Il y a longtemps que Jacques Martin a bifurqué vers le métier d'entraîneur, mais il n'a jamais renié sa vocation initiale d'enseignant. "Ce qui me motive comme coach, c'est que tu as un impact sur la formation d'individus, pas juste comme joueurs, mais aussi comme hommes", dit le nouvel entraîneur du Canadien de Montréal.

Jacques Martin est trop bien élevé pour discuter publiquement de son salaire. Mais les dollars qu'empoche aujourd'hui l'entraîneur du Canadien permettent de mesurer tout le chemin parcouru depuis le jour, il y a plus de 25 ans, où il s'est lancé pour de bon dans le coaching.

C'était en 1983. Martin enseignait alors au Collège Algonquin d'Ottawa et sa femme Patricia était fonctionnaire fédérale. Ensemble, ils gagnaient la somme respectable de 65 000$. Le couple, dont les filles n'avaient que quatre ans et six mois, a pourtant tout plaqué pour déménager à Peterborough, où Martin avait décroché le poste d'entraîneur adjoint des Petes, de la Ligue de hockey de l'Ontario.

Son nouveau salaire : 10 000$ par an.

C'était une baisse de revenus considérable... et environ 150 fois moins que ce qu'il gagnera avec le Canadien cette saison. Pourtant, même à l'époque, Martin n'a jamais regretté sa décision. "J'ai fait de la suppléance à Peterborough pour compléter mon salaire, racontait-il la semaine dernière, dans son bureau du centre d'entraînement du Canadien, à Brossard. Et puis j'habitais dans le chalet de Roger Neilson (alors dans la LNH). Ça ne me coûtait pratiquement rien."

Le jeu en a valu la chandelle. Son passage chez les Petes a été le tremplin vers une fructueuse carrière dans la LNH : Martin occupe le 10e rang chez les entraîneurs pour le nombre de matchs (1098) et de victoires (517).

Martin n'a en fait jamais abandonné sa première passion, l'enseignement. L'ancien professeur d'éducation physique, qui a eu la piqûre du coaching dès l'adolescence, en travaillant dans les écoles de hockey, reste un pédagogue dans l'âme. Il l'a prouvé avec les Sénateurs d'Ottawa, où il a contribué à l'éclosion d'authentiques superstars, comme Daniel Alfredsson, Marian Hossa, et Zdeno Chara.

"Ce qui me motive comme coach, dit-il, c'est que tu as un impact sur la formation d'individus, pas juste comme joueurs, mais aussi comme hommes. Tu peux inculquer des valeurs aux jeunes."

Ce ne sera pas un luxe chez le Canadien, dont plusieurs joueurs ont besoin d'être remis dans le droit chemin, sur la patinoire comme en dehors. "Il faut qu'ils comprennent qu'ils ont des responsabilités en tant que professionnels, dit Martin. Les joueurs sont chanceux, ils sont très bien rémunérés. Mais il y a des attentes et des exigences au-delà de l'entraînement. Ils ont la responsabilité de continuer à s'améliorer. On peut avoir du plaisir, mais il faut avoir une bonne nutrition et un bon style de vie, avec assez d'heures de repos pour pouvoir donner le maximum. Il faut les éduquer - et le leur répéter à chaque mois."

C'est d'autant plus vrai dans un marché comme Montréal, croit-il. "Quand tu joues au hockey ici, tu es un modèle et une idole pour les jeunes. Ça demande une éthique de comportement." Guy Lafleur n'avait sans doute pas tort quand il a dit que l'embauche de Martin signifiait la fin du party chez le Canadien...

Un long cheminement

À 56 ans, après quatre saisons chez les Panthers de la Floride, Martin réalise le rêve de bien des entraîneurs francophones : diriger le Canadien de Montréal. "J'ai eu une bonne expérience en Floride, mais ce n'est pas un marché de hockey. La passion qui existe ici n'est pas là. L'aréna est à moitié plein. Tandis que le Canadien, c'est l'histoire, la tradition. C'est un honneur d'être coach du Canadien."

C'est aussi l'ultime étape d'un cheminement qui a commencé il y a plus d'un demi-siècle, à Saint-Pascal-Baylon. Il est né et a passé les 13 premières années de sa vie dans ce village, à une cinquantaine de kilomètres à l'est d'Ottawa. Son père Roland y exploitait une ferme laitière. "On passait nos hivers à jouer sur les ronds gelés dans les champs", se souvient Martin.

Le jeune gardien de but franco-ontarien a côtoyé quelques uns des meilleurs joueurs de son époque. Il a affronté Lafleur, qui portait les couleurs de Thurso, de l'autre côté de la rivière des Outaouais et, après le déménagement de la famille vers Ottawa, a été le coéquipier de Denis Potvin.

Il a emprunté la voie des collèges américains, jouant quatre saisons à St. Lawrence University, dans l'État de New York, où il a rencontré celui qui allait plus tard l'embaucher comme adjoint à Chicago, puis comme entraîneur en Floride : Mike Keenan.

Son diplôme en éducation physique en poche, Martin a tenté sa chance au camp d'entraînement des Islanders de New York. "J'ai vite réalisé que je n'avais pas le talent pour jouer dans la LNH, dit-il. Après le camp, on m'a envoyé à Muskegon (dans la Ligue internationale), mais j'ai préféré faire une maîtrise en administration des sports à l'Université d'Ottawa."

Son bref passage à Long Island lui a permis de croiser un entraîneur devenu un modèle : Al Arbour. "Je l'ai toujours respecté. Il n'était jamais à l'avant-scène. On parlait toujours des Potvin, Bossy et Trottier. Mais il était ferme et exigeant et il avait toujours le respect de ses joueurs." Une description qui, à bien y penser, va comme un gant à Jacques Martin.

Du junior à la LNH

Devenu enseignant au Collège Algonquin en 1976, Martin y a fait ses premières armes dans le coaching. Il a aussi travaillé dans le junior B et le Tier II. Puis il est parti pour Peterborough, où il est resté deux ans avant de devenir entraîneur-chef des Platers de Guelph.

Le succès a été immédiat : il a gagné la Coupe Memorial dès sa première année. Ça lui a valu son billet d'entrée pour la Ligue nationale, en 1986, avec les Blues de St. Louis du prof Caron. Martin n'avait que 34 ans. Il succédait à Jacques Demers, parti à Detroit. Son équipe s'est qualifiée pour les séries deux ans de suite. Mais cela n'a pas été suffisant pour empêcher son congédiement. "J'étais trop jeune et je n'étais probablement pas prêt pour ce défi-là, dit-il aujourd'hui. L'expérience est un élément essentiel au succès."

Il aurait pu diriger le club-école des Nordiques de Québec, à Halifax, mais il a préféré rejoindre son ancien coéquipier Keenan chez les Blackhawks. "Je voulais vérifier si ce que j'avais fait à St. Louis était acceptable pour la LNH", explique-t-il.

Qualifiés deux ans de suite pour la finale d'association, les Hawks avaient alors un bon club, dont le seul défaut a été de s'incliner deux fois devant les éventuels gagnants de la Coupe Stanley, les Flames de Calgary et les Oilers d'Edmonton. "J'ai pu travailler avec des vétérans et ça a reconfirmé pour moi l'importance d'être exigeant, dit Martin. Les joueurs veulent une discipline et une structure. C'est essentiel."

Les Nordiques l'ont finalement attiré dans leur giron en 1990. Ses deux premières saisons comme adjoint de Dave Chambers, puis de Pierre Pagé, ont été pénibles : même si les Nordiques empilaient les choix au repêchage de qualité (Mats Sundin, Eric Lindros, Owen Nolan, etc.), l'équipe n'avait pas encore pris son envol.

Ça n'a pas empêché Martin de dire non quand les Sénateurs d'Ottawa lui ont offert le poste d'entraîneur-chef pour leur saison inaugurale, en 1992. "J'ai refusé pour deux raisons. J'étais épuisé après deux saisons de défaites. Et le coach d'une équipe d'expansion qui fait ses débuts ne survit pas."

Il est resté avec les Nordiques, puis a dirigé leur filiale de Cornwall pendant une année. Quand Pagé a perdu son emploi, Martin a postulé pour le job d'entraîneur-chef, mais le nouveau DG, Pierre Lacroix, lui a préféré Marc Crawford. Bon joueur, Martin a accepté d'être son adjoint et l'a suivi au Colorado, jusqu'à ce que les Sénateurs ne l'embauchent en janvier 1996 pour succéder à Dave Allison.

On connaît le bilan de ses années à Ottawa. Huit saisons et demie, huit participations aux séries, quatre nominations au trophée Jack-Adams, qu'il a gagné en 1999, un trophée du Président (en 2003). Et une triste fiche en séries : cinq éliminations en première ronde, y compris la plus douloureuse, qui a conduit à son congédiement, au printemps 2004. Les Sénateurs n'avaient marqué qu'un but en quatre parties contre les Maple Leafs de Toronto. "Ma fiche est là, mais je suis prêt à relever le défi", se contente de dire Martin.

Il s'est forgé à Ottawa la réputation d'un entraîneur à la philosophie strictement défensive, un apôtre du hockey ennuyant. Une réputation pas nécessairement méritée, croit-il. "Les quatre premières années, on n'avait pas les atouts pour marquer beaucoup de buts, mais par la suite, on était parmi les meilleurs pour les buts marqués. Je n'enlève jamais la créativité de mes joueurs, mais ils doivent respecter le système. Si tu es en bonne position défensive, tu vas créer plus de chances de marquer. Je n'aime pas les gars qui trichent. Si tu triches, tu as des problèmes."

Le système qu'il entend implanter chez le Canadien, ressemble à celui qui a cours chez les Devils du New Jersey et les Red Wings de Detroit. "J'aime ces équipes qui jouent un système de ITAL puck possession FIN ITAL. Ce ne sont pas des équipes qui garrochent la rondelle dans le fond de la zone adverse."

C'est évidemment plus facile quand on dispose de joueurs aussi talentueux et travaillants que ceux des Wings et des Devils. Bob Gainey devra y voir, sinon, le Professeur va devoir passer beaucoup de temps au tableau noir...