(St. Louis) Il est difficile d’imaginer une pire situation pour Cayden Primeau en ce moment.

Trop bon aux yeux de ses patrons pour être soumis au ballottage. Pas assez pour se voir confier un volume intéressant de départs. Et complètement bloqué dans son développement.

Tous les entraîneurs de gardien de but le disent : un jeune portier doit jouer, jouer et encore jouer pour évoluer dans les rangs professionnels et montrer ce qu’il a dans le ventre.

La Presse a dressé la liste des 32 gardiens nés de 1998 à 2000 – Primeau est né en 1999 – qui ont disputé au moins un match dans la LNH à ce jour. Les huit premières positions, parmi ceux qui ont disputé le plus de parties professionnelles, sont occupées par des cerbères qui ont un poste à temps plein dans un duo de la LNH cette saison.

Il y a parmi eux des talents naturels, comme Carter Hart et Jake Oettinger, qui ont accédé très jeunes aux ligues majeures. Mais il y a aussi ceux qui ont usé de patience. Lukáš Dostál fait un tabac à Anaheim cette saison, mais il a, malgré ses 23 ans, déjà disputé plus de 200 matchs dans d’autres circuits – 98 dans la Ligue américaine (LAH) et 111 en Europe. Arvid Söderblom, adjoint à Chicago, a un parcours semblable. Stuart Skinner a même disputé 44 parties dans l’ECHL, en plus de 113 dans la LAH.

Et Cayden Primeau ? Le voilà à 145 matchs chez les pros, ce qui n’est pas si mal, mais il en est, à 24 ans, à sa cinquième saison. Et son compteur de matchs est essentiellement arrêté.

Les gardiens de son âge, comme Pyotr Kochetkov ou Ivan Prosvetov, accumulent des départs. Primeau, lui, s’est vu accorder une faveur pendant le récent voyage de son équipe : deux fois, il était en uniforme comme adjoint plutôt que de regarder le match depuis les gradins. Rien d’emballant ici.

Attente

Chaque matin, donc, Cayden Primeau apparaît sur la patinoire, sans ronchonner.

Les jours de match, alors que les entraînements sont souvent optionnels, il permet aux réservistes de décocher des tirs contre un gardien. Les jours d’entraînement complet, il regarde la majorité des exercices depuis le coin de la surface. Ou bien il travaille avec l’entraîneur spécialisé Éric Raymond à l’écart, près de la bande, puisque les deux buts sont principalement défendus par Samuel Montembeault et Jake Allen.

Il profite certes d’heures supplémentaires avec Raymond, seul à seul. Mais son rôle est clair : il est la troisième roue d’un vélo qui n’a pas besoin de lui pour rouler.

On peut se douter que le jeune homme en a marre. Il en va des trios de gardiens comme des triangles amoureux : il y a de fortes chances que quelqu’un finisse par avoir de la peine.

Cayden Primeau assiste, impuissant, à trois phénomènes qui jouent contre lui.

D’abord, vu son âge et son expérience professionnelle, il doit passer par le ballottage pour être cédé aux ligues mineures. La direction craint de le perdre à un autre club sans rien obtenir en retour. On le garde donc « en haut » jusqu’à nouvel ordre.

Ensuite, Allen et Montembeault, fouettés ou non par cette compétition interne, connaissent tous deux de bons débuts de saison. C’est même majoritairement eux qui ont permis au Tricolore de conclure le mois d’octobre avec une fiche gagnante.

Enfin, il y a le calendrier, étonnamment aéré en ce début de saison.

Avant l’unique départ de Primeau, Martin St-Louis avait été assez succinct pour justifier sa décision de l’envoyer contre les Devils du New Jersey : son équipe disputait un deuxième match en deux soirs. « C’est pas mal ça », avait-il ajouté.

PHOTO DAVID KIROUAC, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Cayden Primeau

Au cours de la dernière semaine, l’entraîneur-chef a répondu à plusieurs questions sur la gestion des gardiens de but. On sent chez lui une lassitude par rapport à ce dossier. D’une part, il répète souvent qu’il n’est pas un expert en gardiens de but. D’autre part, ce ménage à trois, il ne l’a pas choisi.

Vendredi, St-Louis a de nouveau admis que Primeau se retrouvait dans une situation qui n’est « pas facile ». « On espère lui donner plus de départs, mais les circonstances l’ont ralenti. Il verra le but encore », a-t-il promis.

Mais quand ? C’est une bonne question.

Une nouvelle donnée est venue ajouter à l’intrigue. Déjà que St-Louis justifiait les succès d’Allen et de Montembeault pour expliquer l’absence d’action confiée à Primeau, il a aussi laissé entendre que d’accumuler des points au classement lui importait davantage qu’auparavant.

« Les points en octobre sont aussi importants qu’à la fin de la saison, a-t-il dit jeudi dernier. On les prend au sérieux. »

Moral

Malgré tout, son moral est bon, ont assuré Samuel Montembeault et Christian Dvorak au cours des derniers jours. « Il garde la tête haute et il travaille fort », a souligné Dvorak, qui a passé beaucoup de temps avec son jeune collègue pendant qu’il se remettait d’une opération à un genou.

« Il a une bonne attitude, il est toujours souriant », a abondé Montembeault, qui a aussi vanté la solidarité qui unit les trois gardiens. Notre demande de nous entretenir avec Primeau a été déclinée par le club, samedi matin.

À peu près tout ce que le jeune homme peut faire, c’est attendre. Qu’un des deux titulaires se blesse ou que le club dégringole au classement, ce qui relativiserait l’impératif d’amasser des points. Sans être mauvais, Allen et Montembeault n’ont pu sauver leur équipe au cours des deux derniers matchs. La porte s’ouvrira-t-elle ?

Primeau peut aussi espérer qu’une transaction impliquant un gardien, lui ou un autre, soit conclue.

Avec le retour en forme de Christian Dvorak, la place qu’occupe Primeau dans la formation de 23 joueurs est soudain un caillou dans le soulier de la direction. En profitera-t-on pour changer de cap avec Primeau ? On le lui souhaite. Car pour l’heure, personne ne gagne à voir cette situation perdurer. Surtout pas lui.