(Buffalo) Le camp d’entraînement, c’est le moment de l’année où tout le monde, ou presque, vise la LNH. C’est particulièrement vrai pour les hauts choix de repêchage, ceux qui ont été habitués à amorcer chaque étape de leur carrière plus rapidement que les autres.

Depuis 2019, Samuel Poulin est un de ces choix de 1er tour. Il a même disputé ses trois premiers matchs dans la LNH l’an dernier, avec les Penguins. Son but au camp cette année ?

Je ne me stresse pas trop avec la LNH ou la Ligue américaine. Honnêtement, s’il faut que je joue dans l’ECHL parce que j’en ai trop perdu, ça sera ça ! Je veux juste jouer au hockey, avoir du fun. 

Samuel Poulin

Sa déclaration détonne par rapport à ce qu’on entend partout en septembre. Mais pour la comprendre, il faut savoir que le jeune homme revient de loin.

En décembre dernier, les Penguins dévoilaient que Poulin mettait le hockey sur pause. « Raisons personnelles », avait écrit l’équipe. En mars, l’attaquant annonçait lui-même son retour et confirmait qu’il avait pris du temps pour soigner sa santé mentale.

PHOTO FOURNIE PAR LES PENGUINS DE PITTSBURGH

Samuel Poulin

Très peu de détails ont filtré, et le jeune homme n’était pas encore prêt à en discuter publiquement, dans les médias. Lors d’une visite du club-école des Penguins à Laval, en avril dernier, les demandes d’entrevue avaient été refusées. Puis, vendredi soir, après son premier match au tournoi des recrues à Buffalo, il s’est entretenu avec cinq journalistes de Montréal pour livrer son message.

Malgré sa mise en garde du départ, soit de « ne pas trop parler de ça », il s’est ouvert pendant une dizaine de minutes. On ne le lui a pas demandé directement, mais on peut deviner que c’est en partie pour aider d’autres jeunes – hockeyeurs ou pas – qui sentent le besoin de prendre une pause.

« C’est le jour et la nuit, lance-t-il. J’ai appris à me connaître, j’écoute mon corps plus qu’avant. Je suis content d’avoir pris ce temps de repos. Au début, je ne le voyais pas comme ça, mais avec le recul, je vois que ça a porté ses fruits et j’en ressors grandi. »

Une blessure invisible

Poulin ne s’en cache pas : le plaisir de jouer n’y était plus. « Je reste vraiment en surface, je ne veux pas rentrer dans les détails, mais j’arrivais à l’aréna et j’étais… », commence-t-il, laissant tomber sa phrase.

« Quand j’ai commencé à jouer à 4-5 ans, j’avais juste un sourire dans la face tous les jours où j’avais un bâton dans les mains. Mais avec les années, j’avais perdu ça un peu. »

C’est le genre de signe qui lui a fait comprendre qu’il devait prendre un temps d’arrêt. Une pause au cours de laquelle il a pu sensibiliser sa famille à des enjeux qui ne faisaient pas vraiment partie des conversations à l’époque où son père, Patrick, jouait dans la LNH.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Déception pour Patrick Poulin (37) et les joueurs du Canadien en avril 2000, alors que l’équipe n’avait pas réussi à se qualifier pour les séries éliminatoires

La sensibilisation, c’était « avec ma mère aussi ! Eux voulaient juste que j’aille bien. Mais ce n’est pas comme une blessure au genou, où tu fais un scan, c’est déchiré, tu vois c’est quoi. C’est plus dur à visualiser, à comprendre. Des fois, il fallait que je leur explique de différentes façons. Éventuellement, ça a eu du sens dans leur tête. Eux aussi ont grandi énormément dans ce processus et ça a juste aidé toute la famille ».

Poulin n’a que de bons mots pour Kyle Dubas, nouveau DG de l’équipe, arrivé en poste cet été, de même que pour l’ancienne administration, chapeautée par Ron Hextall et limogée pendant la saison morte. Dubas et Jason Spezza lui ont confié que des collègues chez les Maple Leafs avaient vécu leurs propres enjeux de santé mentale.

C’est merveilleux qu’on soit rendus là en 2023. Dans le temps de mon père, c’était zéro de même. Il m’en parlait, c’était : “Tu ne dis rien, tu fermes ta bouche, tu rentres à la job.” Je suis content de voir que c’est de moins en moins tabou et que les gens s’ouvrent de plus en plus.

Samuel Poulin

Poulin essaie maintenant de rattraper le temps perdu sur la patinoire, car il n’a joué que « deux matchs dans les neuf derniers mois ». Vendredi, il affrontait les espoirs des Bruins. En fin de match, avec Boston en avance 4-2, les Penguins ont retiré le gardien et demandé un temps d’arrêt. Poulin a eu droit à une présence de près de deux minutes, la pédale au fond.

« Si tu le regardes aller à l’entraînement, tu n’aurais aucune idée qu’il a raté autant de matchs, a prévenu l’entraîneur-chef du club-école des Penguins, J. D. Forrest, après le match. C’est un compétiteur qui fait plein de bonnes choses. Je n’ai aucune inquiétude pour lui.

« C’est toujours bien de voir quelqu’un surmonter des obstacles. Même en faisant abstraction de ce qu’il a vécu, c’est une inspiration pour ses coéquipiers par sa façon de jouer et son dévouement pour son sport. Simplement avec ça, tu peux voir qu’il deviendra un leader. »

D’ici là, Poulin sait très bien qu’il aura encore des hauts et des bas, et c’est justement ce à quoi il veut s’attaquer.

« C’est d’apprendre des mauvaises journées pour ne pas passer par les mêmes embûches. Toi aussi, tu as de mauvaises journées, lance-t-il au collègue de RDS Éric Leblanc. On en a tous. C’est juste d’apprendre de ça. Souvent, les gens essaient de refouler le plus possible leurs émotions plus “tough”. Ce n’est pas comme ça que ça va s’améliorer. C’est seulement en fonçant vers le problème qu’on en sort plus fort. »