Même s’il n’a jamais subi de discrimination liée à ses origines, Arber Xhekaj sait combien amorcer une nouvelle vie dans un nouveau pays vient avec son lot d’obstacles.

Sa mère a quitté sa Tchécoslovaquie natale après la chute du régime communiste et a atterri au Canada pour y repartir à zéro. Son père, un réfugié albanais, ne parlait pas un mot d’anglais lorsqu’il s’est établi en Ontario après avoir fui le climat explosif des Balkans à la fin des années 1990.

Ils se sont fait dire de retourner chez eux. On les a regardés comme des extraterrestres en raison de leur faible maîtrise de la langue d’usage.

Ces histoires, Xhekaj les a entendues. Et il veut s’assurer qu’elles appartiennent au passé.

À 22 ans, le gros défenseur du Canadien vient d’associer son nom à deux causes qui lui tiennent à cœur. L’Angel Project, organisme ontarien qui fournit du soutien financier aux personnes malades dans le besoin, ainsi que Vision Inter-Cultures, regroupement longueuillois qui vient en aide aux familles immigrantes.

« C’est une cause qui me touche particulièrement, explique Xhekaj pendant une courte entrevue avec La Presse. Quand mes parents ont immigré ici, ils ont eu beaucoup de difficulté à s’installer et à trouver leurs repères. Ç’a été très dur pour eux. »

On sent qu’une corde sensible vibre en lui lorsqu’il détaille les initiatives de l’organisme. D’ordinaire plus ou moins bavard, il explique comment Inter-Cultures « aide les immigrants à joindre les deux bouts, à se trouver un emploi ». Il s’enthousiasme du travail accompli auprès des écoles pour « aider les enfants à socialiser et les professeurs à mieux comprendre leur culture ou leur religion ».

« C’est très cool, ce qu’ils font. »

Il se dit fier de s’impliquer auprès de sa ville natale, mais aussi dans sa région d’adoption. « Je joue à Montréal et je passe une grande partie de l’année ici. Je voulais redonner à la communauté francophone. »

Du même coup, il souhaite en outre « donner une voix aux immigrés de deuxième génération ». Aux jeunes comme lui, en somme. Afin de leur permettre, dit-il, « de croire en leurs rêves ». Comme lui aussi.

Le Shérif

Son implication, pour l’heure, prend la forme d’un partenariat avec la microbrasserie sportive La Chambre, à Terrebonne. Mercredi, Xhekaj s’est rendu sur place pour lancer une gamme de hamburgers dont le plus costaud est surnommé « Le Shérif » en son honneur. Pour chaque « Arber’ger » vendu – la comprenez-vous ? –, un dollar sera remis aux organismes de charité qu’il a choisis.

C’est juste le début. J’aimerais lancer ma propre fondation au cours des prochaines années. C’est quelque chose que j’ai en tête depuis longtemps. Je veux trouver une manière de redonner aux autres.

Arber Xhekaj

Si le projet est encore très jeune, il a déjà une bonne idée du public auquel il souhaite venir en aide : les enfants « les moins privilégiés ». Notamment pour « leur permettre de faire du sport même si leurs parents n’en ont pas les moyens ».

« Le hockey est l’un des sports les plus dispendieux », rappelle-t-il.

À l’école, il a vu des camarades de classe freinés par le coût des inscriptions ou des équipements. Et il a surtout vu ses parents se saigner pour que ses sœurs, son frère et lui aient accès au sport organisé.

Il y a là, à l’évidence, une autre corde sensible.

PHOTO SAMUEL LANGLOIS, FOURNIE PAR LA CHAMBRE

Arber Xhekaj prend la pose avec un jeune partisan venu le rencontrer au lancement d’une gamme de hamburgers dont le plus costaud est surnommé « Le Shérif » en son honneur.

« Je porte en moi l’héritage de ce que mes parents ont amorcé, dit-il. Je leur dois le monde. Ils ont sacrifié des années pour nous. Tout ce que je fais, c’est pour eux. Car sans eux, rien de cela n’aurait été possible. »

« Cela », c’est le brouhaha que désigne Xhekaj d’un geste de la main. L’établissement, bruyant, est bondé. Le défenseur enchaîne les entrevues avec différents médias. Des partisans attendent patiemment pour prendre une photo avec lui. Pendant la discussion avec La Presse, un photographe l’interrompt pour relever le chapeau de cowboy vissé sur sa tête. Un caméraman lui demande quant à lui de lui montrer son burger signature, qui peut certainement sustenter un humain moyen pour une journée complète.

Toute l’histoire d’Arber Xhekaj se retrouve résumée en un coup d’œil. Celle d’un fils d’immigrants qui, comme ses parents dans la vie, n’a reçu aucun cadeau dans son sport, mais qui a surmonté l’adversité. Jamais repêché, le voilà aujourd’hui, à sa deuxième saison dans la LNH, parmi les joueurs les plus populaires du Tricolore.

La célébrité ne lui « monte pas à la tête », assure-t-il. « J’ai toujours été assez relax avec ça. Je ne me fais pas croire que je suis quelqu’un que je ne suis pas. Je joue au hockey, je fais mes affaires. Je suis aussi normal que n’importe quel gars assis près de moi. »

N’importe quel gars n’a peut-être pas les mains d’un géant ni la réputation d’être un des plus féroces bagarreurs de la LNH. Mais on comprend son point. Et on a plutôt tendance à le croire.