Parmi les occasions dont parle Kori Cheverie, une en particulier était irrésistible, à l’Université Ryerson – aujourd’hui l’Université métropolitaine de Toronto.

D’abord embauchée comme spécialiste des habiletés, elle a signifié à un entraîneur adjoint de l’équipe masculine à l’époque, Johnny Duco, qu’elle aimerait bien travailler avec lui si, d’aventure, il obtenait le poste d’entraîneur-chef. Lorsque Duco a été promu, il n’avait pas oublié cette proposition.

Le téléphone de Kori Cheverie a vibré. Sur l’écran : « Tu devrais postuler comme adjointe. »

« Et je l’ai eu, raconte-t-elle. Je ne réalisais pas l’ampleur du défi. Je me disais : j’ai joué avec les gars, j’ai joué à un haut niveau avec les femmes, ce sera pareil. J’étais très naïve. »

Sa nomination a été soulignée à gros traits, et pour cause : elle devenait la toute première femme en poste derrière le banc d’une équipe masculine dans les rangs universitaires au pays.

Or, « une fois que tu as eu ta publication sur les réseaux sociaux et que ton nom n’est plus dans les médias, le travail commence ». « Tu dois prouver que tu as ta place », précise-t-elle.

De son propre aveu, il faut avoir la peau dure pour être « la première » dans un milieu aussi traditionnellement masculin que le hockey. Elle comprend que cette perspective effraie certaines femmes. Le milieu est dur pour tout le monde, alors imaginez quand vous êtes la seule de votre genre.

« La plupart des joueurs étaient super, mais c’était difficile de bâtir une relation avec certains d’entre eux. Ils avaient toujours été dirigés par des hommes, ils ne voulaient pas montrer qu’ils pouvaient recevoir l’aide d’une femme. »

Portes ouvertes

Au fil du temps, la situation est devenue « plus normale ». De ses cinq années dans cet environnement, Cheverie estime avoir « beaucoup appris ». Elle est aussi reconnaissante de l’essor que cette expérience a donné à sa carrière. « Ça m’a ouvert beaucoup de portes. »

Et non des moindres. Celles de Hockey Canada, qui lui a confié en 2021 un poste d’adjointe avec l’équipe féminine sénior, qu’elle occupe encore aujourd’hui. Elle a aussi rempli le même rôle avec l’équipe masculine U18 en 2022, une première pour une femme là aussi.

Même si elle accepte volontiers de discuter des moments où elle a brisé des barrières, « c’est un peu fatigant à la longue », reconnaît-elle.

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Kori Cheverie lors d’un entraînement de l’équipe de Montréal

« Il y a une responsabilité de reconnaître que c’est arrivé : tu ne peux pas l’écarter, parce que d’autres voudront suivre tes pas. Mais maintenant, je ne veux plus toute l’attention. Je veux juste faire mon travail, du mieux que je peux. » Contre vents et marées, pourrait-on ajouter.

Un exemple ? Bien qu’elle ait fait partie à part entière du personnel d’entraîneurs ayant mené l’équipe féminine à la médaille d’or aux Jeux de Pékin, en 2022, elle n’a jamais mis les pieds en Chine. Happée par la COVID-19 juste avant le départ, elle a passé les Jeux coincée en Nouvelle-Écosse. Elle n’a toutefois pas raté une minute de boulot.

« Je dirigeais à distance les rencontres sur l’infériorité numérique et j’assistais à toutes les rencontres avec les joueuses, dit-elle. J’organisais des discussions une à une en pleine nuit. Je dormais trois heures à la fois. »

À Montréal

La voilà donc à Montréal à titre de première pilote de l’histoire de cette franchise de la LPHF. Il s’agit pour elle d’une première expérience comme entraîneuse-chef à ce niveau.

La saison dernière, elle était entraîneuse associée dans la tournée de l’Association des joueuses professionnelles. À ce titre, elle était le bras droit de Danièle Sauvageau. Cette fois, c’est elle la patronne derrière le banc.

Se retrouver à la tête d’un groupe de joueuses à peine plus jeunes qu’elle ne l’effraie pas ; Ann-Sophie Bettez, par exemple, n’a que cinq mois de moins qu’elle. À sa dernière saison dans la Ligue canadienne, elle a affronté Bettez et Marie-Philip Poulin, qui évoluent aujourd’hui sous ses ordres.

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Kori Cheverie dirige des joueuses à peine plus jeunes qu’elle : « La bonne chose, dans le fait d’avoir presque leur âge, c’est que je comprends d’où elles viennent et où elles en sont. »

« On apprend qu’on n’est pas des amies, mais des collègues, souligne-t-elle. C’est la relation professionnelle que l’on recherche et qu’on veut maintenir. La bonne chose, dans le fait d’avoir presque leur âge, c’est que je comprends d’où elles viennent et où elles en sont. Peu d’entraîneurs vivent cette expérience avec leurs joueurs. Je pense que ça joue à mon avantage. »

Sur le plan professionnel, elle travaille désormais « avec les athlètes » au lieu « de leur dire quoi faire ». « Il faut inclure le groupe de leadership dans nos décisions, estime-t-elle. Ensemble, ces joueuses ont accumulé je ne sais combien de Jeux olympiques et de Championnats du monde. On ne peut pas ignorer ça. »

Elle ne cache pas qu’elle apprend, chaque jour davantage, les rouages du métier.

« Coacher n’est jamais facile, résume-t-elle. Je vois ça comme aller au gym : tu deviens plus en forme, alors il faut en faire plus. Il y a toujours un problème à régler. Et c’est ce qui rend ça aussi plaisant. »

À Montréal, l’un de ses principaux défis ne l’attendait toutefois ni sur la glace ni dans le vestiaire.