Peut-on se retrouver, dans la vie, dans une situation si avantageuse qu’elle en devient désavantageuse ? C’est à croire que c’est ce qui est arrivé à Benoît Groulx. Du moins, c’est la question qu’il se pose.

Après sept ans, le mandat de Groulx comme entraîneur-chef du Crunch de Syracuse a pris fin cette semaine, quand le club-école du Lightning de Tampa Bay a annoncé l’embauche de Joël Bouchard.

Selon ce qu’on en comprend, la décision a été prise d’un accord relativement commun. C’est Julien BriseBois, directeur général du Lightning, qui a lancé la conversation au printemps. « Je lui ai dit que je prévoyais revenir, mais il a dit qu’il réfléchissait à un changement, que l’équipe avait besoin d’une nouvelle voix et moi, d’un nouveau challenge. Il m’a demandé d’y penser. »

À première vue, voilà qui ressemble à un congédiement. Mais Groulx avait lui-même amorcé les discussions, il y a deux ans.

Je lui avais dit [à Julien BriseBois] que je ne serais pas éternellement à Syracuse. J’aime l’organisation. Mais est-ce qu’il y a un avenir pour moi dans la LNH ici ? Roy Sommer a coaché le club-école de San Jose pendant 20 ans. Moi, je ne me vois pas faire ça.

Benoît Groulx

« Les coachs, comme les joueurs, ils veulent monter ! Comme ça n’arrivait pas, la réflexion a commencé. »

Deux jours après l’approche de BriseBois, lui et Groulx ont donc convenu de passer à autre chose. Comme on peut le lire dans le communiqué, Groulx demeure au service du Lightning, dans un rôle à déterminer, si l’ancien pilote des Olympiques de Gatineau ne trouve pas un autre boulot cet été.

Rencontré par La Presse à Nashville, BriseBois avait essentiellement la même version des faits.

« Il a fait un excellent travail. Il a sorti tout le jus qu’il y avait à sortir, on était l’équipe la mieux préparée. Mais quand je regardais vers l’avant, je me disais : est-ce que notre groupe, pas qu’il en ait besoin, mais bénéficierait d’avoir un nouveau leader au quotidien, une nouvelle voix, quelqu’un qui challengerait nos façons de faire ? Des fois, du changement, c’est ce qui pousse vers la croissance. Et lui aussi risque d’apprendre plus dans un nouvel environnement. »

Au pire moment

Groulx ne s’en cache pas : à 55 ans, son objectif est encore et toujours la LNH. « Je parle à des équipes, j’ai eu des entrevues. Mais je suis tanné de le dire, ça fait 12 ans que je le dis ! C’est redondant ! »

La bonne occasion ne s’est pas présentée et les postes d’entraîneur-chef sont pourvus partout. Retourner dans le junior ? « Ça ne m’intéresse pas, tranche-t-il. Je l’ai fait 12 ans. »

Ailleurs dans la Ligue américaine ? « Il faudrait vraiment que ce soit une autre très bonne situation. »

On lui fait alors valoir que sa situation à Syracuse, au sein d’une organisation modèle de la LNH, était peut-être justement trop bonne. Le Lightning a gagné la Coupe Stanley en 2020 et en 2021. Sous Jon Cooper, les Floridiens ont aussi perdu en finale en 2015 et en 2022, ont atteint le carré d’as deux autres fois (2016 et 2018).

Cooper, puisqu’on en parle, est l’entraîneur-chef actif détenant le plus d’ancienneté auprès de la même équipe. Il a fêté en mars ses 10 ans à la barre du Lightning.

« Tu m’enlèves les mots de la bouche ! lance Groulx. Le chemin le plus court pour se rendre à la LNH, c’est d’être entraîneur-chef dans la Ligue américaine et de monter, ou d’être adjoint et de devenir entraîneur-chef. Moi, les succès de Coop, ça m’a enlevé la cerise sur le sundae. Et je ne blâme pas Coop, c’est un très bon coach.

« Je suis arrivé dans ce que je pense être mes meilleures années, mais aussi dans les années où le Lightning a gagné deux Coupes de suite. J’ai compris que je ne monterais pas là, car Coop ne s’en ira pas demain matin. C’est logique. Il suffit de le comprendre. »

Prochain chapitre

Groulx nous parle de Syracuse. Il prévoyait rentrer à Montréal ce jeudi pour passer l’été, comme il le fait depuis quelques années, dans le condo de Joël Bouchard. Le même Joël Bouchard qui lui succédera derrière le banc du Crunch. « Les coachs québécois, on se connaît tous ! »

Quelle est la suite ? L’été dernier, de nombreuses rumeurs l’avaient lié aux Coyotes de l’Arizona et à André Tourigny. « On a eu des pourparlers par le passé », reconnaît Groulx. Mais rien d’imminent, assure-t-il.

Chaque année, des entraîneurs finissent par obtenir leur première chance dans la grande ligue. Ce printemps, Greg Cronin (Anaheim), Spencer Carbery (Washington) et Ryan Huska (Calgary) y ont tous eu droit. Cronin était entraîneur-chef dans la LAH, les deux autres étaient adjoints dans la LNH.

Il reste que les entraîneurs francophones ne sont plus représentés autant qu’ils l’ont déjà été. Alain Vigneault, Claude Julien, Michel Therrien et Bob Hartley ont longtemps fait partie des meubles. Mais on ne compte plus que trois entraîneurs-chefs québécois dans la LNH. Deux d’entre eux – Martin St-Louis et Jim Montgomery – ont toutefois fait carrière aux États-Unis pendant des années et leur réseau relève davantage du hockey américain.

Groulx et Pascal Vincent attendent quant à eux patiemment leur tour. Mais notre homme refuse d’y voir une injustice basée sur la langue ou l’origine.

« Tout est une question de timing. C’est trop facile de dire que c’est le fait français. Aujourd’hui, mon réseau de contacts est pas mal plus grand. Mais je sais que ça ne paraît pas ! », ajoute-t-il, dans un éclat de rire.

Il reste que même sans avoir gagné de Coupe Calder, Benoît Groulx a prouvé qu’il pouvait aider une organisation à développer de futurs joueurs. Anthony Cirelli, Erik Cernak et Ross Colton, pour ne nommer qu’eux, sont devenus des ingrédients essentiels du Lightning quand il a réussi son doublé.

Avec la collaboration de Simon-Olivier Lorange, La Presse

Un appel du propriétaire

Julien BriseBois est perçu comme un des meilleurs directeurs généraux de la LNH. On parle moins souvent de lui, mais le propriétaire Jeff Vinik est lui aussi perçu de façon très positive. Ajoutez le nom de Benoît Groulx à ceux qui ont du bien à dire de Vinik. « Hier, ou avant-hier, je suis dans mon auto et je reçois un appel de Jeff Vinik. Il a pris le temps de m’appeler pour me remercier pour mes années à Syracuse, pour me dire que s’il peut faire quelque chose, il va m’aider. Combien de proprios dans la LNH vont appeler leur coach dans les mineures pour le remercier ? C’est ça, le Lightning de Tampa Bay. »