Les Jeux du Canada 2019 ont constitué un laboratoire intéressant pour le hockey. Menée entre autres par Joshua Roy, Olivier Nadeau et Justin Robidas, l’équipe du Québec est repartie avec la médaille d’or, grâce à une victoire contre l’Ontario en finale.

« Je ne sentais pas que l’intimidation faisait partie du jeu, que des provinces essayaient de nous intimider. Et nos joueurs étaient rapides, efficaces avec leur bâton », se souvient Frédéric Lavoie, entraîneur associé du Québec cette année-là.

La particularité de cette équipe ? C’était la première cohorte qui s’était développée avec la règle de la mise en échec dite progressive. Autrement dit, ces joueurs, qui avaient alors 15 ans, disputaient leur première saison avec la mise en échec corporelle, et affrontaient donc des adversaires qui, eux, avaient plus d’années d’expérience avec les coups d’épaule. Et ça n’a pas paru.

C’était à l’image du hockey en général. Le jeu est de moins en moins physique. Ce l’était moins en 2019, et ce l’est encore moins en 2023. L’accent est beaucoup plus mis sur l’approche au porteur, pour créer des revirements.

Frédéric Lavoie, entraîneur associé de l’équipe du Québec aux Jeux du Canada en 2019

C’est au Québec que la mise en échec complète est introduite le plus tard parmi toutes les provinces. Voilà qu’un professeur de l’Université d’Ottawa demande à Hockey Canada de modifier ses règles et de repousser l’âge des mises en échec à 15 ans. Si sa proposition est acceptée, la mise en échec complète serait donc introduite au même âge partout au Canada.

Le professeur en question, c’est Kristian Goulet, de la faculté de médecine de l’Université d’Ottawa.

« Quand j’ai commencé à travailler sur le sujet, en 2012, la mentalité générale était que plus les joueurs sont jeunes quand on les initie à la mise en échec, plus ils apprendront à en donner et à se protéger quand ils en reçoivent une », explique M. Goulet.

Mais nos données sont indiscutables : plus il y a de contacts physiques quand ils sont jeunes, plus il y a de blessures. Ça ne se débat pas. C’est comme les effets du tabac.

Le professeur Kristian Goulet

M. Goulet souligne que les changements apportés au fil des ans aux niveaux inférieurs fournissent aujourd’hui suffisamment de données pour quantifier l’effet de l’interdiction des mises en échec. En 2013, Hockey Canada avait interdit la mise en échec au niveau pee-wee, soit le M13 aujourd’hui. Citant une étude du British Journal of Sports Medicine, M. Goulet indique que le nombre de blessures a diminué de 50 %, et le nombre de commotions, de 64 %, après l’implantation des nouvelles règles.

« Certains disent que notre proposition ne ferait que repousser le problème à un âge plus tardif. Mais on a étudié la question, et il n’y a pas de grandes augmentations des blessures en introduisant la mise en échec à un âge plus tardif, explique M. Goulet.

« Va dans une classe de deuxième secondaire, et tu vas voir de grandes variations dans la maturité physique des jeunes, de l’ordre de 50 ou 60 lb. Mettre ces jeunes sur une même patinoire, en permettant la mise en échec, n’est pas une bonne idée. En repoussant ça à 15 ans, ils sont plus matures physiquement. »

Les réactions

Dans le communiqué de l’Université d’Ottawa annonçant l’étude, le professeur Kristian Goulet exhorte donc Hockey Canada à changer ses règles « pour hausser l’âge d’autorisation des mises en échec corporelles de 13 à 15 ans ».

« On m’a dit : ‟Revenez-nous quand l’étude sera complétée et on fera le point. » Depuis, j’ai envoyé deux courriels pour amorcer une discussion. Je ne sais pas si j’écris à la mauvaise adresse, mais je n’ai reçu aucune réponse », déplore-t-il.

En fin de journée mercredi, Hockey Canada a réagi à l’étude. Dans une déclaration envoyée par courriel, l’instance dit « apprécier et accueillir » le travail « important » de M. Goulet, tout en s’engageant à rendre le hockey « plus sécuritaire » grâce au DMark Aubry, un « leader sur la recherche sur les commotions cérébrales ».

Chez Hockey Québec, on rappelle, dans un courriel, avoir été « pionniers en introduisant la mise en échec progressive ». « [Nous avons été], à notre connaissance, la seule fédération provinciale au Canada à l’adopter », ajoute-t-on.

Cette mise en échec, permise à partir de l’âge de 13 ans au niveau AA, vise « le bâton du joueur adverse […], ayant comme objectif premier de lui faire perdre la rondelle ou de la récupérer, et ce, partout sur la patinoire ».

« En plus de diminuer significativement le risque de blessure chez les jeunes, la mise en échec progressive assure un apprentissage graduel vers la bonne utilisation de la mise en échec corporelle. Lorsque nos équipes participent à des compétitions avec d’autres équipes n’ayant pas adopté cette approche, nous constatons fréquemment que nos joueurs ont un avantage en matière de récupération et de possession de la rondelle par rapport à leurs adversaires. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La mise en échec progressive est permise au Québec à partir de l’âge de 13 ans, au niveau AA.

Hockey Québec a visiblement trouvé un compromis avec cette mise en échec progressive, qui vise les mains et les bras de l’adversaire. Il faudra voir si l’initiative fera des petits dans d’autres provinces, et si l’étude de Kristian Goulet servira de déclencheur.

« Les commotions cérébrales ont des effets cumulatifs, rappelle-t-il, donc il faut tenter d’en réduire le nombre. Je dis souvent à mes patients que 0,03 % des joueurs de hockey mineur vont atteindre la LNH. De ce nombre, plusieurs auront une carrière de moins d’une saison. Alors, disons que tu es un de ces 0,03 % qui s’y rendent, comment vas-tu passer les 50 autres années de ta vie par après ? »

Reste à voir si une harmonisation des règles aiderait la LHJMQ à combler son retard des dernières années sur les autres circuits juniors canadiens quant au nombre de joueurs repêchés dans la LNH. Cela dit, le circuit québécois compte aussi des joueurs des provinces maritimes, qui sont donc soumis à des règles différentes au hockey mineur.