Les pentes au sud de la zone où je suis entrée sont couvertes de champs de crevasses, ce qui peut rendre les déplacements dangereux, mais l’étude des cartes me rend assez confiante de mes capacités dans cet environnement. La montée de cette partie de l’itinéraire, pour atteindre le plateau, calme rapidement mon énergie débordante.

Il est difficile de s’arrêter à une heure précise. Normalement, je pose ma tente lorsque le soleil s’éteint, mais dans ce lieu où il brille du matin au soir, je dois me donner une heure d’arrêt. Ce soir, je cesse ma progression à 18 h, j’en ai assez. Je veux conserver mon énergie pour le lendemain. Est-ce que le fait d’entrer dans mon abri va me donner la sensation d’être à la maison ? Est-ce que je me sentirai rassurée et confortable dans ce petit espace ? Je n’ai pas encore de routine bien établie. Je pose mon matériel sous le mince tissu de la tente et je dispose mon traîneau à l’avant de celle-ci, à une distance d’environ quatre mètres, pour être certaine qu’il ne sera pas enseveli lorsque je me réveillerai au matin. Dans les milieux polaires, on ne peut jamais prévoir ce qui arrivera lorsque l’on n’est pas aux aguets. La neige peut s’empiler autour de ma tente et je peux passer de longues minutes à chercher et déterrer ce que je laisse à l’extérieur. J’attache tout ce dont j’ai besoin à une corde, qui est reliée à ma tente.

Les monticules de glace de la région où je me trouve sont assez grands. Je monte et je descends de petites buttes dans un labyrinthe infini. Les milliers de barrières naturelles en glace ne me donnent pas la possibilité d’avancer rapidement. Chaque petite saillie apporte mon traîneau en hauteur et quand il redescend, le poids donne un coup dans l’élastique de la corde qui rejoint mon harnais. Chaque bosse équivaut à un coup dans les hanches. Semblables à une barrière de corail, les sastrugis [une ligne de crête tranchante et irrégulière sur une étendue de neige résultant de l’érosion causée par le vent] m’enlèvent beaucoup d’énergie, je dois manger plus pour franchir cette épreuve et garder mon calme. Les skis que j’utilise sont légers et performants. Je les adore.

PHOTO FOURNIE PAR CAROLINE CÔTÉ

Caroline Côté

Mais ce matin, la fixation qui les lie à mes bottes s’arrache de ceux-ci. Je ne supporte pas mon stress. Je suis sous le choc et je me sens déstabilisée. C’est le jour 5 ! Cela ne fait même pas une semaine que je suis sur la route et je veux avancer. Les protubérances de la surface neigeuse ont probablement créé une force qui a tordu mon ski durant les dernières heures. Je m’agenouille au sol. Puis-je régler tout ça ici, dans le grand vent ? J’ai envie de prier les dieux des glaces pour qu’ils m’aident, mais je crois que je ne peux me fier qu’à moi-même. Mes skis équivalent à l’arme d’un soldat. Je dois les garder en bon état. J’ai échoué ! Puis-je avoir une deuxième chance ? J’arriverai peut-être à les réparer, mais pas tout de suite. Je devrai donc marcher pour les prochains kilomètres.

L’appel de l’Antarctique

L’appel de l’Antarctique

Éditions Goélette