Cutter Gauthier n’est pas l’unique joueur de la NCAA à s’être servi de son pouvoir de négociation pour obtenir un certain contrôle sur sa destination dans la LNH.

Jeudi soir, au Centre Bell, on verra à l’œuvre Henry Thrun, un défenseur des Sharks qui a lui aussi préféré aller voir ailleurs. Sauf que l’histoire n’a pas eu le même retentissement, d’une part parce qu’il l’a fait de façon plus convenue, d’autre part parce qu’il ne quittait pas les bancs d’école avec le statut d’un 5e choix au total, en tout respect.

« Une fois que j’ai compris qu’il y avait de meilleurs endroits pour moi, la bonne chose à faire était d’en informer les Ducks et de ne pas les laisser dans le noir. Je respectais beaucoup les gens là-bas », a expliqué Thrun à La Presse, jeudi matin, à l’entraînement des Sharks.

Thrun était un choix de 4e tour, 101e au total, en 2019. Comme quoi tout est dans tout, il a été repêché par les Ducks, l’équipe qui se retrouve aujourd’hui avec Gauthier.

Une fois repêché, Thrun a porté les couleurs de l’Université Harvard. Le hic, c’est que pendant ce temps, Anaheim a fait le grand ménage, limogeant notamment le directeur général, Bob Murray.

L’autre hic : les Ducks se sont mis à empiler les défenseurs au repêchage. Dans les trois encans suivants, ils en ont réclamé sept dans les trois premiers tours, dont deux dans le top 10 : Jamie Drysdale (on vous l’avait dit, tout est dans tout) et Pavel Mintyukov. La saison dernière, les défenseurs de l’année dans les trois circuits juniors canadiens appartenaient d’ailleurs à Anaheim : Mintyukov en Ontario, Olen Zellweger dans l’Ouest et Tristan Luneau dans la LHJMQ.

Thrun refuse d’attribuer sa décision seulement à la riche relève des Ducks en défense. « Je demeure confiant en mes habiletés. Mais le DG et le personnel qui m’ont repêché n’étaient plus là, alors mon statut devenait plus fluide », a-t-il rappelé.

En parallèle, les Sharks amorçaient un processus de reconstruction, mené par deux gars de la région de Boston, d’où il vient : le directeur général Mike Grier et l’entraîneur-chef David Quinn. « J’avais un certain niveau d’aisance avec eux », explique-t-il.

Les liens avec Montréal

C’est le 15 février dernier que la consœur Lisa Dillman révélait que Thrun n’avait pas l’intention de s’entendre avec les Ducks au terme de sa saison universitaire. L’équipe avait alors le loisir de l’échanger avant de perdre ses droits sur le joueur.

Sur les réseaux sociaux, des amateurs se sont mis à faire des liens avec Montréal, notamment parce qu’il venait de passer son stage universitaire avec Sean Farrell, un espoir du CH.

« Je connais Sean, mais aussi Jordan [Harris], Jayden [Struble] et Cole [Caufield]. Je suis familier avec beaucoup de gens, et Kent Hughes aussi, je le croisais souvent dans les arénas du Massachusetts parce que je suis presque du même âge qu’un de ses fils. Donc j’ai beaucoup de liens avec Montréal ! Mais je suis heureux à San José. »

En tant que défenseur gaucher, Thrun aurait également pu percevoir une certaine congestion dans l’organigramme montréalais, avec Harris et Struble, de même que Kaiden Guhle, Arber Xhekaj et Lane Hutson parmi les jeunes.

Le 28 février, les Ducks ont finalement échangé Thrun aux Sharks contre un choix de 3e tour en 2024, et le jeune homme a pu amorcer sa carrière dans la LNH le printemps dernier, après l’élimination de Harvard en NCAA.

« J’ai vraiment pensé à mon avenir seulement en deuxième moitié de saison, assure Thrun. Une fois que j’ai réalisé que dans un sens ou dans l’autre, je devais prendre une décision, j’ai fait mes devoirs. Mes conseillers m’ont aussi rappelé que je devais me décider, afin d’informer les Ducks si je préférais aller ailleurs. Je pense leur avoir donné assez de temps pour réagir et j’ai eu assez de temps pour y réfléchir. »

Si son but était d’accéder rapidement à la LNH, il a vu juste. Jeudi soir, il disputera son 25e match dans la LNH. Ses statistiques sont bien modestes, rien de surprenant sachant qu’il évolue au sein d’une équipe en voie d’établir des records modernes de médiocrité. En 16 matchs, Thrun compte trois points et montre un différentiel de -9, avec un temps d’utilisation de 18 minutes par match.

Avec William Eklund, il est cependant un des rares membres de la présente édition des Sharks à faire partie des plans à plus long terme de l’équipe.

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David Quinn, entraîneur-chef des Sharks

David Quinn, lui, se dit bien heureux de compter sur un espoir de plus. « C’est dur de se développer dans la LNH, a rappelé l’entraîneur-chef des Sharks, jeudi matin. Ce ne sont pas tous les joueurs qui peuvent gérer ça, mais lui le peut. Il est facile à diriger et il ne laisse pas ses problèmes nuire à son développement. »

Quinn bénéficie du levier des joueurs collégiaux pour la deuxième fois de sa carrière dans la LNH. Lorsqu’il dirigeait les Rangers, il avait accueilli Adam Fox, un autre défenseur de Harvard, qui avait d’abord refusé de se joindre aux Flames, puis aux Hurricanes.

Auparavant, Quinn a aussi connu l’autre facette de cette réalité en tant qu’entraîneur-chef à Boston University.

« J’ai toujours cru qu’un jeune devrait rester fidèle à l’organisation qui l’a repêché, estime Quinn. Mais l’influence des conseillers [NDLR : terme utilisé pour parler des agents dans la NCAA] est une chose, et les organisations subissent parfois leurs propres changements. Chaque cas est différent, tu n’as pas un seul modèle. Il y a quelques exceptions ici et là, mais 95 % des joueurs finissent avec l’organisation qui les a repêchés. »

Thrun et Farrell, meilleurs amis

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Sean Farrell

Plusieurs joueurs des Sharks ont profité de leur mercredi soir à Montréal pour souper ensemble, mais Thrun a quant à lui cassé la croûte avec son bon ami Sean Farrell. En temps normal, Farrell aurait joué avec le Rocket, mais l’équipe vient d’annoncer qu’il ratera de six à huit semaines. « On est de très bons amis. On a grandi à cinq minutes l’un de l’autre. On a joué au hockey mineur ensemble, à l’école secondaire et dans le junior. Jusqu’à cette saison, on avait passé toutes nos saisons, sauf une, dans la même équipe. » Thrun est évidemment biaisé, mais il voit en son bon ami un futur ailier des deux premiers trios à Montréal. « C’est un fabricant de jeu d’élite et il a développé son tir ces dernières années. Il peut transporter le jeu par lui-même, et si tu l’emploies avec de bons joueurs, il sera dangereux. » Farrell comptait 17 points en 24 matchs avec le Rocket au moment de se blesser.