En confiant le poste d’entraîneuse-chef à Kori Cheverie, la directrice générale Danièle Sauvageau a averti sa nouvelle employée qu’elle devrait faire face au fait qu’elle ne parle pas français.

La Néo-Écossaise ne s’attendait toutefois pas à la réaction qui allait suivre. « Peut-être que Danièle essayait de me protéger, mais je ne réalisais pas l’attention que ça générerait », confie-t-elle.

À cet instant de l’entrevue, un silence s’installe de part et d’autre de la table. Le 15 septembre 2023, après que l’équipe eut révélé l’identité de sa pilote, La Presse a publié sur son site web un article intitulé « Montréal opte pour une entraîneuse chevronnée qui ne parle pas français », qui avait été largement relayé et commenté sur les réseaux sociaux. En ce 30 janvier 2024, le signataire de ce texte est assis face à Cheverie. Ce n’est pas en soi une révélation, car les deux interlocuteurs avaient effleuré le sujet à la veille du camp d’entraînement. Aussi bien, toutefois, l’aborder de front.

Nous rappelons le tollé qu’avait provoqué la promotion de Randy Cunneyworth, unilingue anglophone, comme entraîneur-chef du Canadien en 2011. Cette nomination n’avait pas passé auprès de la population et avait soulevé l’ire de l’opinion publique. Kori Cheverie était au courant de cet évènement.

Nous ajoutons que d’ici quelques semaines, cela fera 25 ans que Vincent Damphousse a été échangé ; un quart de siècle, donc, qu’un capitaine du bleu-blanc-rouge n’a pas prononcé une phrase en français dans une allocution publique. Cela, l’entraîneuse l’ignorait.

Elle n’a pas, c’est une évidence, à répondre des décisions passées d’autres organisations que la sienne. Il n’empêche que la promesse d’apprendre le français, comme celle qu’elle a formulée dans le point de presse annonçant sa nomination, le public et les médias l’ont entendue plusieurs fois de la part d’une figure d’autorité d’un club de hockey à Montréal.

Elle se dit sensible à cette réalité. « Comprendre la culture » de son nouveau milieu lui tient à cœur. Elle insiste : des heures pour apprendre le français, elle en a investi. Beaucoup. « Peu importe où je me trouve sur la route, peu importe le fuseau horaire, j’assiste à mes cours en ligne, assure-t-elle. J’investis des efforts que peu de gens voient. […] Aucun autre entraîneur de cette ligue ne doit à la fois essayer de gagner des matchs et d’apprendre une nouvelle langue. Je suis fière de moi, du travail que j’ai accompli. »

« J’ai prononcé quelques phrases en français dans nos conférences de presse, poursuit-elle. Mais je ne pourrais pas donner une entrevue en entier. Pas encore. Je pourrais essayer de répondre en français si on me pose une question en anglais : je veux être certaine de bien comprendre ce qu’on me demande, ne pas répondre de la mauvaise manière. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Kori Cheverie insiste : comprendre la culture de son nouveau milieu lui tient à cœur. Des heures pour apprendre le français, elle en a investi. Beaucoup.

Ébranlée

Pas besoin d’une longue explication pour saisir à quel point les critiques l’ont affectée… et l’affectent encore.

Les reproches, elle les a lus et entendus à la suite de sa nomination, mais aussi à la fin du mois de décembre, lorsque l’équipe a publié une vidéo dans laquelle on entendait l’entraîneuse s’adresser à ses joueuses en anglais en leur remettant leur chandail.

Sur la plateforme X, les commentaires n’ont pas été tendres. « Gardez-le, votre anglais », ont écrit plusieurs internautes, en référence à la sortie du footballeur Marc-Antoine Dequoy après que les Alouettes de Montréal eurent remporté la Coupe Grey.

Cité dans un reportage du réseau TVA, le mouvement Impératif français a parlé d’un « signe d’agression » à l’égard des Québécois.

Un mois plus tard, Kori Cheverie se défend. « Si je m’adressais à l’équipe en français, la majorité des joueuses ne comprendraient pas. Ce ne serait pas authentique. »

Plusieurs experts ont déjà parlé du traitement inégal visant les femmes et les hommes dans l’espace public. Par exemple, en 2022, alors qu’elle était cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade avait confié à La Presse Canadienne qu’elle estimait avoir « moins le droit à l’erreur » qu’un homme politique.

L’entraîneuse-chef de l’équipe montréalaise de la LPHF a-t-elle cette même impression ? Que sa marge d’erreur est plus fine ? « Oh oui, elle est très mince, répond-elle du tac au tac. Je me sens comme ça, comme si je ne pouvais pas faire d’erreur. Mais c’est la société dans laquelle nous évoluons : les femmes doivent plaire, doivent être parfaites, doivent faire ceci ou cela, doivent obéir et garder le sourire tout en faisant le même travail qu’un homme ferait. »

Par tous les moyens, elle tente de « ne pas prêter attention » au bruit ambiant, afin de se concentrer sur son équipe. « Je vais coacher comme je sais le faire. »

Néanmoins, « par moments », ce poids est lourd à porter, encore davantage dans un contexte où elle se retrouve seule, dans une nouvelle ville ? « Parfois, c’est dur d’être ici. » « [Pourtant], je suis emballée chaque fois que je peux explorer la ville, j’ai toujours voulu vivre ici », rappelle-t-elle.

Toute ma vie, j’ai eu une mentalité de sous-estimée [underdog] et j’ai prouvé aux gens qu’ils ont eu tort [de douter de moi]. Je vais continuer à faire ça. Je veux que les gens voient combien je mets d’efforts dans le succès de notre équipe. Et combien je mets d’efforts pour comprendre la culture et apprendre la langue d’ici.

Kori Cheverie

« Je vais toujours miser sur moi, conclut-elle. Parce que je sais que personne ne travaille plus fort que moi. »

Par amour de son métier. De son équipe. De ses joueuses.

Par amour du hockey, en somme.