Si les entraînements matinaux sont si anachroniques, pourquoi, alors, les conserver ?

Un sondage rapide mené au cours des derniers jours mène à une conclusion en phase avec les hypothèses des experts : parce qu’on l’a toujours fait.

« Je déteste ça ! s’exclame Dean Evason, entraîneur-chef du Wild du Minnesota. Il n’y a aucune raison. Pourquoi vouloir mettre tout son équipement et aller dépenser de l’énergie, quand il y a une période d’échauffement de 15 ou 20 minutes juste avant le match ? Ça n’a aucun sens. Mais certains joueurs veulent continuer de le faire. »

Au fait, chez le Wild, toutes les séances les matins de match sont optionnelles.

« Se présenter à l’aréna et passer du temps dans le vestiaire, c’est bon pour l’équipe, note Luke Richardson, entraîneur-chef des Blackhawks de Chicago. Mais parfois, passer trop de temps sur la glace devient monotone. On finit par oublier pourquoi on y va, on perd la passion, et l’entraînement ne veut plus dire grand-chose. Au contraire, on veut que les joueurs soient fébriles d’y aller. »

Cette pratique, « dans un calendrier de 82 matchs, c’est trop pour le corps », estime l’ancien défenseur, qui a disputé plus de 1400 matchs dans la LNH avant de passer derrière le banc.

Chez le Canadien de Montréal, l’entraîneur-chef Martin St-Louis n’a pas semblé très enthousiasmé par les questions de La Presse à ce sujet. « Je ne sais pas encore, il est trop de bonne heure dans la saison », a-t-il soufflé. Dans une entrevue accordée au 98,5 FM, le directeur général Kent Hughes a toutefois mentionné que la conversation avait lieu à ce sujet au sein de l’organisation. « Si j’étais un joueur, j’aimerais mieux avoir la chance d’organiser mon horaire moi-même », a confié le gestionnaire à l’animateur Mario Langlois.

Un coup d’œil aux quatre premières rencontres du CH donne un indice d’un possible changement de philosophie. Au matin du match inaugural, à Toronto, tous les joueurs ont eu congé, à l’exception des réservistes. Ces derniers, nuance Stéphane Dubé, doivent justement miser sur chaque occasion de s’entraîner, afin de conserver un volume de travail semblable à celui des joueurs réguliers.

Avant les affrontements contre les Blackhawks, le Wild et les Capitals de Washington, les entraînements ont été optionnels. Alex Newhook, Sean Monahan, Brendan Gallagher, David Savard et Josh Anderson ont tous sauté leur tour aux trois occasions, et Mike Matheson, deux fois. À l’exception de Newhook, tous les autres sont âgés de 29 ans ou plus. Un constat qui contraste avec l’idée reçue que les entraînements matinaux survivent pour plaire aux vétérans qui désirent conserver la routine qu’ils ont acquise il y a 10, voire 15 ans.

Il y a toutefois des exceptions. « Si on enlève les séquences de deux matchs en deux soirs, je peux compter sur les doigts de mes deux mains le nombre de fois où j’ai manqué un entraînement optionnel depuis le début de ma carrière », affirme Tanner Pearson, 31 ans. Selon lui, le sujet fait actuellement l’objet de discussions partout dans la LNH.

« Je m’y suis habitué, dit-il. J’aime bien sentir la rondelle, décocher quelques tirs et suer un peu. »

Cas par cas

À sa deuxième saison dans la ligue, Jordan Harris respecte la règle non écrite voulant que les plus jeunes joueurs s’entraînent chaque fois qu’ils en ont l’occasion. Il n’exclut toutefois pas de faire l’impasse sur quelques séances en cours de saison.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Jordan Harris

Lui non plus ne déteste pas l’idée générale, de toute façon. « Surtout sur la route, où on peut se familiariser avec les bandes et avec la surface », précise-t-il.

« Je pense qu’on doit s’adapter à la façon dont on se sent cette journée-là. Chaque gars est différent. »

Là encore, Harris atteint le centre de la cible.

« La préoccupation première des entraîneurs doit être de répondre aux besoins spécifiques des athlètes, insiste Luc Nadeau, de l’Université Laval. Certains joueurs ont besoin de plus d’heures sur glace […] alors que d’autres ont besoin de plus de récupération. »

Le bon dosage « est une des tâches les plus difficiles pour les entraîneurs », poursuit le chercheur. « Car chaque joueur réagit différemment et est influencé par une très grande quantité de variables externes. »

Les variables, de fait, peuvent prendre plusieurs formes. Par exemple, un long déplacement privera potentiellement une équipe d’une séance d’entraînement régulière. Ses joueurs voudront donc se délier les jambes le matin d’un match.

Et comme dans à peu près toutes les situations, il y a l’exception des hommes masqués.

Les vertus du repos

« Beaucoup de gardiens adorent aller sur la glace le jour d’un match, rapporte Jake Allen, du Canadien. Ça fait partie intégrante de leur routine. Ils trouvent leur rythme. »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Jake Allen

Lui aussi remarque que la pratique est à la baisse au hockey, mais aussi dans d’autres sports, comme le football et le soccer. « Étant donné la façon dont la science du sport évolue, je crois qu’on verra moins de tout », avance-t-il.

Stéphane Dubé lui donne raison.

Il y a une ancienne mentalité selon laquelle les congés sont pour les faibles. Mais les données scientifiques ont prouvé que le repos, c’est un élément important de l’équation d’une semaine, d’un mois et d’une saison.

Stéphane Dubé, préparateur physique

Sur une base personnelle, Allen préfère aborder les matchs à la pièce. Le matin de notre entretien, c’est son partenaire Samuel Montembeault qui s’apprêtait à jouer contre le Wild du Minnesota. « Une journée comme aujourd’hui, je n’ai pas de raison de ne pas patiner », a analysé le vétéran.

« Mais si je jouais six ou sept matchs de suite, je donnerais une réponse différente. J’aurais assez pratiqué et joué à mon goût. »

Bref, s’il n’y a pas de recette unique, la tendance est nette. Assistera-t-on sous peu à la disparition complète des entraînements matinaux les matins de match pour autant ? Ça reste à voir.

Car s’il y a bien un sport où les traditions sont solidement ancrées, c’est au hockey.