(Raleigh) Le régime à trois gardiens entretenu par le Canadien depuis le début de la saison continue de déchaîner les passions dans la métropole. Or, s’il y a un endroit où personne ne s’en émouvra, c’est bien en Caroline.

À l’entraînement, mercredi, trois hommes masqués se partageaient le travail chez les Hurricanes. À une extrémité de la patinoire, Frederik Andersen, qui n’a pas joué depuis le 2 novembre en raison d’un problème sanguin, ressemblait drôlement à un gardien prêt à reprendre le collier.

À l’autre extrémité, Pyotr Kochetkov et Spencer Martin alternaient devant le but, au gré des différents exercices. Et avant que toute l’équipe ne saute sur la glace, Antti Raanta avait travaillé pendant une heure avec l’entraîneur spécialisé du club.

Selon nos calculs, ce sont bel et bien quatre gardiens qui doivent cohabiter. Et selon les mêmes calculs, il n’y a que deux postes disponibles pendant un match, et deux filets sur une même patinoire.

« Il faut être organisé, témoigne Paul Schonfelder, entraîneur des gardiens des Hurricanes. Personne ne veut de quatre gardiens dans un même entraînement. Mais il faut quand même que tout le monde ait ses répétitions. »

Bon, ce n’est pas exactement un ménage à quatre, dans la plus stricte définition du terme, que l’on observe à Raleigh, puisqu’Andersen et Raanta sont sur la liste des blessés, si bien que Kochetkov et Martin montent la garde depuis bientôt un mois.

La logistique, toutefois, est complexe, d’autant que les quatre sont actuellement en mesure de s’entraîner.

Le dossier des gardiens, de fait, a été compliqué depuis pratiquement le premier jour de la saison. Le bon vieux duo Andersen-Raanta a amorcé la campagne. Un mois plus tard, on apprenait que le Danois raterait plusieurs mois d’activités. En novembre, Raanta a montré certaines failles qui sont devenues encore plus flagrantes en décembre, au point que la direction l’a envoyé disputer deux matchs dans la Ligue américaine pour se ressaisir, ce qui a porté ses fruits.

En janvier, Kochetkov a subi une commotion cérébrale : Spencer Martin a alors été réclamé au ballottage. Quelques jours plus tard, c’était au tour de Raanta de se blesser au « bas du corps », ouvrant la porte à l’improbable duo Kochetkov-Martin… qui a fait preuve d’une redoutable efficacité. À ses sept derniers départs, le Russe affiche une moyenne de buts accordés de 1,73. Et Martin, un vétéran des ligues mineures, n’a toujours pas subi la défaite en temps réglementaire dans l’uniforme des Hurricanes.

Au cours des derniers mois, tous ceux qui ont défendu le filet ont élevé leur jeu. Leur constance a été déterminante. Je ne parle pas de connaître deux bons matchs de suite, mais plutôt d’en jouer cinq ou six, toujours de la même manière, tous les soirs.

Paul Schonfelder, entraîneur des gardiens des Hurricanes

Le défi est encore plus grand, croit-il, dans un club aussi performant sur le plan défensif. Les Hurricanes, en effet, sont parmi les équipes de la ligue qui accordent le moins de tirs et de chances de marquer. Les nouveaux venus devant le filet doivent donc apprivoiser une charge de travail atypique. « Certains soirs, tu vas recevoir trois tirs dans une période », illustre le spécialiste.

« Affronter de 30 à 35 tirs par match, c’est difficile physiquement, mais en affronter 18 ou 19, c’est difficile psychologiquement. Peu de gens le réalisent. Quand tu reçois peu de tirs, tu perds le rythme, tu as le temps de penser. Il faut gérer les matchs de la bonne façon. Car en définitive, il faut faire les arrêts quand même. »

Personnalités

Les gardiens de but, ce n’est pas un secret, sont une race d’athlètes à part. Chacun a une personnalité, des tics, voire des caprices, qui lui sont propres. Alors, imaginez quand ils sont quatre, coincés dans une situation qu’ils n’ont pas choisie.

« Ils ont été super, assure Paul Schonfelder. Ils sont tous là pour aider l’équipe à gagner. »

PHOTO KARL B DEBLAKER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Pyotr Kochetkov (52)

Kochetkov, 24 ans, est sans contredit la révélation de la saison. Après avoir connu quelques difficultés en début de parcours, il a remporté 9 de ses 14 derniers départs. Avec son anglais approximatif, il est celui qui parle fort et qui fait rire ses coéquipiers.

Au cours d’une courte discussion avec La Presse, il salue la coopération entre ses collègues et lui. Il « vit un rêve » en jouant à temps plein dans la LNH. « C’est vraiment plaisant », ajoute-t-il.

À côté de lui, Andersen, 34 ans, est autrement posé. Comme on pouvait s’y attendre, il raconte que cette campagne a été tout sauf facile pour lui. « C’est comme toutes les situations de la vie, il faut trouver la bonne manière de les affronter », philosophe-t-il.

Jamais il n’a eu à partager son filet de cette manière auparavant, mais là aussi, il tente d’en tirer du positif. « Si on a une répétition, on doit donner tout ce qu’on peut. Si on en a deux, on doit être le meilleur dans les deux. C’est tout ce qu’on peut faire. Même si on commençait à se plaindre, ça ne changera pas. Si ça se trouve, ce sera juste pire. »

PHOTO KARL B DEBLAKER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Frederik Andersen (31)

Il n’a que de bons mots pour ses partenaires, notamment Raanta, 34 ans lui aussi, son complice des dernières saisons – le Finlandais était le seul des quatre portiers à être absent du vestiaire au moment du passage de La Presse.

Il y a enfin, à l’autre bout de la pièce, Spencer Martin, 28 ans. On peut croire qu’il se souviendra longtemps de cette saison 2023-2024, au cours de laquelle il a été réclamé au ballottage non pas une, mais deux fois. L’Ontarien ne contrôle résolument rien de son destin, car il se doute bien que c’est lui qui écopera lorsque Raanta et Andersen seront de retour en santé. À quelques heures de la date limite des transactions, il passe peut-être ses derniers moments en Caroline.

PHOTO RUSSELL LABOUNTY, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Spencer Martin (41)

« C’est la meilleure équipe pour laquelle j’aie joué à ce jour, s’émerveille-t-il. C’est vraiment emballant. Tout peut arriver. Je sais que j’ai la chance de faire partie de quelque chose de spécial, alors je me tiens prêt à tout. »

C’est peut-être ce qui résume le mieux cette cohabitation inhabituelle dans une équipe qui aspire aux grands honneurs. Chacun doit offrir le meilleur de soi-même, sans relâchement. Et pour le reste, on verra.

« On ne parle pas vraiment de la suite, avoue Paul Schonfelder. On s’attend à continuer comme ça, un jour à la fois, jusqu’au prochain défi, au prochain match. Mais oui, des décisions seront prises. »

Celles-ci feront sans doute un ou deux malheureux. Mais quand il y a une Coupe Stanley à gagner, des choix parfois cruels s’imposent.