(Tempe) Avec tous les déboires que vivent les Coyotes de l’Arizona persiste une perception, dans le nord du continent, selon laquelle le hockey n’a pas sa place dans cet État américain limitrophe du Mexique.

S’il y a un endroit où le hockey pète le feu, c’est sur le campus de l’Université d’État de l’Arizona (ASU). Les Sun Devils, la plus méridionale des 63 équipes de première division dans la NCAA, ont généré des revenus de plus de 3 millions aux guichets la saison dernière.

En 2022-2023, la fréquentation moyenne de leurs matchs locaux (4791 spectateurs) a été supérieure à celle des Coyotes (4600), qui partagent le même amphithéâtre. La capacité du Mullett Arena est toutefois légèrement plus grande pour les joutes universitaires ; le symbole, néanmoins, est puissant.

Alors qu’à ses débuts, le programme attirait principalement des joueurs locaux, voilà que ses membres proviennent désormais du Massachusetts, de l’État de New York, de l’Illinois, du Minnesota, du Canada…

Nous sommes tout près de devenir une véritable puissance.

Greg Powers, entraîneur-chef des Sun Devils de l’Université d’État de l’Arizona

Ce natif de l’Indiana s’est établi sous le soleil de l’Arizona il y a 27 ans. Il a d’abord fréquenté ASU comme étudiant en journalisme télévisé. Il a aussi défendu le filet des Sun Devils, à une époque où l’équipe n’était pas soutenue par l’université.

Il n’est jamais reparti. Après un hiatus de sept ans loin du hockey, il a rejoint son alma mater comme entraîneur adjoint bénévole, avant d’être promu entraîneur-chef.

En 2015, à la suite d’un investissement privé de 32 millions – « le plus gros cadeau qu’ait jamais reçu une équipe d’ASU » –, les diables du soleil sont passés en division 1 de la NCAA, retenant par ailleurs les services de Powers.

Le succès est venu rapidement. Dès la quatrième année, l’équipe accédait au tournoi de fin de saison de la NCAA, du jamais-vu pour un si jeune programme. L’exploit aurait été répété l’année suivante, en 2020, si l’évènement n’avait pas été annulé en raison de la pandémie de COVID-19.

La saison prochaine, les Sun Devils, actuellement considérés comme une équipe indépendante, rejoindront la conférence NCHC. « Une autre case sera cochée », souligne Greg Powers. Trois joueurs de la formation actuelle ont été repêchés par des clubs de la LNH. L’an dernier, il y en avait deux de plus. Les pièces s’assemblent. « Et ça ne fait que commencer. »

PHOTO ARIANNA GRAINEY, FOURNIE PAR LES SUN DEVILS D’ASU

Greg Powers derrière le banc lors d’un match local des Sun Devils

« Créez la tradition »

Greg Powers ne s’en cache pas : bâtir un programme dans un marché encore considéré comme non traditionnel ne se fait pas en un tournemain.

En entrevue avec La Presse, il raconte que, pendant longtemps, l’équipe qu’il dirige était perçue comme une « légende urbaine ».

« Ah oui, vous avez une équipe en division 1 ? », entend-il encore souvent. Pour tout dire, c’était un peu le prétexte de la présence du représentant de La Presse dans son bureau.

« C’est une expérience différente d’un programme traditionnel, admet le pilote de 46 ans. À cause du climat, du campus, de l’effet de nouveauté… » Conséquemment, il sent que son club doit encore « prouver qu’il a sa place », ce qu’il ne voit pas comme un désavantage. Il évoque une mentalité de « nous contre le monde » qui ne lui déplaît pas du tout et qui, dit-il, n’est pas une barrière au recrutement.

« Il n’y a rien de mal à s’inscrire à Boston University ou à North Dakota, où le hockey se joue depuis plus de 100 ans, insiste-t-il. Ici, notre mantra est : créez la tradition. Établissez les standards. Soyez les pères fondateurs. Et ça fait huit ans que nos joueurs embarquent. »

Le projet est encore plus attrayant depuis que l’équipe a délaissé un petit aréna communautaire de 700 places – démoli depuis – pour s’établir l’an dernier au Mullett Arena, bâti à un jet de pierre du campus d’ASU, à côté de son spectaculaire stade de football.

PHOTO MATT YORK, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des étudiants d’ASU empruntent un pont piétonnier construit sur le campus.

Ce n’est pas non plus comme si les Sun Devils avaient poussé dans le sable par magie. Le hockey, en Arizona, n’est pas enraciné comme dans les États du nord du pays ou comme au Canada, cela va de soi. Or, selon Hockey USA, les inscriptions y ont bondi de 135,5 % en 10 ans – de 2012-2013 à 2022-2023.

À titre comparatif, durant la même période, le Québec a perdu quelque 20 % de ses joueurs et joueuses. Comme quoi la vitalité d’un sport pratiqué n’est pas forcément liée à la santé financière d’une franchise professionnelle établie dans le même marché…

L’héritage des Coyotes

Quoi qu’on pense des Coyotes de l’Arizona, c’est leur présence dans la région métropolitaine de Phoenix qui a permis au hockey de s’épanouir, estime Greg Powers.

« Beaucoup de joueurs sont restés après leur retraite. Certains ont même déménagé ici sans jamais y avoir joué. » C’est notamment le cas d’Eddie Lack, ex-gardien des Canucks de Vancouver devenu agent immobilier et entraîneur bénévole auprès des gardiens d’ASU.

« Depuis 10 ans, si tu vas à l’aréna de Scottsdale, tu vas croiser Derek Morris, Tyson Nash, Shane Doan, Dave Ellett, Taylor Pyatt, Steve Sullivan, Ray Whitney… et la liste continue », souligne Greg Powers.

« Tous ces gars, qui ont connu de belles carrières, sont devenus entraîneurs dans notre marché. Le niveau de coaching au hockey mineur est donc très élevé, et ça contribue au bon développement des joueurs. Plusieurs jeunes d’ici jouent au niveau junior majeur ou en première division de la NCAA. Tout ça est lié à la présence de la LNH dans la région. »

Des Arizoniens commencent aussi à porter des uniformes d’équipes du circuit Bettman. Le plus connu est évidemment Auston Matthews, mais Matthew Knies (Toronto) et Mark Kastelic (Ottawa) l’ont rejoint à temps plein cette saison.

Powers ne lie toutefois pas l’existence des Coyotes directement à l’ascension des Sun Devils. « Je crois que ça aurait pu arriver organiquement sans cela. »

Mais à la croissance du hockey ? Assurément. Il cite en exemple l’actuelle pénurie de surfaces glacées disponibles pour les équipes récréatives et compétitives du coin. La patinoire communautaire attenante au Mullett Arena est utilisée « 20 heures sur 24 », au point où on songe à en construire une autre.

PHOTO SIMON-OLIVIER LORANGE, LA PRESSE

Séance d’entraînement des Sun Devils, jeudi dernier, au Mullett Arena

Pas moins de cinq équipes défendant les couleurs de l’université s’y entraînent et y disputent leurs parties locales. En plus de celle décrite dans ce texte, on compte trois clubs masculins et un club féminin évoluant dans des divisions inférieures.

La principale équipe masculine, de fait, est l’une des trois formations qui génèrent des revenus substantiels sur le campus, avec celles de basketball et de football masculins.

« Le hockey explose ici », insiste Greg Powers. À ASU, où on estime avoir jeté les bases d’un programme prêt à se battre à armes égales avec les meilleurs du pays. Et en Arizona en général, où le sport gagne de plus en plus d’adeptes.

Pourquoi, alors, la réputation d’un marché non traditionnel est-elle si résistante ? Les insuccès des Coyotes y contribuent certainement.

« Peut-être aussi en raison du soleil et des palmiers ? », suggère l’entraîneur en souriant.

Il y a sans doute un peu de cela, oui.