Le Centre Bell en mars n’est pas exactement un endroit festif ces dernières années. En 2020, c’est pendant ce mois que la pandémie a éclaté. En 2021, les gradins étaient vides parce que les matchs se jouaient à huis clos.

En 2022, le Tricolore était à 32 points des séries au 1er mars. L’an dernier ? À 13 points.

Jeff Gorton met constamment les freins quand on lui parle d’objectifs mesurables pour son équipe. Mais lors d’une entrevue d’une trentaine de minutes avec La Presse, vendredi soir, on lui a demandé si le fait de jouer des matchs significatifs en mars pouvait en être un. Bref, que le Centre Bell redevienne un lieu vivant à l’aube du printemps.

Réponse : « C’est certainement important. Ce serait bien. C’est un objectif, a laissé tomber le vice-président exécutif aux opérations hockey du Canadien.

« Mais pour y arriver, on ne se tiendra pas derrière les joueurs en disant : “ Vous devez faire ci, vous devez faire ça. ” Notre approche est plus de voir ce qu’on peut faire pour leur permettre de s’améliorer. Donnons-leur les minutes de jeu nécessaires. »

Même si le Canadien a conclu les dernières saisons sous les applaudissements, Gorton refuse d’affirmer qu’il n’a aucune pression. Son club vient de rater les séries deux années de suite ; dans le très probable scénario où le CH en est exclu de nouveau cette saison, ce sera la deuxième fois en 100 ans qu’il les aura ratées trois années d’affilée. « On sent cette pression du “ quand ”. Les gens se demandent quand, quand, quand. Des gens sont fâchés, mais le succès viendra avec l’amélioration de nos joueurs. »

On sent Gorton s’animer à mesure qu’il étaye sa pensée. Ici, il se met à frapper sur la table devant lui, imitant un gestionnaire impatient.

On n’arrivera pas aux gars en disant : « Si on ne joue pas de matchs significatifs, on fait éclater le noyau. » On sera patients.

Jeff Gorton, vice-président des opérations hockey du Canadien

L’objectif de disputer des matchs « significatifs » en mars demeure bien timide, cela dit. C’est simplement de dire que les rencontres de fin de saison ont encore un certain enjeu au classement, autre que de déterminer les probabilités à la fameuse loterie du repêchage.

Sauf que nous avions devant nous un homme qui, trois semaines plus tôt, parlait du « mot qui commence par un P » (playoffs, les séries) comme s’il s’agissait d’un but si lointain qu’il était tabou.

L’évaluation de St-Louis

La question des objectifs quantifiables se pose parce qu’avant longtemps, des décisions importantes pour l’avenir devront être prises. Sur la base de quels critères le seront-elles ?

À Laval, Jean-François Houle écoule la dernière année de son contrat (voir autre texte). Martin St-Louis, lui, amorce l’avant-dernière année de son contrat.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Martin St-Louis, en septembre 2022, lors du tournoi de golf annuel du Canadien de Montréal, au club de golf Laval-sur-le-Lac

Gorton a semblé surpris lorsqu’on a évoqué le cas de son entraîneur-chef. « Il lui reste du temps, non ? Vous y pensez probablement plus que nous ! »

Il reste qu’un principe de saine gestion veut que le contrat d’un entraîneur soit reconduit au moins un an avant son expiration, afin de lui éviter d’être perçu comme un canard boiteux. Autrement dit, la saison à venir sera cruciale afin de déterminer la suite de la relation entre St-Louis et l’organisation.

Le Lavallois semble bien en selle si on se fie aux propos de son patron.

Martin fait un excellent travail, il cadre très bien avec ce qu’on fait maintenant. Il ne va que s’améliorer en gagnant de l’expérience.

Jeff Gorton

Quand on le pousse à préciser les critères d’évaluation, cependant, Gorton s’en remet à la « croissance », le mot à la mode au dernier tournoi de golf. « La croissance des joueurs, l’équipe qui s’améliore. »

« Geoff [Molson] nous a accordé sa confiance pour rebâtir de la bonne façon. C’est notre plan. Est-ce que je sens une pression pour que l’on gagne notre match d’ouverture ? Non. Avec une jeune équipe, les victoires et les défaites ne sont pas l’unique mesure. Il faut regarder les matchs. J’utilise les exemples de Kirby Dach ou de Samuel Montembeault, même de Mike Matheson, et à quel point il a mieux joué sous Martin. Plusieurs joueurs ont éclos sous ses ordres. Cole [Caufield] aussi. C’est encourageant. Ils répondent à l’entraîneur et ils n’ont pas encore atteint leur plafond, ce qui est bon signe. »

Ceux qui font des cauchemars à l’évocation d’un plan quinquennal, expression fétiche du règne de Pierre Boivin comme président, peuvent dormir sur leurs deux oreilles : Gorton refuse de s’enfermer dans ce carcan.

Je ne pense pas à dans cinq ans. Je pense à aujourd’hui. Martin dit toujours à notre groupe qu’il faut gagner la journée. Je pense que cette approche nous aidera davantage que si on dit : « Il faut avoir atteint tel objectif à tel moment, sinon on est foutus. »

Jeff Gorton

Jeff Gorton est reconnu par ses proches pour son sens de l’humour et ça lui a servi lorsqu’on a évoqué une entrevue que son homologue des Coyotes, Bill Armstrong, avait accordée à The Athletic en décembre dernier. Armstrong estimait qu’une reconstruction pouvait durer entre 11 et 14 ans, se basant sur son expérience chez les Blues. Ces derniers avaient obtenu le 1er choix au repêchage en 2006, le 4e choix en 2008, mais ont gagné un premier tour éliminatoire en 2012, et la Coupe Stanley en 2019.

Treize ans pour bâtir un club champion, vraiment ? « Il devait être en train de négocier sa prolongation de contrat ! »

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