Le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) a ouvert une enquête sur la violente mise en échec qu'a assénée Zdeno Chara à Max Pacioretty mardi soir. Mais il serait étonnant que des accusations criminelles soient portées contre le défenseur des Bruins, selon des experts consultés par La Presse.

L'enquête du SPVM fait suite à un avis envoyé jeudi matin au sous-ministre de la Sécurité publique par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), Me Louis Dionne. «L'événement survenu à Montréal le 8 mars 2011 lors de la partie opposant les Canadiens de Montréal aux Bruins de Boston nécessite à (mon) avis l'institution d'une enquête policière», a indiqué Me Dionne par voie de communiqué. La porte-parole, Martine Bérubé, a précisé que le DPCP n'a fait l'objet d'aucune pression politique et qu'il a pris sa décision après avoir regardé la vidéo plusieurs fois.

Me Dionne a fait cette annonce au lendemain de la décision de la Ligue nationale de hockey (LNH) de n'imposer aucune sanction à Zdeno Chara. Cette décision a soulevé un tollé. Le 911 a même été inondé d'appels d'amateurs de hockey désireux de porter plainte contre Chara.

Selon Me Jean-Claude Hébert, spécialiste en droit criminel, la demande d'enquête de Louis Dionne est justifiée. «À partir du moment où un incident de cette nature prend les proportions que ça prend, je pense que ça touche l'ordre public. Et l'une des responsabilités du Directeur est de veiller à ce que l'ordre public ne soit pas troublé», a-t-il expliqué.

Une question d'intention

Patrice Brunet, avocat spécialisé en droit sportif, estime que la LNH montre une telle «passivité» que «les pouvoirs publics n'ont pas le choix et doivent poser des questions». «Ça devient gênant pour la ligue de voir les pouvoirs publics se mêler de tout ça», a-t-il ajouté. Il ne croit toutefois pas que des accusations soient portées. «Tout va tourner autour de l'intention de blesser. Et je pense que la côte va être dure à remonter. Ce n'est pas comme si Zdeno Chara avait levé le poing vers la foule, fait un finger et dit: «Je l'ai finalement eu.» Il a plutôt été repentant.»

Selon Me Hébert, «la marche est haute» pour porter des accusations criminelles. «Le procureur doit être raisonnablement convaincu de pouvoir établir la culpabilité de la personne. Après avoir vu et revu la vidéo, ça m'étonnerait grandement qu'il arrive à cette conclusion. Ça ne veut pas dire que j'approuve le geste, loin de là. Mais, au criminel, il y a une marche supplémentaire à franchir que la loi sportive n'a pas nécessairement.»

Des accusations ne pourront donc être portées, selon lui, à moins que, par exemple, les policiers découvrent que Chara avait confié avant le match qu'il voulait «régler le cas» de Pacioretty. «Faute de preuve d'un geste prémédité, on est obligé de convenir qu'il y a un volet accidentel dans tout ça», dit Me Hébert.

Le procureur devra également tenir compte d'une foule de facteurs, comme le fait que la ligue «tolère de plus en plus ce que Réjean Tremblay appelle les mises en échec qui sont complétées alors que le joueur n'a plus la rondelle». Ce facteur joue contre des accusations criminelles.

La mise en échec de Chara se distingue d'autres coups qui ont entraîné des accusations criminelles, observe Patrice Brunet. Par exemple, le 21 février 2000, Marty McSorley a assené un coup de bâton à la tête de Donald Brashear. Il a été accusé de voies de fait et a écopé de 18 mois de probation.

Des accusations ont pu être portées parce «ça ne fait pas partie du hockey de donner des coups de bâton sur la tête. Ce n'est pas prévu dans le règlement. Mais les mises en échec sont permises», a indiqué Me Brunet.

Une mise en échec «normale»

D'après l'avocat criminaliste Steven Slimovitch, pour entraîner une poursuite au criminel, le geste doit «outrepasser complètement» ce qui est toléré dans un match. La mise en échec de Chara ne correspond pas à cette catégorie, estime cet avocat qui a déjà représenté des joueurs des rangs mineurs et de ligues d'amateurs. La décision de la LNH de blanchir Chara «ne favorise pas le dépôt d'accusations». La LNH a envoyé le message que la mise en échec de Chara, malgré ses conséquences, est «normale» au hockey, a ajouté Me Slimovitch.

Patrice Brunet voit un «danger» dans l'ouverture d'une enquête qui n'aboutirait pas à des accusations. «Ça risque d'avoir pour effet d'entériner ce type de geste et de conforter la LNH dans sa décision de ne pas agir. Et la population ne sera pas satisfaite», a-t-il dit. Un sondage CROP-La Presse a révélé jeudi que 58% des Québécois pensent que des accusations criminelles devraient être portées contre Chara.