Notre camp d’entraînement venait de prendre fin. Nous étions à quelques jours du début de la saison régulière lorsque Richard Généreux, affecté au vestiaire de l’équipe adverse, mais aussi le quatrième homme dans notre chambre, a fait irruption dans mon bureau.

Gerv, on n’a presque plus de cuillères dans la salle à manger des joueurs.

– Comment ça, presque plus de cuillères ? J’ai commandé les couteaux, les fourchettes et les cuillères à coup de 36 avant le début du camp.

– Les couteaux et les fourchettes, il n’en manque pas, pas de problème. Mais j’ai cherché partout et les cuillères, il en reste à peine quelques-unes…

C’était vraiment bizarre. Mon premier réflexe a été de penser à des recrues au camp. Peu importe, les recrues avaient déjà pas mal toutes quitté, la saison allait commencer et j’ai dit à Richard d’oublier ça et de commander 36 cuillères supplémentaires.

L’affaire en est restée là. Le train-train quotidien a repris son cours. Quatre ou cinq semaines plus tard, Richard est de retour dans mon bureau avec un air interloqué.

– Tu ne me croiras pas, Gerv !

– Dis-moi pas les cuillères ?

– Y en reste cinq…

– Quoi ? ? ?

– Je n’y comprends rien. Les 36 couteaux et les 36 fourchettes sont encore tous là.

– Écoute, commandes-en 36 autres, on ne se ruinera pas avec des cuillères, mais on garde l’œil ouvert, OK ?

Pendant les semaines suivantes, mon staff et moi avions des yeux de lynx autour du vestiaire.

Jusqu’au jour où Richard a aperçu l’entraîneur-chef, dont nous tairons le nom, entrer dans son bureau avec un yogourt et une cuillère à la main.

Richard a attendu que le coach quitte son bureau pour aller sur la glace. Il a retrouvé le restant du gobelet dans le fond de la poubelle… avec la cuillère dedans !

Je n’ai plus commandé de nouvelles cuillères de la saison. Chaque jour, Richard répétait le même manège : il attendait patiemment que le coach soit sur la glace pour cueillir la cuillère au fond de sa poubelle pour aller la porter dans le lave-vaisselle.

Cet entraîneur ne l’a jamais su, et nous avons pu récupérer nos cuillères, une à une…