Les dirigeants de clubs juniors et universitaires ne se gênent jamais pour défendre leurs protégés lorsqu’ils les estiment victimes d’une injustice. C’est exactement ce que fait Mario Durocher, directeur général adjoint du Drakkar de Baie-Comeau.

L’injustice en question ? Justin Poirier, prolifique marqueur du Drakkar, n’a pas été invité au match des meilleurs espoirs de la Ligue canadienne de hockey (LCH) le mois dernier, même si, à 17 ans, il trône au premier rang de la LHJMQ pour les buts.

« Qui a décidé ça ? Les recruteurs en chef ? Les GM ? Je ne le sais pas trop, mais ça fait inégal et c’est désagréable. Il est le meilleur scoreur de la ligue. Ce n’est pas banal. Les raisons ne sont pas là », a pesté Durocher, rencontré au début de février à Drummondville.

Les faits, d’abord. Avec 41 buts en 54 matchs, Poirier est en voie de conclure la campagne avec 51 buts. Le confrère de RDS Stéphane Leroux l’a écrit la semaine dernière : il y a près de deux décennies qu’un joueur de 17 ans a atteint la cinquantaine dans la LHJMQ. Son nom : Sidney Crosby. C’est la suite logique de ce que Poirier avait accompli dans le midget AAA, enfilant 33 buts en 37 matchs. À 15 ans.

Sauf que Poirier n’est pas un géant de 6 pi 5 po comme l’était il y a 10 ans Anthony Mantha, un autre prolifique marqueur dans la LHJMQ. Il fait plutôt 5 pi 8 po et 190 lb. Comme bien des tireurs d’élite, il est perçu comme un joueur unidimensionnel.

Depuis que je suis jeune, je me fais reprocher des choses comme mon jeu défensif, ma grandeur.

Justin Poirier

Sachant cela, son classement en vue du repêchage a souffert. La LNH le classe 73parmi les patineurs nord-américains. Si on ajoute les gardiens et les Européens, on comprend que la Centrale de recrutement du circuit le voit, au mieux, comme un choix de quatrième tour.

Parmi les espoirs des trois circuits juniors canadiens, il vient au 49e rang, et au 33e parmi les attaquants. Puisque seuls 24 attaquants étaient invités au match des meilleurs espoirs, son absence tenait de la logique.

De plus, ce classement ne fait pas foi de tout, puisque ce sont les équipes de la LNH qui, par sondage, déterminent quels joueurs sont invités au match des espoirs. Si assez de clubs l’avaient demandé, Poirier y aurait participé, quoi qu’en dise la Centrale de recrutement.

Bref, il y avait consensus quant à la place de Poirier dans l’échiquier.

Incompréhension

Toujours selon la Centrale de recrutement de la LNH, Poirier vient au neuvième rang des espoirs de la LHJMQ, ce qui signifie qu’il n’a pas non plus été retenu parmi les cinq joueurs qui participent à la tournée médiatique de cette semaine.

Ses contemporains du circuit Cecchini ne s’expliquent pas non plus pourquoi il est boudé. « Tout le monde était surpris qu’il ne soit pas invité au match des espoirs. C’était un choc. Mais je le connais et je sais que ça lui sert de motivation », explique le défenseur Tomas Lavoie, des Eagles du Cap-Breton.

Ce dernier prend comme exemple un récent duel contre lui pour illustrer la force de Poirier. « Il est rentré devant moi, a regardé derrière pour voir si quelqu’un le suivait, et a tiré entre mes jambes, sur la barre horizontale. Ça a presque déplacé le but ! »

« Les gens lui trouvent beaucoup de défauts, déplore Raoul Boilard, son coéquipier à Baie-Comeau. C’est sûr qu’il est petit, mais il s’implique, il va dans les coins. C’est un bon fabricant de jeux, il nous aide à gagner, il ne fait pas juste scorer. »

PHOTO GUILLAUME LEFRANÇOIS, LA PRESSE

Justin Poirier

Un autre joueur du Drakkar, Alexis Bernier, était aussi de passage au Centre Bell, avec le quintette d’espoirs de la LJHMQ. « C’est un gars sous-estimé, peut-être pour sa grandeur, mais il est dur à tasser. On ne comprend pas pourquoi il est oublié, mais je ne suis pas inquiet pour lui. »

Et le principal intéressé, lui ? Déçu, surpris ?

« Un peu des deux, disait-il à La Presse le 1er février dernier. Je pensais que j’avais ma place, donc c’était une petite déception. Mais je suis dans la même agence que Jordan Dumais, qui n’avait pas été invité non plus. C’est une motivation de prouver à ces gens-là que j’avais ma place. C’est peut-être une petite claque dans la face, mais c’est loin d’être fini. »

Le défi de la diversification

Le défi de Poirier, d’ici à juin, sera donc de démontrer qu’il n’est pas unidimensionnel. De démontrer « sa deuxième qualité », pour reprendre les termes d’un recruteur. « Si ton DG te demande toujours ‟il y a combien de gars de 5 pi 7 po dans la LNH ?”, tu dois être sûr de ton coup si tu vas au bat pour le joueur », poursuit cet éclaireur.

C’est exactement ce que Mario Durocher tente de faire comprendre à Poirier. Le jour de notre rencontre, à Drummondville, Durocher avait d’ailleurs pris Poirier à part.

« Je lui ai dit : ‟Tu dois aller chercher autre chose. Pas besoin d’en scorer 75 pour le prouver. Dans les cahiers de notes des dépisteurs, c’est déjà là. Tu dois donner des outils aux scouts du Québec pour qu’ils te vendent aux scouts de l’Ontario, pour qu’ils puissent dire : il joue bien défensivement, il finit ses mises en échec.” »

Selon Durocher, Poirier doit donc oublier le fait qu’il a été ignoré au match des espoirs. « En séries, tu vas voir des dépisteurs en chef. À la Coupe Memorial, ce sera des GM. Ce sera d’autres gens que tu pourras convaincre drette là. »