Avant même de connaître le dénouement de la série entre les Maple Leafs de Toronto et le Lightning de Tampa Bay, Bob Hartley n’en démordait pas : Ryan O’Reilly constituait l’acquisition la plus importante de la LNH avant la date limite des transactions.

La question lui avait été posée à l’aube du cinquième match par son interlocuteur : quel joueur aurait-il rêvé d’obtenir entre Patrick Kane et O’Reilly ?

« O’Reilly, sans même y réfléchir », a répondu l’ancien entraîneur-chef de l’Avalanche du Colorado, des Thrashers d’Atlanta et des Flames de Calgary, en entrevue avec La Presse.

« C’est un joueur fait pour les séries. Patrick Kane est un opportuniste. Tu ne le verras pas du match, mais tu lui donnes la rondelle près du filet adverse et tu sais où elle va aboutir. O’Reilly en amène beaucoup plus : les mises en jeu, les situations critiques en avance, son leadership, les buts à des moments cruciaux. »

O’Reilly a été blanchi dans la sixième rencontre, où John Tavares a joué les héros avec un but un peu chanceux en prolongation, mais un but qui permettait néanmoins aux Leafs de franchir le premier tour éliminatoire pour la première fois depuis 2004. Il a même eu un taux de succès anormalement bas à 15 % sur les mises en jeu lors de cette rencontre.

O’Reilly a néanmoins été l’attaquant le plus utilisé par les Leafs dans cette rencontre après Auston Matthews et Mitch Marner. En six matchs, le joueur de 32 ans a obtenu sept points, dont le but égalisateur et l’aide sur le but gagnant dans la troisième rencontre.

« Où se trouvait-il sur ce but égalisateur en fin de troisième période ? Devant le filet, là où on reçoit des coups de bâton dans les côtes, dit Bob Hartley. Ça n’est pas tout le monde qui veut aller devant le but… »

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Bob Hartley

On devine aussi l’importance de son leadership dans les moments critiques, après le premier match de cette série, entre autres, où Toronto a été écrasé 7-3.

« Les gens disent souvent que la game ne se joue pas dans le vestiaire et c’est vrai. Mais elle commence là, par exemple. Mark Giordano n’a pas beaucoup d’expérience en séries éliminatoires, mais son leadership est digne d’un gagnant de la Coupe Stanley. Je l’ai eu à Calgary, c’est moi qui lui ai donné le “C” après le départ de Jarome Iginla. O’Reilly a gagné à St. Louis. Malgré la présence de Matthews, Marner et compagnie, je suis convaincu que la chambre appartient à ces deux joueurs-là. »

Mais O’Reilly et Giordano n’auraient jamais pu avoir un tel ascendant sur l’équipe s’ils n’avaient pas eu un rôle de premier plan sur la glace.

« Quand tes vétérans ont un rôle important, ils ne sont pas gênés de se lever dans le vestiaire », poursuit notre homme.

La voix du joueur a une portée beaucoup plus importante que celle du coach. L’entraîneur sort du vestiaire après son mot et la pression redescend à zéro. Quand ça vient de l’intérieur, tu ne peux plus te cacher.

Bob Hartley

Bob Hartley aime la façon dont O’Reilly, gagnant en 2019 du trophée Conn-Smythe remis au joueur par excellence en séries, se comporte devant les journalistes.

« Non seulement il montre l’exemple, mais il s’exprime bien. Tu vois son aisance avec les médias. S’il parle comme ça devant les micros, imagine-le devant les joueurs. Et ça, pour moi, c’est important. J’ai vu les Bourque, les Roy et compagnie. C’est ce qui nous manquait à Atlanta. »

Les hommes forts

Bob Hartley ne sait pas si l’entraîneur-chef des Leafs, Sheldon Keefe, partage sa philosophie, mais une fois les séries entamées, il tentait de s’éloigner du vestiaire le plus possible.

Voilà pourquoi il était heureux de compter sur des leaders forts comme Joe Sakic, Peter Forsberg, Patrick Roy et Raymond Bourque lorsqu’il a remporté la Coupe Stanley avec l’Avalanche en 2001, et pourquoi il aurait rêvé d’un O’Reilly au détriment de Patrick Kane s’il avait dirigé les Leafs.

« Le vestiaire appartient aux joueurs. J’essaie d’y aller le moins souvent possible. Je vais dire bonjour aux boys le matin, puis on se rencontre dans la salle vidéo. Je fais le tour du gym, de la salle médicale pour trouver quelqu’un avec qui jaser. Mais je ne veux pas être dans la chambre. C’est leur sanctuaire. »

Notre Franco-Ontarien originaire de Hawkesbury a toujours évité aussi de piquer des crises devant ses joueurs en séries.

« C’est trop tard pour le faire. Si tu es pour miser sur les crises, place tes pions en saison. On a chacun nos recettes, mais moi, en séries, avec des matchs tous les deux soirs, je devais montrer à mes joueurs que j’avais une confiance immense en eux et garder une attitude positive. »

Les reproches dans le vestiaire et les engueulades sur le banc n’ont jamais donné de bons résultats en séries, estime Bob Hartley.

« Tu vas faire des “x” et des “o”, mais ton langage corporel est important, sur le banc, dans le vestiaire, entre les matchs. Tu félicites le joueur de quatrième trio qui en a bloqué trois ou quatre. Ça n’est pas le talent qui te fait gagner en séries, mais les émotions, le désir de se surpasser.

« Tu regardes les gars à la clinique médicale, tu ne peux pas croire qu’ils peuvent jouer le lendemain, et ils sont à leur poste. Si tu commences à crier après les gars, il y a quelque chose que tu ne comprends pas. »

De toute façon, les joueurs n’ont pas à se faire fouetter par leur entraîneur une fois la saison terminée.

Tu joues pour l’honneur en séries éliminatoires. Tu as déjà encaissé tous tes chèques de paye. La Coupe Stanley, c’est un rêve de p’tit gars.

Bob Hartley

« Je me souviens, quand ils me l’ont donnée dans les mains sur la glace du Pepsi Center… j’en ai levé, des poubelles, dans les rues de Hawkesbury en m’imaginant que c’était la vraie Coupe. J’étais Serge Savard, Guy Lafleur ou Ken Dryden quand j’étais gardien. »

Voyons maintenant si les Maple Leafs et leurs nouveaux leaders contribueront au cours des prochaines semaines à ramener la Coupe Stanley à Toronto pour la première fois depuis… 1967.