(Boston) La boulangerie-café Tatte de Newton est bondée en cet après-midi du 9 janvier. C’est ici, en banlieue de Boston, que nous a donné rendez-vous Patrice Bergeron. Il se présente pile à l’heure. Après avoir fait la queue pour commander, on n’a pas le temps de s’asseoir qu’un jeune homme s’approche timidement. « Excusez-moi, êtes-vous Patrice Bergeron ? », demande-t-il au Québécois avant de lui tendre la main, impressionné.

À peine cinq mois ont passé depuis que Bergeron a pris sa retraite du hockey. Sans surprise, il se fait encore reconnaître dans les endroits publics ; ça arrive deux fois pendant notre heure au café. Chaque fois, il prend le temps d’échanger quelques mots, ou de prendre une photo.

« C’est la manière dont mes parents m’ont montré les choses, nous dira-t-il pendant notre entretien. Je pense que tu essaies d’accueillir les gens, ou d’interagir avec eux, de la façon dont tu voudrais qu’eux interagissent avec toi. »

Cinq mois, donc, que Bergeron a officiellement annoncé sa retraite après 19 saisons avec les Bruins de Boston, dont 3 en tant que capitaine.

C’était le 25 juillet dernier. À ce moment, cette décision ne changeait pas grand-chose à son quotidien ; la routine de l’été n’est pas la même que celle de l’automne, au moment où les joueurs reprennent l’entraînement. C’est donc deux mois plus tard, en septembre, que la réalité a « un peu plus frappé », mais « pas d’une mauvaise façon », précise-t-il.

Il y a un côté de moi qui se disait : je serais censé être quelque part en ce moment, mais je n’y suis pas. Mais… Je pense que je suis où je veux être. Je suis à la bonne place.

Patrice Bergeron

Bergeron l’a dit lors de sa conférence de presse de départ et il le répète en ce début d’année 2024 : il aurait aimé jouer au hockey toute sa vie. « En même temps, il y a une réalité qui fait que tu vieillis », ajoute-t-il.

Et surtout, il y a la famille. Un thème récurrent dans cette longue et captivante discussion avec celui qui s’élève maintenant au rang de légende du hockey.

« À un moment donné, je suis rendu avec quatre enfants, continue-t-il. Les moments à la maison, j’en ratais plusieurs. […] Il y a beaucoup de sacrifices qui ont été faits par ma famille. Maintenant, je me dis : bon, c’est à mon tour de faire ces choses-là. »

Guitare, tennis, hockey…

Bergeron voulait être suffisamment en forme pour faire des activités avec sa fille de 6 ans et ses trois fils de 8 ans, 5 ans et 6 mois. C’est ce qui fait que, lentement, « les pour de prendre [sa] retraite ont gagné sur les contre ».

Aujourd’hui, la vie du Québécois est bien différente de ce qu’elle était il y a exactement un an. Fini, les nombreux voyages en avion. Fini, les heures à l’aréna.

Dans la voix et le visage du toujours fort sympathique athlète, on ne décèle pas une once de chagrin ou de regret. « Je me sens bien, dit-il. Là, maintenant, c’est plus l’ajustement à la nouvelle vie. »

Et de quoi est-elle faite, cette nouvelle vie ?

De cours de guitare, entre autres.

« J’ai toujours voulu le faire, lance-t-il. C’est tellement dur ! Quand j’étais petit, je jouais du piano. J’ai arrêté à cause du hockey ; l’horaire a fait qu’il n’y avait pas de temps pour le piano. C’est ça que je dis à mes enfants : si vous voulez, c’est le temps d’apprendre un instrument là ! »

« Je fais du tennis, ajoute-t-il spontanément. Je joue avec Tuukka [Rask]. Chaque lundi, on suit des cours ensemble. »

PHOTO KATHY WILLENS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Patrice Bergeron (37) et Tuukka Rask (40) ont remplacé le hockey par le tennis. Chaque lundi, les anciens coéquipiers se retrouvent sur un court pour suivre des cours.

Bergeron continue aussi de s’entraîner en salle. Sur les conseils de l’entraîneur du conditionnement physique des Bruins, il a opté pour le gym, grand et tranquille, du Boston Sports Institute, qui est devenu le centre d’entraînement de l’équipe locale de la nouvelle Ligue professionnelle de hockey féminin… Ce qui explique qu’on l’y ait croisé le matin même, lors de notre rencontre avec Hilary Knight – le monde est petit !

Et puis il y a le hockey. Évidemment.

« Les vendredis, on est sur la glace avec d’anciens joueurs. C’est moi qui ai comme initié la réunion du vendredi. Je me disais : ça pourrait être le fun de revoir les gars. Veux, veux pas, on est à la retraite. Chacun de notre bord, on a un horaire qui se remplit rapidement. Tu te vois moins. Il y a Tuuks [Tuukka Rask], [Adam] McQuaid, [Lee] Stempniak parfois, Andrew Alberts, Andrew Raycroft… Ça vient et ça part. »

J’essaie d’avoir Z [Zdeno Chara]. Il est beaucoup dans ses marathons en ce moment. On se parle beaucoup, mais… Il essaie de me convaincre [de faire des marathons], et moi j’essaie de le convaincre de venir les vendredis.

Patrice Bergeron

Cette réunion, c’est un peu sa façon de retrouver ce qui lui manque le plus du hockey ; la camaraderie, l’esprit de groupe. Et ça lui permet de garder un contact avec le sport qui est, et restera toujours, sa passion. Même si « ça paraît quand même de patiner une fois par semaine versus six fois ! T’es moins sharp, mettons » !

Père à la maison

De toute évidence, avant la guitare, le tennis et la ligue de garage entre anciens, Bergeron est avant tout un parent. Son quotidien tourne désormais autour de sa grande famille. Sa conjointe Stéphanie, qui était mère à la maison pendant la carrière de hockeyeur de Patrice, a terminé sa maîtrise en psychologie et postule pour faire son doctorat.

« C’est un peu l’autre idée derrière tout ça : maintenant, c’est à son tour d’aller vivre son rêve », dit Bergeron.

Ce dernier insiste : être un père de famille à temps plein lui plaît. « Ça n’arrête pas ! Il y a toujours quelque chose. Même si tu penses que tu es libre, que tu peux aller t’entraîner, tu vas avoir un appel de l’école. Mais c’est vraiment le fun ! J’aime ça, passer du temps avec la famille. Ça se passe super bien pour l’instant. »

« Il y avait une habitude où je partais souvent. Là, c’est rendu la même chose [à l’inverse]. […] Il y a un ajustement qui a été fait : papa est à la maison. »

Si les trois plus vieux s’ennuient parfois d’aller voir leur père au hockey et d’avoir un accès privilégié au vestiaire des Bruins, la famille n’a pas fait ses au revoir aux arénas, loin de là. Deux des garçons jouent au hockey, et fillette veut commencer le patinage artistique. Si Bergeron aide parfois l’équipe de l’aîné, il a bien prévenu les organisateurs qu’il ne souhaite pas s’embarquer dans quelque chose de trop prenant.

« C’était vraiment ça que je cherchais, que je voulais, laisse-t-il entendre. Je suis bien là-dedans, dans le fait de prendre un pas de recul, de prendre les choses comme elles viennent. »

« Je ne dis pas qu’il n’y a pas de moments où j’en ai jusque-là et que c’est beaucoup. Mais il reste que… Dans 20 ans ou dans 10 ans, je vais être content de l’avoir fait, d’avoir pris le temps de passer du temps avec eux. »

Lisez notre article « C’est du bon hockey », dit Patrice Bergeron