La réunion d’un « vrai » premier trio chez le Canadien était censée être le principal point d’intérêt de cette rencontre. Nick Suzuki, Cole Caufield et Sean Monahan ont été réunis au sein d’une même unité, au 24match de la saison. Enfin, diront certains.

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Le bourdonnement s’est tu après deux périodes, dont une très mauvaise. Au dernier tiers, Joel Armia a remplacé Monahan à la droite des deux autres. Et le plus surprenant, dans cette histoire, c’est que ce n’était pas surprenant.

Le « vrai » premier trio n’allait nulle part. Et Armia offrait samedi la meilleure version de lui-même, celle qui en ferait un favori de la foule s’il était en mesure de la montrer sur une base régulière. Ça n’a pas empêché le Tricolore de s’incliner 5-4 en prolongation face aux Red Wings de Detroit, mais ça a ramené au goût du jour une question existentielle à laquelle on ne trouvera sans doute jamais de réponse. Car il en va de Joel Armia comme de la virginité perpétuelle de Marie : c’est un mystère.

Qu’il se retrouve sur le premier trio, samedi, ne tenait pas au hasard. Il était le meilleur attaquant de son club. C’était un de ces soirs où la rondelle semblait coller à son bâton et où il semblait impossible à déstabiliser autour du filet adverse.

Or, qu’il se retrouve dans la Ligue américaine, au terme du camp d’entraînement, n’était pas davantage attribuable au hasard. Car il avait été le pire vétéran du club au camp.

L’organisation a voulu embellir son renvoi en invoquant la blessure qui l’avait ralenti. Mais à son premier rappel, il a été écarté de la formation 5 fois en 11 matchs avant d’être renvoyé de nouveau dans les mineures. À l’évidence, on n’aimait pas son jeu.

Voilà toutefois qu’il vient de marquer deux buts à ses trois derniers matchs. « Il tire le meilleur de sa chance depuis qu’il est revenu ici, a souligné Jake Allen en fin de soirée. C’est un joueur de la LNH. En ce moment, il contribue sur tous les fronts, et je suis content pour lui. »

« Impressionnant »

Le fait est que les plus grands admirateurs d’Armia sont assis à ses côtés. À l’entraînement, il laisse ses coéquipiers bouche bée. Mais les partisans qui regardent les matchs à la télé ou au Centre Bell n’ont, bien souvent, pas accès à cette facette de l’attaquant.

« Ça, c’est le joueur qu’il est, a dit Mike Matheson à propos de la performance du silencieux colosse. Il a tellement de force avec la rondelle, il la contrôle tellement bien… Il est super impressionnant. »

« Des gens disent qu’il s’en fout, ou des choses comme ça, mais ça ne pourrait pas être plus loin de la réalité. Il veut être bon chaque soir. Il s’en met beaucoup sur les épaules. »

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Justin Barron (52)

Tout est là. Armia a le talent et la puissance pour être un joueur dangereux. Et Jake Allen a bien raison : c’est un joueur de la LNH, pas de la Ligue américaine. Mais à 30 ans, il n’inspire plus d’espoir à grand-monde en dehors du vestiaire. On peut difficilement ne pas se gratter la tête dans les moments où son génie s’exprime.

On peut quand même retenir le positif là où il y en a. Armia a convenu, samedi soir, que son jeu en désavantage numérique pouvait devenir une source de motivation. Car dans cette phase de jeu, cette saison, il est carrément dominant.

Alors que le désavantage numérique du Canadien ressemble parfois à un panier percé, le Finlandais ne s’est retrouvé sur la glace que pour un but de l’adversaire en quelque 25 minutes, soit l’équivalent de 2,38 buts par tranche de 60 minutes. Cette statistique le place parmi les meilleurs de la ligue à ce chapitre. Il est bien servi par sa grande portée et son sens de l’anticipation, et sa présence bénéficie notamment à Jake Evans, dont le rythme de buts accordés en désavantage numérique est presque quatre fois moindre avec Armia que sans lui.

« Il faut trouver de la fierté dans tout ce qu’on fait, a souligné le grand gaillard. Et comme marquer en avantage numérique, réussir à museler l’adversaire, ça fait du bien. Ça donne de la confiance. »

Défi mental

Ah, cette fameuse confiance… Matheson, Nick Suzuki et Martin St-Louis ont tous dit, à son sujet, à quel point l’aspect « mental » du jeu pouvait être difficile à dompter.

« Il a les atouts pour contribuer comme [samedi soir], a résumé St-Louis. Comme équipe, on court après la constance. Les joueurs courent aussi après ça. C’est un défi physique, c’est aussi un défi mental. »

Ça demeure, encore et encore, le talon d’Achille d’Armia. Il n’a pas pire ennemi que lui-même.

Il n’empêche qu’il trouvera difficilement une plus belle occasion que celle qui lui est aujourd’hui présentée : celle d’évoluer sur la principale unité de son équipe. Avec Alex Newhook qui sera absent de 10 à 12 semaines, le cycle des expériences est recommencé chez les attaquants. Personne ne s’étonnera si Monahan retrouve son poste rapidement. Armia peut – et doit – prouver qu’il peut lui aussi être à la hauteur de cette affectation.

Au camp d’entraînement, Martin St-Louis a souvent répété que les « options » étaient nombreuses au sein de son top 6. Les blessures les ont limitées.

Si ce n’était qu’une question de talent, Joel Armia en serait une. S’il retourne sur le quatrième trio ou, pire, à Laval, on saura toutefois qui il faudra tenir responsable.

Ce sera, oui, Joel Armia.

En hausse

Jesse Ylönen

Parti du quatrième trio, il a obtenu une promotion à la droite de Christian Dvorak en cours de rencontre. Il a joué avec fougue et n’a pas hésité à décocher des tirs, ce qui n’est pas la norme dans son cas.

En baisse

Brendan Gallagher

Ylönen et lui se sont croisés lorsque Martin St-Louis a remanié ses trios. Gallagher, essentiellement invisible, s’est retrouvé à la droite de Mitchell Stephens. Il n’a eu droit qu’à trois présences en troisième période.

La citation du match

Je vais être honnête, je n’avais aucune idée où était la rondelle.

Jake Allen, au sujet du deuxième but des Red Wings, confirmant ainsi l’impression de quiconque a regardé le match

Dans le détail

Allen (encore) généreux

Il faut donner à Jake Allen le mérite qui lui revient. Après avoir eu l’air franchement vulnérable en cédant 4 fois sur les 15 premiers tirs des Red Wings, il a gardé son équipe dans le coup pendant tout le reste de la rencontre. Il n’en demeure pas moins que le vétéran a, encore, donné beaucoup de buts. Après une seule période, il était déjà acquis que ce match serait son huitième, en dix départs cette saison, au cours duquel il accorderait au moins trois filets. En fait, depuis le début de l’année 2023, c’était la 20e fois en 27 départs. En d’autres termes, quand Jake Allen est en poste, il faut vraisemblablement quatre buts ou plus au Tricolore pour gagner un match. S’il a retiré une relative satisfaction dans le point que son club a réussi à soutirer aux Red Wings, le gardien a avoué, après la rencontre, qu’il n’avait pas adoré sa performance. Il affiche désormais une fiche de 0-5-1 à ses six derniers départs et n’a pas gagné depuis le 28 octobre.

Enfin, mais…

On a pu effacer l’ardoise : après 27 tentatives infructueuses consécutives, le Canadien a finalement marqué un but en avantage numérique, gracieuseté de Nick Suzuki, qui a déjoué Ville Husso d’un tir des poignets aussi puissant que précis. Ni l’auteur de ce but ni son entraîneur n’avaient toutefois grand-chose de positif à dire des prouesses du CH à ce chapitre, car on n’a certainement pas assisté à une clinique d’exécution. Les Red Wings ont même marqué, au premier vingt, alors qu’ils évoluaient avec un homme en moins. L’inefficacité a semblé atteindre un sommet lorsque les locaux ont profité de 59 secondes à cinq contre trois, en deuxième période, sans même réussir à cadrer un tir. Martin St-Louis a avoué que ses hommes avaient un jeu en tête, mais que jamais ils n’ont réussi à l’exécuter, faute de l’ouverture nécessaire. « Par moments, il faut savoir improviser. On aurait pu faire du meilleur boulot », a-t-il résumé. Quant au but de Suzuki, l’entraîneur a noté qu’il faisait « du bien », mais qu’il restait « beaucoup de travail » à faire.

Les petites choses d’Anderson

En matinée, Martin St-Louis avait dit de Josh Anderson qu’il avait cessé de s’acharner à marquer ce fameux premier but qui n’arrive pas, et qu’il semblait, d’une certaine manière, libéré – nous paraphrasons. On en a eu un exemple sur le but égalisateur. Après avoir capté la rondelle dans l’enclave, Anderson aurait assurément pu pivoter et décocher un tir. Il a toutefois eu la présence d’esprit de regarder à sa droite, alors que Gustav Lindström fonçait vers le filet. Il a remis le disque au défenseur suédois, qui a marqué. Sans être transcendant, samedi, Anderson a encore réussi à se signaler, notamment grâce à son imposante présence physique autour du filet adverse. Il faudra un jour ou l’autre que ça se convertisse en buts. Mais d’ici là, les fameuses « petites choses » ont leur valeur. Comme cette passe à Lindström. Il faut bien commencer quelque part.

Simon-Olivier Lorange, La Presse