« I can’t breathe ». Un jeune joueur de hockey noir de Gatineau a été forcé de prononcer ces mots lourds de signification pendant la saison 2021-2022 pour être libéré par l’un de ses coéquipiers, qui venait de le projeter au sol et d’appuyer un genou sur son cou. Ces gestes visaient à reproduire l’événement ayant causé le décès de l’Américain George Floyd, asphyxié par un policier.

Et ça ne s’arrête pas là. Qu’il s’agisse du mot en « N », de bruits de singe ou de références à l’esclavagisme, les exemples de gestes et propos à caractère raciste que deux adolescents racisés de Gatineau ont dû endurer pendant plusieurs mois sont multiples, révèle un rapport daté de décembre 2022 – dont Le Droit a obtenu copie – qui a été commandé par Hockey Québec à la suite d’une recommandation de l’Officier des plaintes.

Le Droit a également obtenu copie d’une décision de l’instance indépendante qu’est le Comité de protection de l’intégrité (CPI). Ce document conclut que deux personnes liées à l’organisation de l’équipe ont fait preuve de « négligence » en vertu de la Politique en matière de protection de l’intégrité dans les sports envers des athlètes, tout en leur ordonnant de suivre des formations.

Le rapport indépendant réalisé pour le compte de Hockey Québec par l’avocat Jules Bernier, qui s’étend sur 33 pages, parle entre autres d’un manque d’équité entre les sanctions imposées aux auteurs et les conséquences subies par les victimes. Le document contient une liste des comportements de six joueurs dont ont été victimes deux adolescents racisés au cours de la saison 2021-2022. Ils évoluaient à l’époque au sein de l’Intrépide de l’Outaouais, dans la catégorie M15 AAA. Ils ont quitté cette équipe chapeautée par l’organisme à but non lucratif Midget AAA Gatineau Inc. après ces événements.

« L’un des gestes racistes retient particulièrement mon attention tellement il est humiliant pour la victime, écrit Me Bernier dans son rapport. Il consiste à prendre la victime par derrière et à la projeter au sol en lui demandant de dire “I can’t breathe” avant de la relâcher, le tout en prenant soin de fermer la porte du vestiaire pour que cela se fasse à l’insu d’autres personnes. Les auteurs voulaient ainsi reproduire la scène survenue dans le cas de George Floyd aux États-Unis. » Cet événement a aussi été décrit dans la décision du CPI.

George Floyd est cet Américain noir mort après qu’un policier de Minneapolis eut appuyé son genou sur son cou pendant de longues minutes, en mai 2020. Une vidéo de la scène dans laquelle on entend George Floyd dire « I can’t breathe » (je ne peux pas respirer) avait alors fait le tour de la planète, faisant de lui un symbole du mouvement Black Lives Matter.

La décision du CPI précise que la victime a raconté qu’après avoir été projetée au sol, elle a eu le poids du genou de son coéquipier sur son cou « pendant environ 15 secondes ». Malgré les gestes faits par la victime pour signaler qu’elle voulait que ça s’arrête, le coéquipier a insisté pour qu’elle prononce « I can’t breathe ». « C’est seulement suivant la mention de ces mots » que le joueur a été relâché, lit-on dans la décision du CPI.

Le rapport de l’enquête administrative effectuée par Me Bernier pour le compte de Hockey Québec dresse une liste de 14 « gestes et propos racistes », en précisant que ladite liste « n’est pas exhaustive ». L’avocat indique que les événements « se sont produits à plusieurs reprises dans le vestiaire, sur la patinoire et à l’école », en soulignant que chacun des six joueurs ayant posé des gestes ou prononcé des paroles à caractère raciste « n’a pas participé à tous les gestes et propos reprochés ».

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Le Comité de protection de l’intégrité

Les plaintes déposées par Hockey Québec auprès de l’Officier, qui ont été analysées par le CPI, visaient trois personnes évoluant dans l’entourage de l’équipe :

  • Alain Sanscartier, directeur des opérations et vice-président de l’organisme à but non lucratif Midget AAA Gatineau Inc., qui chapeaute l’équipe Bantam concernée.
  • Stéphane Bertrand, entraîneur-chef de l’équipe concernée
  • André Cayer, directeur technique du programme sport-études des jeunes concernés

Quand une plainte est jugée recevable par l’Officier, c’est le Comité de protection de l’intégrité (CPI) qui a le mandat « de procéder au traitement de la plainte via une procédure d’audition indépendante impartiale ».

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Les deux jeunes victimes ont quitté l’équipe et le programme sport-études. Les auteurs des gestes et propos racistes, eux, ont été suspendus temporairement.

« Négligence »

Le CPI a déterminé que les trois personnes visées par les plaintes n’étaient pas au courant des comportements des six joueurs concernés avant qu’ils ne soient dénoncés. Il est par ailleurs spécifié que les témoignages de ces trois personnes devant le CPI étaient « crédibles ».

Le CPI a rejeté la plainte visant André Cayer, qui avait été mandaté pour réaliser une enquête interne sur cette affaire. La décision du CPI indique qu’il « n’a pas fait preuve de négligence ».

Les plaintes visant MM. Sanscartier et Bertrand ont quant à elles été « partiellement » accueillies.

Dans le cas d’Alain Sanscartier, le CPI considère qu’il « est responsable de la confusion » qui a suivi la suspension d’« arrêts d’agir » qui avaient été imposés aux six joueurs auteurs des gestes et propos racistes.

Le CPI considère que M. Sanscartier « n’a pas agi comme une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances », qu’il n’a « pas bien évalué la gravité des allégations de racisme » et qu’il « n’a pas mis en place, dès le départ, une gestion appropriée ».

Alors que le rapport de Me Bernier affirmait que l’enquête interne effectuée par Midget AAA Gatineau Inc. n’avait pas été faite dans « les règles de l’art », le CPI « ne voit pas de négligence de la part de Sanscartier sur cet aspect ».

En ce qui concerne l’entraîneur-chef Stéphane Bertrand, le CPI conclut qu’il n’a pas tenu de propos discriminatoires, mais qu’il « a été négligent » dans la gestion des allégations. La décision indique entre autres que M. Bertrand a demandé « aléatoirement à six joueurs s’il existait de l’intimidation dans l’équipe » alors que deux de ces joueurs étaient impliqués dans les comportements reprochés.

Stéphane Bertrand continue de s’impliquer au sein des clubs de hockey mineur en Outaouais.

Dans sa décision, le CPI a ordonné que MM. Sanscartier et Bertrand suivent à leurs frais des ateliers de formation individuelle offerts par l’organisme Sport’Aide ; l’un sur les groupes minoritaires en milieu sportif, l’autre sur la gestion et la résolution de conflits.

Pas de commentaires

MM. Sanscartier et Bertrand n’ont pas voulu commenter. Hockey Québec non plus. « Compte tenu de la nature hautement confidentielle du rapport d’enquête qui a été soumis en preuve dans une plainte déposée par la Fédération à l’Officier des plaintes ainsi que de l’âge mineur de la plupart des personnes impliquées, Hockey Québec n’émettra aucun commentaire dans ce dossier », a-t-on indiqué dans une déclaration écrite transmise au Droit.

Les familles des deux victimes, qui précisent ne pas être à l’origine de la fuite des deux documents, n’ont pas voulu réagir pour l’instant.

Sanctions aux joueurs

Les deux jeunes victimes ont quitté l’équipe et le programme sport-études. Les auteurs des gestes et propos racistes, eux, ont été suspendus temporairement.

« Force est de constater qu’il y a un manque d’équité entre la suspension imposée aux auteurs et le sort [subi] par les victimes, pour qui toute cette affaire a causé un tort considérable », lit-on dans le rapport de Me Bernier.

Le CPI, pour sa part, précise qu’il « aurait pu émettre des sanctions différentes », mais que « dans leur globalité », les sanctions imposées aux joueurs « ne peuvent être qualifiées d’inéquitables ».

Et l’école dans tout ça ?

Le rapport de Me Bernier indique par ailleurs que l’École polyvalente Nicolas-Gatineau « a fait très peu de suivi individuel auprès des adolescents pour savoir comment ils vivaient toute cette situation dans leur milieu scolaire » et qu’« aucun suivi n’a été fait auprès des victimes pour s’assurer, à tout le moins, que la nouvelle école soit informée des événements ».

L’avocat précise aussi que l’école n’a pas informé les parents des auteurs des comportements reprochés.

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Avec la collaboration de Sylvain St-Laurent, Le Droit

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