En échangeant Casey DeSmith, mardi, le Canadien a réglé l’essentiel de son problème de surpopulation devant le filet.

Le camp d’entraînement qui s’amorce cette semaine laisse néanmoins une part de mystère à la position de gardien de but. Cayden Primeau attirera évidemment l’attention, alors qu’il tentera d’enfin percer la formation. Mais une autre question, plus délicate qu’il n’y paraît, se posera au personnel d’entraîneurs : quel rôle donner à Jake Allen ?

Le vétéran est une figure influente du vestiaire montréalais. Très populaire auprès de ses coéquipiers et de ses patrons, il est reconnu pour son calme et son leadership. Une présence rassurante, en somme… mais qui l’est de moins en moins sur la glace.

Jusqu’à mardi, le Tricolore possédait une anomalie au sein de ses hommes masqués, soit deux gardiens âgés de 32 ans et plus. Une compilation de La Presse confirme en effet le déclin évident du nombre de gardiens trentenaires depuis 2018 à travers la ligue.

Pour les besoins de la cause, nous avons comparé tous les gardiens des cinq dernières saisons ayant disputé au moins 10 matchs au cours d’une même campagne (ou sept pendant la courte saison 2020-2021). Leur âge est établi au 31 décembre.

En 2018-2019, toutes équipes confondues, les gardiens âgés d’au moins 30 ans ont obtenu la moitié des départs. Cinq ans plus tard, en 2022-2023, on parlait plutôt du tiers.

Il n’est pas nouveau que, passé 30 ans, les gardiens de la LNH obtiennent de moins en moins de départs. La cassure la plus marquée se fait, de manière constante, entre 32 et 33 ans. Or, le groupe des 33 ans et plus a particulièrement fondu au cours des dernières années. Il n’amorce plus que 14,6 % des matchs, contre 24 % cinq saisons plus tôt.

Différents facteurs non liés aux performances sur la glace peuvent expliquer une partie du déclin. La naissance du Kraken de Seattle a créé deux nouveaux emplois et le plafond salarial quasi fixe des dernières années a fait augmenter, à toutes les positions, la valeur des jeunes joueurs bon marché.

La tendance, néanmoins, est lourde. L’étoile des gardiens les plus âgés pâlit. Et Jake Allen vient d’avoir 33 ans. Non seulement il vieillit, mais il est de plus en plus difficile de le catégoriser.

Payé cher

Au total, 19 gardiens ayant actuellement un contrat de la LNH auront au moins 33 ans d’ici au 31 décembre 2023. Parmi ceux-ci, on sait d’emblée que Carey Price ne jouera pas. Robin Lehner, probablement pas davantage.

Des 17 restants, trois (Dustin Tokarski, Keith Kinkaid et Troy Grosenick) pourraient ne pas disputer un seul match, alors qu’ils apparaissent, au mieux, comme le troisième gardien de leur équipe respective. Martin Jones et Alex Stalock pourraient s’ajouter à la liste.

Des 12 hommes masqués restants, trois sont identifiés, sans ambiguïté, comme des adjoints : Jonathan Quick, James Reimer et Pavel Francouz.

Un dernier groupe de neuf vétérans se divise en deux sous-catégories. Les partants : Sergei Bobrovsky, Jacob Markström, Darcy Kuemper, Cam Talbot, Frederik Andersen et Marc-André Fleury, encore que ce dernier se soit peut-être fait voler pour de bon son poste par Filip Gustavsson. Et les adjoints « de luxe », régulièrement appelés à disputer un volume de matchs accru : Semyon Varlamov, Antti Raanta et Jake Allen.

Dans cette sous-catégorie, Allen tire de la patte. Sur le plan statistique, d’abord, il a largement été supplanté par Varlamov et Raanta, qui jouent pour de meilleures équipes, il est vrai.

Sur le plan salarial, ensuite, Allen (3,85 millions) est bien mieux traité que ses deux collègues – 2,75 millions et 1,5 million, respectivement. Le Néo-Brunswickois, de fait, se retrouve plutôt dans la fourchette des partants les plus âgés de la ligue, loin derrière Bobrovsky, Markström et Kuemper, certes, mais devant Fleury et Andersen.

Quel rôle ?

Pour un gardien de son âge, on pourrait conclure qu’Allen est un adjoint payé au prix d’un partant.

Mais est-il réellement perçu par l’organisation comme un adjoint ? Les performances de Samuel Montembeault la saison dernière, supérieures à celles d’Allen, ont laissé l’idée dans la perception collective que le Québécois était devenu le numéro un de l’organisation.

Or, jamais la direction n’a-t-elle explicitement tranché en ce sens. Et l’utilisation qui a été faite des deux gardiens ne confirme pas cette hypothèse non plus. Même s’il a dû rater une séquence de neuf matchs au mois de janvier en raison d’une blessure, et qu’il n’a plus joué passé le 27 mars, encore une fois parce qu’il était mal en point, Allen a néanmoins obtenu 41 départs, soit deux de plus que Montembeault.

Seulement trois fois Montembeault a-t-il amorcé au moins deux matchs de suite lorsque son coéquipier était en santé. Allen, lui, a obtenu 15 doublés, sans jamais que son partenaire ne soit blessé.

Quel rôle lui confiera-t-on en 2023-2024, donc ? On n’en saura pas davantage avant quelques jours. Ce qui est acquis, c’est que le Canadien a, en Jake Allen, un gardien qui prend de l’âge, probablement trop payé pour son statut, sous contrat pour deux saisons… et qui a connu une saison 2022-2023 misérable.

À cinq contre cinq, il a stoppé à peine 89,6 % des tirs dirigés vers lui, l’un des pires rendements de la LNH, loin derrière Samuel Montembeault (91,6 %). L’échanger tomberait sous le sens, mais qui en voudra ?

Si Cayden Primeau connaît un camp d’entraînement ordinaire, les pièces se mettront en place aisément. Mais s’il était époustouflant, jusqu’à quel point serait-il farfelu de considérer Jake Allen comme l’homme en trop d’un ménage à trois devant le filet ?

S’il n’était pas le « maudit bon vétéran » qu’a vanté Martin St-Louis la semaine dernière, le dilemme n’en serait probablement pas un.