« Jamais trop haut, jamais trop bas. »

S’il y a une expression que l’on entend souvent, dans un vestiaire de la LNH, c’est celle-là. Elle désigne, de manière générale, l’importance pour les joueurs et leur équipe de ne se laisser ni enivrer par le succès ni abattre par l’insuccès.

La saison dernière, le Kraken de Seattle a monté haut, très haut. À sa deuxième année d’existence, le monstre marin a éliminé l’Avalanche du Colorado, champion en titre de la Coupe Stanley, au premier tour des séries éliminatoires, avant de pousser à la limite de sept matchs sa série de deuxième tour contre les Stars de Dallas. Tout cela alors que personne, ou presque, ne plaçait même ce club dans le détail dans ses prédictions du camp d’entraînement.

Bref, la frénésie était à son comble.

Un peu plus de six mois plus tard, la gueule de bois est douloureuse. Au rythme de sa fiche actuelle, l’équipe accumulerait 72 points sur un calendrier complet – très, très loin de sa récolte de 100 points de 2022-2023.

Les buts alloués sont nombreux ; les buts marqués, rares. Le jeune Matthews Beniers, sublime à sa saison recrue, semble désorienté. À moins d’un miracle, Jared McCann ne répétera pas sa production de 40 buts. Jordan Eberle a ralenti, Yanni Gourde aussi. Ce n’était déjà pas une équipe qui s’appuyait sur ses gardiens pour se sortir du pétrin ; ce ne l’est toujours pas.

Au sein du groupe, le mot « constance » est prononcé à l’unisson. Au sens de : l’absence de.

« On connaît un bon match, après on en dispute deux médiocres ; ensuite, deux matchs incroyables, mais on n’est pas capables d’engranger des points, et un match ordinaire, mais où on arrive à prendre les points. C’est un peu incompréhensible », a illustré Pierre-Édouard Bellemare, lundi matin, après l’entraînement du Kraken.

« On trouve des manières de perdre, a abondé Jordan Eberle. On gagne le momentum dans un match, mais on donne des buts dans des moments cruciaux. »

Plus récemment, je trouve qu’on a affiché plus de constance, mais ironiquement, on a perdu nos derniers matchs, même si on jouait bien. Ça nous choque un peu.

Jordan Eberle

Matthew Beniers a quant à lui acquiescé lorsqu’un journaliste lui a demandé si les adversaires avaient cessé de les prendre à la légère, ses coéquipiers et lui.

« Je pense que l’an dernier, on a pris beaucoup de monde par surprise. De bonnes équipes n’étaient pas prêtes à nous affronter. Maintenant, c’est plus dur. »

Euphorie

L’euphorie héritée du printemps dernier était réelle en début de parcours, a confirmé Yanni Gourde. « Peut-être qu’on avait un peu l’impression qu’on aurait une saison plus facile, vu que tout le monde avait pris une année d’expérience, a-t-il avoué. Mais après quelques matchs, on s’est rendu compte que ce ne serait pas le cas. On a disputé plus de 20 matchs, on doit trouver une façon de mieux performer. »

Bellemare a raconté avoir vu le même phénomène se produire chez le Lightning de Tampa Bay, qui a connu un faux départ en 2022 après avoir atteint la finale.

« Les attentes changent après une année comme ça, croit l’attaquant français. Je ne veux pas que ce soit mal reçu, mais tu penses ‟on va aller en séries” au lieu de ‟on doit travailler pour aller en séries”. À Tampa, après la finale, tout semblait compliqué. »

Le Lightning a toutefois rapidement rectifié le tir. À Seattle, le temps passe, mais la situation tarde à se rétablir.

Bellemare, encore : « Il faut reprendre des habitudes de gagnants. […] En séries, tu les as naturellement, parce que tu sais que si tu joues bien, tu gagnes, mais si tu joues mal, tu es éliminé. Sur un calendrier de 82 matchs, le niveau descend. C’est moins stressant. Le sentiment d’urgence est plus difficile à retrouver. »

Trou

Cette « urgence » devra en effet se manifester rapidement, car le hockey de printemps semble déjà s’éloigner du Nord-Ouest américain.

Le voyage que concluait le Kraken dans la métropole a pris des allures de catastrophe. Trois défaites en autant de sorties, qui ont succédé à un cinglant revers à domicile.

Après 25 rencontres, avant d’affronter le Canadien, le club était à trois points d’une place en séries, avec des matchs de retard sur ses poursuivants. Surmonter l’écart n’est pas impossible, mais ni l’histoire ni les statistiques n’inspirent l’optimisme.

« Nous ne marquons pas assez de buts », a résumé l’entraîneur-chef Dave Hakstol. Avant de faire leurs bagages, ses troupiers semblaient retrouver leur assurance [swagger], a-t-il dit, mais ce ballon-là semble s’être dégonflé.

« Nous aurons besoin de travailler fort afin de rattraper le temps perdu, a-t-il noté. Ce n’est pas un immense trou, mais nous ne pouvons pas perdre de points inutilement. »

Comme en perdant à Montréal contre une formation qui peine, elle aussi, à marquer des buts. La gueule de bois se poursuivra donc. Et elle pourrait faire encore plus mal avec une fin de saison prématurée en avril.