Danièle Sauvageau est pimpante. Elle parle avec verve et enthousiasme du match de samedi entre les Montréalaises et les Bostoniennes de la LPHF, le premier du nouveau circuit dans la métropole. Puis les mots lui manquent.

Nous sommes à l’Auditorium de Verdun, vendredi après-midi, quelques minutes après la fin de l’entraînement de l’équipe de Montréal. Une joute de ligue de garage se déploie maintenant sur la glace. Les rondelles frappent ponctuellement la baie vitrée qui sépare les joueurs d’un certain âge des médias et de leurs interlocutrices.

Sauvageau, la directrice générale de l’équipe, explique que le match de ce samedi aura lieu à guichets fermés, l’enceinte étant prête à accueillir autour de 4000 spectateurs. Elle souligne que l’état de santé de joueuses comme Ann-Sophie Bettez, absente des deux derniers matchs, sera réévalué en matinée. Que l’équipe de Boston arrivera en soirée, vendredi, évitant ainsi la tempête de neige qui risque de s’abattre sur Montréal le lendemain.

De la poutine – format régulier – d’avant-match, en somme. On l’interroge ensuite sur l’arrivée attendue du 13 janvier 2024, cette date fatidique pour laquelle travaille d’arrache-pied toute l’organisation depuis son annonce, en novembre dernier.

Si tu peux m’inventer un mot, j’aimerais, dit-elle, la voix presque cassée. Parce que je ne suis pas sûre de pouvoir mettre un mot sur demain…

Danièle Sauvageau, directrice générale de l’équipe de Montréal

Il n’y a malheureusement pas de dictionnaire dans les parages de ce coin de la patinoire.

On lui demande donc d’expliquer ce qui la rend si émotive par rapport à l’évènement de ce samedi. Est-ce tout le travail accompli depuis la création de la ligue, en août ? Création qui a été suivie d’un repêchage, d’un camp d’entraînement à Utica puis à Montréal, de signatures de contrat, de retranchements, d’embauches à la dizaine au sein de l’équipe, de vols à organiser, de ventes de billets à annoncer, d’évènements à préparer, le tout dans un contexte historique, médiatisé et nouveau pour tous, qui plus est accompli en l’espace de quelques mois seulement ?

C’est ça, mais c’est aussi beaucoup plus, souligne-t-elle.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

La directrice générale de l’équipe de Montréal, Danièle Sauvageau, et son entraîneuse-chef, Kori Cheverie

« C’est tout. Ce sont les 40 dernières années. C’est d’avoir créé [le centre de haute performance 21.02, à Verdun], ne sachant même pas où on s’en allait avec ça. On savait qu’on allait avoir une ligue. Mais quand, comment, par qui, où ? On ne savait pas, mais on voulait être prêts. »

« Cette ligue-là, elle est là pour de bon. Je n’ai jamais vu quelque chose comme ça. Tu sais, quand les enfants poussent la balle de neige qui devient grosse et qu’il y a des roches dedans ? Mais là, c’est au-delà d’une montagne qu’on a fait ça. Et tout d’un coup, on a enfin un break. On la laisse aller. Et présentement, ça déboule », explique la directrice générale de l’équipe de Montréal.

Une cascade d’émotions… à gérer

L’« excitation » en vue de l’ouverture locale ce samedi était le maître mot chez toutes les joueuses de l’équipe de Montréal interrogées.

« Je suis tellement excitée, confirme Marie-Philip Poulin. Ça fait longtemps qu’on attend ce moment-là. Voir ce qui se passe à l’aréna, des gens qui travaillent jour et nuit pour mettre ce moment-là en place, c’est exceptionnel. »

PHOTO FRANK FRANKLIN II, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Catherine Dubois (28) lors du match contre New York, mercredi

« Être à la maison ici pour la première fois en deux semaines, je pense qu’on est toutes vraiment excitées », souligne la réserviste Catherine Dubois, qui a marqué son premier but mercredi.

Ça va être une énergie de plus pour notre équipe. On a joué à Ottawa et au Minnesota, où c’était rempli. On a vu ce que c’était de jouer contre une équipe qui joue à la maison. C’est sûr que ça va être un avantage pour nous.

Gabrielle David, attaquante

Mais il faut quand même les gérer, ces émotions. Comment l’entraîneuse-chef Kori Cheverie s’y prend-elle ?

« C’est important de le reconnaître et de leur en parler. Je ne pense pas qu’aucune d’entre elles ne sait à quoi ça va ressembler. Surtout ici, à Montréal, avec l’attention médiatique et des partisans qui les ont préparées dès le début. […] Nous avons de bonnes professionnelles dans le vestiaire qui s’assurent d’aider les plus jeunes à travers tout ça. C’est un effort collectif. »

Mais pour Cheverie elle-même, c’est aussi une première.

« C’est vraiment cool, dit-elle le sourire aux lèvres. J’essaie de l’apprécier moi aussi. Même si on essaie de gagner un match de hockey, ce qui est très important, je n’ai pas connu cette expérience. Nos joueuses ont hâte, mais le personnel aussi. »

Après trois matchs sur la route, séquence au terme de laquelle les Montréalaises sont allées chercher deux victoires, dont une en prolongation, elles ont maintenant hâte d’être du bon côté de la foule.

PHOTO MARC DESROSIERS, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Ann-Renée Desbiens

« Ils vont nous soutenir nous autres, ils vont arrêter de nous huer », lance en riant la gardienne étoile Ann-Renée Desbiens, qui dit avoir aidé une soixantaine de ses proches à assister au match.

« J’ai vraiment hâte de sentir cet engouement-là, souligne une Ann-Sophie Bettez qui compte bien jouer samedi malgré ses absences récentes. Quand quelqu’un prend un lancer, les soupirs ou les excitations de la foule, c’est un sentiment différent. J’ai vraiment hâte. »

Des « modèles » pour les jeunes

Le moment sera non seulement historique, mais aussi mémorable, selon Danièle Sauvageau.

« Je suis convaincue que [les joueuses] vont être devant vous dans quelques années et vous dire : “Je m’en souviens comme si c’était hier !” Le souvenir, il n’est pas seulement mental. Il est dans les veines, dans les frissons, dans les feelings. »

PHOTO FRANK FRANKLIN II, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Marie-Philip Poulin

Les hockeyeuses de la LPHF savent qu’elles ne sont pas que des joueuses : elles sont aussi des « modèles » pour les jeunes.

« C’est incroyable, estime Marie-Philip Poulin, qui a réussi un tour du chapeau lors du dernier match. Je viens d’avoir la chance de rencontrer une fille de 14 ans de Fredericton. Elle pleurait, elle était tellement contente de nous voir nous entraîner. […] Ces petites filles voient qu’elles peuvent être l’une des nôtres. On ne prend pas ça à la légère. »

« C’est plus que pour nous demain. C’est pour les petites filles, c’est pour le passé, pour le futur. »