Cinq appels manqués d’un numéro de Toronto ? Il y a résolument anguille sous roche. Ça ira toutefois à plus tard, la cérémonie commence.

Rater l’annonce de son intronisation au Temple de la renommée du hockey parce qu’on est sur le point d’être nommée chevalière de l’Ordre national du Québec, ça en dit assez long sur la carrière d’une athlète.

Caroline Ouellette s’est retrouvée dans cette situation hors du commun, mercredi. Les appels manqués, c’étaient ceux de Lanny McDonald, principal administrateur du Temple. Le moustachu personnage a traditionnellement l’enviable mission d’appeler les nouveaux intronisés.

Ouellette a donc appris la nouvelle sur le tard, une fois la cérémonie protocolaire terminée à Québec. Un enchaînement d’évènements malheureux… ou pas !

C’était très spécial parce que mes parents l’ont appris en même temps que moi, et toute la famille célébrait leur 48anniversaire de mariage. Je n’oublierai jamais ce moment-là.

Caroline Ouellette

Caroline Ouellette n’évoque pas ses parents par hasard. Pour elle, cette reconnaissance est une manière d’« honorer » ceux qui « en ont tellement fait » pour elle. « Je pense à tous leurs sacrifices, en temps ou sur le plan financier… De voir toute leur fierté, leurs émotions, ça m’a beaucoup touchée ! »

Cette place au Temple, la Montréalaise ne l’a pas volée. Ses 70 points en 59 matchs aux Championnats du monde la placent encore aujourd’hui au septième rang de l’histoire du tournoi – les quatre joueuses retraitées qui la précèdent sont déjà au Temple. Elle a remporté quatre médailles d’or olympiques en autant de participations aux Jeux, inscrivant 26 points en 20 matchs.

Le mois dernier, quelques jours après avoir fêté ses 44 ans, elle a été intronisée au Temple de la renommée de la Fédération internationale. La suite logique l’attendait à Toronto, aux côtés des plus grandes et des plus grands de son sport.

L’honneur résonne tout particulièrement pour celle qui, sans être « la joueuse la plus talentueuse » de sa génération – ses mots, pas les nôtres –, estime avoir d’abord été mue par son « éthique de travail » et son « sens de la compétition ».

Moments marquants

Invitée à citer un élément majeur ou déterminant de sa carrière, celle qui est aujourd’hui entraîneuse à l’Université Concordia ainsi qu’au sein de l’équipe nationale laisse d’abord passer un silence.

Réfléchissant tout haut, elle avoue que la médaille d’or remportée aux Jeux olympiques de Vancouver, « dans notre pays et avec cette foule-là, c’est difficile à battre ». Elle se rappelle aussi le but qu’elle a marqué en prolongation, en 2012, pour donner la victoire au Canada en finale du Championnat du monde. « C’était la première fois que je me retrouvais sous la pile de joueuses et non sur le dessus ! », dit-elle en riant.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Philipp Poulin célèbre le but de Caroline Ouellette face à la Finlande lors des Jeux olympiques 2010, à Vancouver.

Avant même de citer ces deux scènes d’exaltation, elle revient sur une conversation qu’elle a eue en tout début de carrière avec France St-Louis.

Ouellette n’avait pas encore 20 ans. St-Louis en avait 40. Les deux avaient été cochambreuses au Championnat du monde, ce qui a « tellement aidé à la confiance » de la jeune attaquante, au sein d’une équipe très majoritairement anglophone.

Après le tournoi, la vétérane avait amorcé une conversation « courageuse » avec sa cadette au sujet de son conditionnement physique.

« Je n’étais pas en forme du tout, souligne Ouellette. J’étais juste une joueuse de hockey, pas encore une athlète. Mais France, à 40 ans, elle courait plus longtemps que quiconque au test de Léger [la « navette »]. Elle m’avait dit que je ne pourrais jamais rester longtemps dans l’équipe canadienne si je ne faisais pas un 180 degrés dans mon conditionnement. »

La remarque a atteint sa cible. « Il n’y a rien d’autre que je voulais davantage que de jouer avec cette équipe-là. Je suis devenue comme France, parmi les plus en forme. Et j’ai eu le même courage, au cours des années suivantes, avec des plus jeunes. Parce que je sais à quel point ç’a été important dans ma vie. »

Reconnaissance

De fait, les réactions suivant l’annonce de son intronisation lui ont donné une idée de l’ampleur de l’impact qu’elle a eu sur les joueuses de sa génération et des suivantes. Les textos ont afflué d’anciennes coéquipières, comme Jayna Hefford, Kim St-Pierre et Danielle Goyette, mais aussi d’adversaires américaines, comme Hilary Knight ou Brianna Decker. Et bien sûr de celles qu’elle dirige aujourd’hui au sein du programme national : Marie-Philip Poulin, Blayre Turnbull, Sarah Nurse, Emily Clark…

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Caroline Ouellette

Ça me touche beaucoup. Vraiment beaucoup. J’adore chacun des moments vécus avec ces filles-là. Comme je dis toujours : coacher, c’est la deuxième plus belle chose après jouer, parce que je peux vivre ces émotions-là à travers les athlètes.

Caroline Ouellette

Le ton, au bout du fil, trahit combien cette femme assez discrète – en tout cas dans ses apparitions en public – est reconnaissante.

« Tu ne réalises pas tout l’amour que tu reçois quand ça arrive, dit-elle. Naturellement, je pense à tout ce que le hockey m’a apporté, à la chance que j’ai eue. J’ai quand même commencé à 9 ans, plus tard que la plupart des femmes avec qui j’ai joué. Ça m’avait pris deux ans à convaincre mes parents !

« Avoir été la seule fille dans toutes mes équipes jusqu’à 17 ans, je pense que ça m’a donné la drive, la motivation d’en faire plus pour faire en sorte que d’autres filles découvrent le hockey et puissent aimer ce sport comme moi. »

Les rappels du chemin qui reste à parcourir sont toutefois constants. Au cours de la conversation, elle mentionne les femmes « exceptionnelles, super inspirantes » qui ont reçu l’Ordre national du Québec en même temps qu’elle – Janette Bertrand, Guylaine Tremblay…

C’est toutefois un autre type d’immortels qu’elle côtoiera en novembre prochain, pendant le week-end officiel d’intronisation au Temple de la renommée. Elle foulera alors les marches aux côtés de Pierre Turgeon, Ken Hitchcock, Henrik Lundqvist, Tom Barrasso et Mike Vernon. Pierre Lacroix sera aussi honoré à titre posthume.

Ouellette sera donc la seule femme de cette cohorte. Depuis que les deux premières femmes ont été intronisées, en 2010, il n’y en a jamais eu plus d’une par année. Trois fois, il n’y en a eu aucune, et ce, alors que deux places sont systématiquement disponibles pour des femmes. La Québécoise deviendra donc la 10e femme seulement admise au Temple.

Sans partir en croisade, elle rappelle que des candidates ayant connu « des carrières extraordinaires en Amérique du Nord ou en Europe » attendent leur tour. Et qu’avec « toutes les grandes joueuses qui font partie du hockey féminin en ce moment, éventuellement, ce nombre-là va monter ».

On ne peut prédire quand les portes du Temple s’ouvriront davantage pour les femmes. Mais on sait qu’à leur arrivée au Temple, où les attendront les St-Pierre, Goyette, Hefford, Wickenheiser et désormais Ouellette, les futures intronisées seront en fort bonne compagnie.