Qu’ont en commun Pat Burns, Brian Gionta et Tomas Plekanec ? Ils ont toujours arboré de la pilosité faciale, sauf à un moment précis de leur carrière : lorsqu’ils ont joué pour Lou Lamoriello.

La politique capillaire de Lamoriello a de nouveau défrayé la chronique dimanche, quand un Patrick Roy rasé de près a débarqué chez les Islanders de New York. Le même Patrick Roy qui portait une barbe particulièrement hirsute au terme du tournoi de la Coupe Memorial, l’an dernier.

Gionta est bien placé pour parler des règles du doyen des DG de la LNH. Arrivé chez les Devils en 2001, il faisait partie de l’équipe quand Pat Burns a été embauché comme entraîneur-chef, révélant sa lèvre supérieure à la planète peut-être pour la toute première fois depuis sa petite enfance.

« Ça montre que tout le monde doit embarquer, n’est-ce pas ? lance l’ancien du Canadien au bout du fil. C’est la force des organisations de Lou. Les gens respectent cet esprit de sacrifice. Même Pat Burns, un gros bonhomme, dur et bourru. Quand il est arrivé, on a tout de suite remarqué qu’il s’était rasé. Mais personne ne le taquinait, parce que c’était Pat Burns ! »

PHOTO DENIS COURVILLE, ARCHIVES LA PRESSE

Pat Burns derrière le banc des Devils du New Jersey en 2003

Le Pat Burns imberbe n’avait guère fait jaser à l’époque. Nos recherches dans les archives de La Presse et des autres médias n’ont rien révélé à cet égard. Le vénérable Marc de Foy, qui a couvert la carrière de Burns du début à la fin, confirme que ce n’était pas un sujet de conversation à l’époque. Que la barbe de Roy, pourtant pas dans son ADN comme l’était la moustache pour Burns, en soit devenue un, « je mets ça sur le dos de l’internet », estime le collègue du Journal de Montréal.

La culture

Les fameuses règles de Lamoriello ne laissent personne indifférent. Celle de la barbe est la plus connue. Quand le Canadien a échangé Tomas Plekanec aux Maple Leafs de Toronto, alors dirigés par Lamoriello, il avait dû tailler sa fameuse barbichette, qu’il avait toutefois refait pousser en séries, seul moment où une dérogation est accordée.

La longueur des cheveux est également réglementée. Alexander Romanov, qui avait toujours quelques mèches qui dépassaient de son casque du Canadien, a changé de coupe de cheveux en arrivant chez les Islanders en 2022.

« Brendan Shanahan était revenu chez les Devils en fin de carrière. Il avait toujours eu les cheveux longs, mais il était arrivé avec les cheveux courts. On avait encore compris que tout le monde devait se plier », rappelle Gionta, au sujet du marqueur de 656 buts.

« Ce n’était pas compliqué. Il voulait qu’on soit de vrais professionnels, pas des bums », décrit Jacques Caron, entraîneur des gardiens des Devils de 1993 à 2010.

Gionta n’a jamais eu droit à une explication noir sur blanc de ces règles. « Au fil de mes conversations avec lui, j’en déduis qu’il voulait qu’on ait l’air professionnels, et c’était l’équipe avant tout. Tu donnes ton identité au groupe, donc ta barbe, tes cheveux, ton numéro de chandail. C’est comme un sacrifice pour l’équipe. Tu peux rester toi-même, mais tu dois te donner à quelque chose de plus grand. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Brian Gionta avec les Devils du New Jersey en 2009

Matt Loughlin, descripteur des matchs des Devils à la radio, a sa propre hypothèse quant à ces critères. Il rappelle que Lamoriello était proche de George Steinbrenner, défunt propriétaire des Yankees de New York. « Quand on jouait à Tampa, il passait du temps avec Steinbrenner, et les Yankees avaient le même règlement. Je ne sais pas si Lou l’a fait pour imiter les Yankees ou s’il y croyait déjà, mais tous savaient à quoi s’en tenir. »

Le port du veston et de la cravate, une convention plus répandue dans la LNH, allait aussi de soi. Mais chez les Devils, il s’appliquait à tout le personnel. Loughlin a d’abord agi comme descripteur à la télévision, pour une station indépendante. Quand il est passé à la radio, il est alors devenu un employé de l’équipe, puisque les Devils possèdent leur propre réseau. « J’étais alors tenu d’être en veston et en cravate, témoigne Loughlin. À plusieurs égards, c’est facile de travailler pour Lou, mais les règles, c’étaient les règles. »

Lamoriello a déjà été reconnu pour sa rigidité avec les numéros des joueurs, qu’il préférait inférieurs à 40, règle qui s’est quelque peu assouplie par la suite.

Un autre exemple : les agents. Lamoriello n’en était pas friand, bien que ça n’ait pas été possible d’en faire une règle, puisqu’ils font carrément partie de l’écosystème de la LNH. Quand Pat Burns était entraîneur-chef, il était représenté par son cousin, Robin, un Montréalais qui a lui-même joué dans la LNH. Sauf que ce n’est pas Robin Burns qui a négocié le contrat de Pat au New Jersey…

« Je l’avais représenté pour ses contrats avec Toronto et Boston. Mais Lou ne voulait pas passer par un agent. Ça aussi, c’était de la vieille école ! Je parlais à Pat, Pat parlait à Lou, puis Pat me revenait et la communication se faisait comme ça », détaille Robin Burns.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le directeur général des Islanders de New York, Lou Lamoriello

Loyauté

Lamoriello exerce en outre un contrôle serré de l’information, ce qui peut être vu comme une façon de tester la loyauté de ses employés. Seuls lui, les joueurs, l’entraîneur-chef sont autorisés à parler aux médias, sauf en de rares exceptions. Il lui arrive souvent de retenir des informations que d’autres organisations dévoileraient sur-le-champ, notamment des signatures de contrats.

« S’il demande à quelqu’un de garder quelque chose de confidentiel et que tu abuses de sa confiance, il ne l’oubliera jamais. Mais si tu gardes le secret, il va aussi s’en souvenir, souligne Robin Burns. Dans le sport professionnel, les gens aiment parfois parler aux médias et accaparer la gloire. Lou, lui, croit beaucoup dans le concept d’équipe. »

Le nouveau patron de Patrick Roy est un personnage particulier, capable à la fois de loyauté et de décisions incompréhensibles. Il a par exemple congédié deux entraîneurs (Robbie Ftorek et Claude Julien) à l’approche des séries, et un autre, Pete DeBoer, en plein congé de Noël en 2014.

Mais à l’inverse, ceux qui ont eu des expériences positives avec lui ne retiennent que le bon. Robin Burns peut en témoigner.

« Derrière ses allures rigides, c’est une personne très douce. Il est devenu très proche de Pat au fil des ans et venait souvent le visiter quand il était malade à la fin. Quand Pat est mort, il avait amené l’équipe au complet aux funérailles. C’était incroyable de sa part. »

« La loyauté, pour Lou, c’est vrai, ajoute Jacques Caron. Quand il a été admis au Temple de la renommée, il m’a dit : si je suis ici, c’est en partie grâce à des gars comme toi. Ce n’est pas un ingrat, il se souvient de ceux qui l’ont aidé. »