Après la course, considérant les hauts et les bas de la dernière heure, le résultat a donc très peu d’importance.

« Grospiron m’a donné un coup de coude en disant : “Regarde le tableau, c’est ton pointage.” Le tableau s’est rempli de notes de pointage, notes de saut, points techniques, points sauts et tout le kit. Mais la seule chose importante, c’était une petite note dans le coin gauche… » Et les larmes réapparaissent, parce qu’il revit la scène en direct, en regardant dans un coin de la pièce où il n’y a rien à voir.

« C’était marqué “1”. Comme j’étais le dernier à descendre, ça ne pouvait plus changer. » Le skieur qui craignait de décevoir les attentes venait de remporter la distinction la plus prestigieuse de l’histoire du sport. L’or olympique, personne n’allait pouvoir le lui enlever.

« Après, c’est flou, parce que tu ne t’appartiens plus. Il y a le gars de l’antidopage, la fille des médias. C’est fou comment, dans ces grandes compétitions-là, le moment qui est à toi, ce sont les 30 secondes après que tu as fini ta course et que tu es tout seul en bas. C’est là que tu vis ton moment magique, après, oublie ça. »

Il va ensuite à la rencontre des membres des médias venus de partout dans le monde. Même l’homme ayant raconté son histoire pendant 44 minutes consécutives, sans même reprendre son souffle ou prendre une gorgée d’eau, se met à utiliser la proverbiale cassette.

« Après, c’est le carrousel des médias. Je me suis aperçu que rapidement j’avais la cassette. How do you feel ? Je ne sais même pas ce qui s’est passé ! Je suis content. I’m happy. Je disais happy, happy, pendant tout le serpentin. »

La cérémonie du podium, le moment pour lequel il a travaillé toute sa vie, vient enfin. « J’aurais aimé ça que le podium ne soit pas aussi chorégraphié. Il fallait marcher, c’était vraiment beau, c’était tout en glace, ils avaient mis des tapis antidérapants. Et ils ont expliqué des chorégraphies à des athlètes… Mais tu es ailleurs, tu viens de laisser ta vie dans la pente et là on doit se tourner d’un bord et faire plaisir aux journalistes de l’autre bord. »

PHOTO TOM HANSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jean-Luc Brassard (médaillé d'or à l'épreuve des bosses) et Isabelle Brasseur (médaillée de bronze en patinage artistique à l'épreuve double mixte) encouragent l'équipe canadienne de hockey, quelques jours après leurs exploits aux Jeux de Lillehammer.

Tu veux tellement que ce soit un moment parfait, parce qu’on grandit avec ça, on veut que le moment du podium soit wow, que finalement c’est un moment que tu veux trop parfait au lieu de le laisser aller.

Jean-Luc Brassard

Dans ce tourbillon euphorique, où la nouvelle idole est traînée et sollicitée à gauche et à droite, il voit la mer de monde se séparer, comme pour laisser passer un ruisseau. Et il voit au loin Stine Lise Hattestad.

« J’ai crié son nom. J’ai dit : “Stine Lise !” Je lui ai fait signe en lui demandant : “Où as-tu fini ?” »

En l’expliquant, la voix de Brassard, happé par l’émotion et les souvenirs remontant à la surface, casse. « Et elle me regarde au loin en me montrant son index, parce qu’elle avait été la première, elle aussi. »