetta

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Michael Pezzetta (55)

Certains soirs, ses mises en échec et son intensité ne donnent pas d’aussi bons résultats. C’était le cas mardi. Il a terminé la soirée à -3.

Le chiffre du match : ,954

Le gardien des Red Wings Ville Husso a blanchi le Canadien pour la deuxième fois cette saison. En quatre matchs contre Montréal, il a montré une efficacité de ,954. Rien pour calmer ceux qui le surnomment « le douanier ».

Dans le détail

Pauvre Primeau…

On ne peut certainement pas lui donner tout le blâme pour la défaite. Mais Cayden Primeau continue d’accumuler les défaites dans la LNH. En 17 départs étalés sur les quatre dernières saisons, il n’a encore remporté que trois matchs. Sa dernière victoire dans l’uniforme du CH remonte au 16 décembre 2021. Depuis, il n’a été impliqué dans aucun gain de son équipe, autant comme partant (huit apparitions) qu’en relève (quatre). En cédant à cinq reprises sur 21 tirs, mardi, il a vu son taux d’efficacité en carrière fondre à ,871. Après la rencontre, Martin St-Louis s’est porté à sa défense. Autant contre les Flyers de Philadelphie, la semaine dernière, que contre les Red Wings, les patineurs devant lui n’ont pas donné grand-chose à leur coéquipier masqué. Mardi soir, surtout, l’entraîneur-chef a attribué les buts accordés à des erreurs individuelles. Il a aussi rappelé que Primeau était « une raison importante » de la présence du Rocket de Laval dans la course aux séries éliminatoires de la Ligue américaine. « Je ne considère pas ce match comme négatif pour lui », a ajouté St-Louis.

Farrell se fait discret

Ce n’est une surprise pour personne, mais les débuts de Sean Farrell dans la LNH sont pour le moins feutrés. Contre les Wings, il a obtenu une promotion sur le premier trio à la gauche de Nick Suzuki et de Jesse Ylönen. À cinq contre cinq, cette unité n’a rien fait de transcendant, et le jeune attaquant n’a pas été tellement plus visible en avantage numérique. Cela étant, il n’a pas été pire que le reste de son équipe. Il était prévisible que pour un joueur de 5 pi 9 po et 175 livres, la transition entre la NCAA et la LNH ne serait pas sans heurt, encore davantage dans une équipe usée au possible. Martin St-Louis a d’ailleurs reconnu que ce n’étaient pas des « circonstances faciles » pour le nouveau numéro 57. « Mais tu vois son potentiel », a-t-il aussitôt ajouté. « Ce n’est pas comme si l’évaluation qu’on en fait présentement allait guider notre décision pour son futur, a repris l’entraîneur. C’est un processus, il va passer au travers. Je pense que ces répétitions vont l’aider à gérer son été, à savoir quoi améliorer. C’est positif pour lui, d’avoir cette expérience-là. »

Perron ne lâche pas

L’âge ne semble pas affecter David Perron. Le Québécois de 34 ans a marqué deux buts et obtenu une mention d’aide contre le Canadien, portant son total de la saison à 22 buts et 53 points. C’est la septième fois de sa carrière qu’il dépasse le plateau des 20 buts et celui des 50 points. « Il fait beaucoup de bonnes choses pour nous, a reconnu Derek Lalonde, entraîneur-chef des Red Wings. Il nous apporte de l’énergie et un niveau de compétition élevé. J’espérais qu’il marque un troisième but à la fin du match ! » Perron aussi, a-t-on constaté, en entendant depuis la galerie de la presse son cri de mécontentement après avoir raté le filet de quelques centimètres dans les derniers instants du match. Sur son premier but, il s’est fait oublier par les défenseurs du Canadien et a profité d’une longue échappée pour servir une feinte magistrale à Cayden Primeau. « Tu as pu te servir de ta vitesse légendaire », a ironisé le journaliste François Gagnon, pince-sans-rire, en fin de soirée. « Exactement, je peux jouer encore cinq ans, ç’a l’air ! », a rétorqué Perron en éclatant de rire.

Simon-Olivier Lorange

Ils ont dit

Je ne pense pas que “découragé” soit le bon adjectif [pour décrire notre groupe]. Peut-être un peu fatigué. On était prêts, on avait de bonnes intentions. J’ai aimé notre début, mais paf, c’était 2-0 et on a commencé à courir après la game. Notre exécution n’était pas excellente, mais on avait de bonnes intentions.

Martin St-Louis

Il m’arbitrait dans le midget AAA. On a eu beaucoup de débats. Je n’ai pas aimé tous ses calls ou non-calls. Mais je lui lève mon chapeau pour avoir traversé toutes les étapes et avoir réussi à arbitrer 1500 matchs. C’est le fun de voir sa longévité, son expérience, la carrière qu’il a eue. Il m’arbitre depuis que j’ai 16 ans. Le monde du hockey est un petit monde.

Martin St-Louis, au sujet de l’arbitre Marc Joannette, dont c’était le dernier match

On a connu un lent départ. On a eu un avantage numérique tôt dans le match et on a été incapables d’en profiter. J’ai aimé notre poussée ensuite, mais plusieurs choses dont on parle continuent de se produire, et on accorde des chances de marquer de qualité. Ça devra être bien meilleur.

Nick Suzuki

Tu dois créer ta propre motivation. On arrive ici et c’est très positif. Mais c’est frustrant pendant les matchs et on est incapables de marquer. C’est dur de chasser la frustration quand ça te rentre dans la tête. Il faut être plus détendus et mieux jouer ensemble.

Nick Suzuki

J’ai adoré le match du début à la fin. On était connectés. Ville [Husso] a été excellent, il a fait de gros arrêts tôt dans le match et semblait en confiance. Les gars ont disputé un match complet, ils ont eu ce qu’ils méritaient.

Derek Lalonde, entraîneur-chef des Red Wings

Je n’ai pas souvent ces échappées. J’ai pris leurs défenseurs de court, j’ai juste fait un pas dans la bonne direction, et j’ai eu assez de place. C’est un bon feeling de marquer un but dans cet amphithéâtre.

David Perron, au sujet de son premier but

Propos recueillis par Simon-Olivier Lorange et Guillaume Lefrançois, La Presse