Dans le monde du hockey, est-il plus difficile de se faire respecter en tant que femme ou en tant que trentenaire ?

Émilie Castonguay a réfléchi pendant 20 secondes avant d’offrir une réponse. Et 20 secondes de silence, dans une entrevue téléphonique, c’est relativement long. Surtout lorsqu’il est impossible de voir l’expression faciale de la personne avec laquelle on interagit.

En attendant la réponse, retour dans le passé.

Un matin, lorsqu’elle avait « 7 ou 8 ans », Castonguay profitait d’un déjeuner dans un restaurant au coin de la rue Saint-Urbain et de l’avenue du Mont-Royal, à Montréal. Pendant le repas, elle lance à ses sœurs qu’un jour, elle jouera dans la Ligue nationale de hockey. « Les deux m’ont regardée en me disant que je ne jouerai jamais dans la Ligue nationale, parce que les filles ne jouent pas dans la LNH. »

À cette époque, Manon Rhéaume n’avait pas encore enfilé les jambières pour le Lightning de Tampa Bay.

J’avais lancé mon bacon, j’étais sortie et je pleurais. Mon père est venu me voir et il m’a dit : “Elles ne veulent pas te faire de la peine, elles font juste dire que les filles ne jouent pas dans la LNH.”

Émilie Castonguay

Castonguay, sur le trottoir, a regardé son paternel droit dans les yeux : « Papa, je vais être dans la Ligue nationale, même si ce n’est pas comme joueuse. »

La directrice adjointe des Canucks de Vancouver a aujourd’hui 39 ans et était loin de se douter, à ce moment précis, qu’elle ferait de sa vie une bataille pour, un jour, atteindre la LNH. D’une manière ou d’une autre.

Longue prémisse pour revenir finalement à la question initiale. Alors que ni les femmes ni les jeunes ne sont nombreux dans les plus hautes sphères de la LNH, Castonguay souffle sa réponse, encore quelque peu hésitante, au bout de 20 secondes :

« C’est dur de répondre, parce que je ne sais pas ce que c’est d’être un gars dans la trentaine. En tant que femme, il y a des défis. Si je m’étais arrêtée à chacun d’entre eux, je ne serais pas où j’en suis aujourd’hui, parce que ça peut devenir lourd et j’aurais sans doute abandonné. Il a fallu que je me crée une carapace. Je sais que c’est tough pour les femmes, ce l’est encore. On a encore beaucoup de travail à faire et je sais que j’ai une responsabilité, comme femme, à paver la voie pour les prochaines. »

Accéder à l’impossible

Castonguay a répondu à l’appel de La Presse de son bureau situé aux étages supérieurs du Rogers Arena, le domicile des Canucks.

Elle y est depuis janvier 2022, lorsqu’elle est devenue la deuxième femme dans l’histoire de la LNH à occuper le poste d’assistante au directeur général. Elle avait 37 ans en entrant en fonction. Angela Gorgone a été la première à occuper le poste en 1996 avec les Mighty Ducks d’Anaheim.

Quand Jim Rutherford, président aux opérations de l’équipe, l’a appelée il y a presque deux ans, elle refusait d’y croire. Dès qu’elle a vu le nom sur l’afficheur, elle a compris pourquoi elle recevait cet appel. « Je n’avais pas de joueurs à Vancouver. J’ai texté Jim pour lui dire que j’allais l’appeler le lendemain. J’étais trop sous le choc. »

Pour elle, c’était l’atteinte d’un but. La réalisation d’un rêve.

Très jeune, je savais exactement ce que je voulais faire et je savais que ça n’allait pas être facile. Il n’y avait pas de voie pour y arriver. Donc j’en ai créé une.

Émilie Castonguay

Espérer devenir directrice générale au début des années 1990 était semblable à vouloir explorer Saturne ou vivre jusqu’à 200 ans. C’était inconcevable.

Même à ses débuts, et encore aujourd’hui, certains ont dû mal à composer avec sa présence : « Parfois, des gens ne te regardent même pas dans les yeux lorsqu’ils te parlent, parce qu’il y a zéro respect. Il faut passer à travers, ne pas le prendre personnel. Je dois continuer de survivre dans les moments difficiles. »

Pourtant, la Montréalaise est aujourd’hui en pleine ascension dans le monde du hockey. Elle est devenue une pionnière. Elle a marqué l’histoire de son sport et elle commence à peine. Elle n’a même pas encore atteint la quarantaine.

PHOTO JIMMY JEONG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le directeur général des Canucks, Patrik Allvin

Alors que la moyenne d’âge des directeurs généraux de la LNH est de 54,9 ans, Castonguay ne voit pas sa jeunesse comme un désavantage, car elle sait que son tour viendra. En attendant, elle embrasse la sagesse et l’expérience du président Rutherford, 74 ans, et du directeur général de l’équipe, Patrik Allvin, 48 ans.

« Ça prend de tout, comme dans une équipe de hockey. Ça prend des jeunes et des vétérans. […] Et Jim a ce souci de la diversité, pas juste gars-fille, mais de l’âge », souligne-t-elle.

Et si elle prend plaisir à écouter les conseils de ses plus vieux collaborateurs, elle espère seulement que ce soit réciproque.

Castonguay sent néanmoins un « tournant » dans le hockey et ailleurs dans le sport. Elle entrevoit ce désir de « ne pas toujours recycler les mêmes idées, les mêmes personnes ».

En fait, « le sport a besoin de ça. En même temps, je suis jeune, mais pas si jeune que ça », ajoute-t-elle, pleine d’humilité.

À 39 ans, Castonguay a le sentiment d’être là où elle devait être. « Je me convaincs chaque jour que j’ai ma place ici. Je sais que je l’ai, mais il faut que je me le rappelle. »

Pas comme les autres

C’est en 2016, lorsqu’elle est devenue la première agente de joueurs certifiée au Canada, qu’elle s’est rendu compte de son unicité. Non seulement grâce aux messages d’étudiantes ou de jeunes femmes dans le milieu des affaires, mais surtout lors de sa première rencontre au sommet.

« À la première réunion des agents, avec Don Fehr en 2016 à Toronto, je suis entrée dans la salle et c’était 150 hommes habillés pareil avec les mêmes souliers et la même coupe de cheveux. »

Je me suis dit que je n’avais peut-être pas d’affaire là, mais que j’y étais quand même.

Émilie Castonguay

Elle a fini par s’en persuader, car elle n’a jamais lésiné sur les efforts. Lorsqu’elle évoluait dans la NCAA avec l’Université de Niagara, aux États-Unis, elle mettait les bouchées doubles en ayant en tête l’objectif de devenir directrice générale dans la LNH. « On me disait que c’était cute, à l’époque. »

Au tournant de la vingtaine, les soirées au bar entre amies étaient remplacées par des sessions d’étude. Les séances vidéo de hockey, par des devoirs en droit. L’autocar de l’équipe était devenu sa bibliothèque. Chaque occasion était bonne pour parfaire ses connaissances. Elle savait qu’elle ne devait pas juste être bonne ou adéquate. Pour réussir, elle devait être meilleure que tout le monde. Surtout pour passer devant ses collègues masculins.

« J’ai pris des risques. J’avais un bac en finances, j’ai joué au hockey universitaire et j’ai été en droit. Au début, je faisais des peanuts, parce que j’essayais d’être agent. Je me disais que peu importe ce qui allait arriver, je n’allais jamais abandonner », explique-t-elle.

Cette histoire est celle d’une petite fille, âgée de 7 ou 8 ans, qui pleurait au coin de Saint-Urbain et Mont-Royal, parce que l’impossible voulait lui barrer le chemin. En nouant des doubles nœuds dans son ambition, elle s’est rendue au bord du Pacifique, pour vivre de sa passion, et surtout pour réaliser un rêve aux allures de fiction.