(Kloten, Suisse) Le moment se passe le 30 septembre. David Reinbacher, à son deuxième match du camp, s’apprête à quitter le Centre Bell, après avoir joué 16 minutes, dans une défaite de 3-1 contre les Maple Leafs.

Reinbacher sort du sauna et enfile son complet. Il se dirige vers le buffet pour faire le plein d’énergie avant de filer. « Personne ne savait que l’équipe retranchait des joueurs ce soir-là », explique-t-il. On en comprend que lui non plus ne s’attendait pas à une annonce.

Jusqu’à ce qu’il croise Alex Case, secrétaire de route du Tricolore. « Caser me dit : “As-tu une seconde ?” Et il me montre un billet d’avion. Donc j’ai compris.

« Ensuite, j’ai rencontré Martin [St-Louis], Kent [Hughes] et Jeff [Gorton] dans le bureau. Ça a bien été, ils m’ont laissé sur une note positive. »

Le contraste semble quand même fort entre la façon un brin particulière de lui annoncer la nouvelle, et son impression d’une rencontre positive. Un peu bizarre comme façon de faire, non ?

« Oui, mais j’imagine que c’est comme ça qu’ils font les choses. C’est une business dure. Si tu performes, ça va. Sinon… », dit-il, laissant la phrase en suspens.

Son « sinon » n’est pas mal, remarquez. Il repartait tout de même avec un contrat de trois ans en poche, qui commencera à s’écouler lorsqu’il s’établira en Amérique du Nord. En attendant, le voici à Kloten, en banlieue de Zurich, pour parfaire son art.

« Ils m’ont dit de profiter de mon temps là-bas. “Essaie d’avoir de l’assurance [swagger], fais des jeux. Pas besoin de te préoccuper de prouver aux autres à quel point tu es bon. On a vu ce que tu peux faire. Concentre-toi sur ton développement.” »

Reinbacher n’a donc visiblement pas été ébranlé par les évènements, et il est vite passé à la suite des choses. Vite comment ?

« Il est venu à notre entraînement directement de l’aéroport, je crois que c’était plus facile de combattre le décalage horaire. Et à la fin de l’entraînement, il est venu me voir : “Allez, on doit tirer des rondelles, s’habituer à se repérer” », révèle Steve Kellenberger, capitaine de Kloten, également le partenaire de Reinbacher à la ligne bleue depuis l’an passé.

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Le coéquipier de David Reinbacher, et capitaine de l’EHC Kloten, Steve Kellenberger

Le vétéran de 36 ans a découvert un Reinbacher 2.0. « Il était brièvement ici cet été, je le sentais nerveux, il pensait à ce qui l’attendait au camp. Quand il est revenu, il était différent, il a aimé son camp et était très motivé. »

Kellenberger donne pour exemple un jeu qui pourrait paraître bien banal : un but marqué… dans un filet désert ! « Il jouait en confiance et ça se voyait sur son but. C’est rare que des gars de 18 ans tentent ce jeu, risquent le dégagement refusé pour tenter un tir de loin. On a connu un bon match en partant. C’est dommage qu’il se soit blessé. »

Voyez le but de David Reinbacher

Ce qui frappe le plus en parlant à Reinbacher, à son entourage, en observant son environnement, c’est que sa vie à Kloten est ce qu’il y a de plus normal, comparativement à ce qui l’attend s’il s’établit comme un joueur dominant dans la LNH.

D’abord, nos rencontres avec lui étaient pour le moins décontractées, loin des mêlées de presse captées par 12 micros à Brossard. La première rencontre, après une séance intense de patinage, a eu lieu dans un étroit local adjacent au vestiaire, où le grand défenseur souriait en consultant une vieille photo d’équipe qu’on a retrouvée, on y reviendra.

Pour la suite, deux jours plus tard, Reinbacher nous convie à une jolie boulangerie sise au carrefour giratoire central de Kloten. Il opte pour le sandwich ; nous, pour un genre de millefeuille, recommandé par notre interlocuteur. La pâtisserie est toutefois coriace, et la crème pâtissière sort de tout bord tout côté. « Tu peux la couper à quelques endroits », nous indique-t-il, dans une scène où on se demande qui est le quadragénaire et qui est l’adolescent.

Ensuite, le jeune homme partage son temps entre le hockey et le travail. Il avait mentionné au repêchage qu’il étudiait pour devenir chasseur de têtes. Son horaire l’empêche d’assister à ses cours à la United School of Sports, qui sont offerts le vendredi. En revanche, il fait un stage chez INSTEQ, une entreprise d’une « vingtaine d’employés », qui a pignon sur rue à un kilomètre de l’aréna.

« Je cherche des gens, simplifie-t-il. J’ai une feuille, je cherche des ingénieurs, des scrum masters, et je dois envoyer une liste de noms à mon collègue.

Ça permet de se changer les idées du hockey. Tu travailles avec des gens qui ont une vie normale, tu vois que c’est difficile. Tu dois être concentré pendant quelques heures. Ici, mes erreurs coûtent de l’argent. Au hockey, mes erreurs peuvent coûter des points, mais pas d’argent. C’est correct, j’aime les défis.

David Reinbacher

Il demeure toujours chez son père. Reinbacher est autrichien, mais il joue en Suisse depuis l’adolescence et le paternel s’y est installé.

La vie avec papa vient tout de même avec des responsabilités. Après la rencontre à la boulangerie, il était attendu à la maison. « Mon père a un souper d’anniversaire avec sa conjointe, donc je dois sortir le chien et m’occuper de nos deux chatons ! », explique-t-il.

Les fans de Reinbacher

Côté hockey, il faut comprendre que la ligue nationale suisse, bien que suivie assidûment, ne vient pas avec la même attention que la LNH et ses marchés plus chauds. Reinbacher a néanmoins ses fans. Il est pressenti, après tout, pour le rôle de défenseur n1 du club cette saison.

Samedi, Kloten accueille les Lakers de Rapperswil-Jona. Le petit Nevio arrive avec ses frères, casquette du Canadien vissée sur la tête. Les parents confirment : c’est pour Reinbacher. Ce qu’il aime de lui ? « Son numéro ! », répond l’enfant.

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Trois partisans de Kloten : Nevio, Karim et Roméo

Voici Thomas Fetz, partisan de longue date. Lui porte un chandail numéro 64. « 1964 est aussi mon année de naissance, précise-t-il. Ma fille m’a offert un chandail numéro 64 du Canadien, je l’ai reçu aujourd’hui. Avoir su que je parlerais à un journaliste de Montréal, je l’aurais mis ! » M. Fetz entend faire signer ses deux chandails par Reinbacher. « Je pense que j’ai intérêt à lui demander pendant qu’il joue ici ! », lance-t-il en riant.

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Un partisan, Thomas Fetz

Blessé, Reinbacher ne participe pas à ce match. Il y assiste donc des gradins. Pas de la passerelle. Vraiment des gradins, avec sa copine, dans les hauteurs pas très hautes du Stimo Arena. En toute tranquillité, sans que personne, chaque fois que nous regardions, ne vienne le solliciter pour une photo.

Ce côté terre à terre, ce gars qui n’a jamais oublié ses origines, ressort rapidement des entretiens avec son entourage.

Ça commence avec Lenz Moosbrugger, son meilleur ami. Les deux se sont connus à l’âge de 4 ans, à l’aréna. On présente à Reinbacher une photo d’équipe de l’EHC Lustenau, niveau « Bambini ». Il reconnaît tout de suite son vieux pote, qui joue toujours à Lustenau, mais maintenant pour l’équipe professionnelle.

« On se voit moins souvent à cause de l’éloignement, mais on se parle tous les jours », dit Moosbrugger, rencontré justement à l’aréna de Lustenau. Reinbacher l’a par exemple appelé le soir même du repêchage. « Il devait être 3 ou 4 h du matin ici, mais j’étais resté debout ! », se souvient-il.

Qu’aime-t-il de Reinbacher comme ami ? « Il est toujours heureux et si tu as un problème, il te parle de façon positive pour te remonter le moral. »

Vinzenz Rohrer est un autre compatriote de Reinbacher. Lui est également un espoir du Canadien (choix de 3e ronde en 2022) et il passe la saison chez les Lions de Zurich.

« À Lustenau, il a encore le même groupe d’amis. Il y a Lenz, et un autre David, nous raconte Rohrer, rencontré dans la métropole suisse.

« Même s’il y a beaucoup d’engouement autour de lui, dans un gros marché, il est resté humble, poursuit l’attaquant. Il est resté amical, il prend des nouvelles, il n’est pas en train de raconter combien d’entrevues il a accordées, même s’il en fait un million. On se parlait au camp de développement et il était d’une bonne écoute. Il est resté mon pote autrichien que je connais depuis que j’ai 12 ans. »

Dans un même ordre d’idées, prenez cette réponse de Reinbacher lorsqu’on lui demande avec qui il a gardé contact chez le Canadien. « Sean Farrell, Logan Mailloux, Filip Mesar », répond-il.

Personne de l’équipe principale ? « Je parle plus aux jeunes. Je crois que je dois d’abord gagner le respect des plus vieux avant de leur parler. C’est la même chose ici. Ça prend un peu de temps. Tu dois travailler pour gagner le respect. »

Des propos qui rejoignent ce que nous disait l’entraîneur-chef du club, Gerry Fleming. « David est une personne spéciale. Il est humble, parfois presque trop, estime le Montréalais d’origine. Il aime bien rediriger l’attention sur ses coéquipiers. Il croit en lui-même, mais ne veut pas les projecteurs sur lui. Il comprend qu’il est bon, mais il ne veut pas avoir l’air arrogant. »

Sa vie va drôlement changer lorsqu’il s’amènera à Montréal. Les amitiés se vivront à distance. Il n’aura plus le travail et les études pour se changer les idées. Et l’anonymat prendra vite le bord.

Reinbacher a eu droit à un premier aperçu de sa future vie dans les heures qui ont suivi le repêchage, quand il a été victime de commentaires peu édifiants sur les réseaux sociaux, de partisans qui n’appréciaient pas sa sélection par le Canadien.

Quelques jours plus tard, au terme du camp de développement, Reinbacher avait toutefois été accueilli chaleureusement. « Je me sens comme à la maison ici », avait-il dit. La plaie était refermée.

Il demeure néanmoins sur ses gardes, surtout au sujet de la famille. Il a refusé notre demande de s’entretenir avec son père, et nous a demandé de ne pas nommer sa copine, puisque là aussi, des débordements ont eu lieu sur les réseaux sociaux.

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L’entraîneur de David Reinbacher, Gerry Fleming

« Je pense que ces commentaires [au repêchage] l’ont affecté un peu, mais le Canadien l’a bien géré. Puis, les fans l’ont accueilli à bras ouverts et il a senti l’amour, estime Gerry Fleming. Ça fait partie de la croissance. Ça ne sera pas toujours un monde de licornes [skittles and rainbows]. Parfois, tu vas te faire dire les vraies choses, surtout à Montréal. C’est la vie. »

Fleming l’épaulera dans son développement cette saison. L’entraîneur-chef prévoit de compter abondamment sur Reinbacher ; le jeune a eu droit à 20 minutes de jeu à son dernier match avant de se blesser.

Fleming, en tant que Québécois qui a même disputé neuf matchs avec le Canadien dans les années 1990, peut aussi le renseigner sur le marché montréalais. Un de ses conseils : « Apprends le français. »

Reinbacher entend le suivre. « Ça fait partie de la culture et je veux faire partie de cette culture. J’espère y connaître une longue carrière pour faire partie de cette culture. »