Martine Dugrenier a connu des Jeux difficiles à Pékin. L'espoir de médaille a fini juste en bas du podium. Mais surtout, un incident avec son entraîneur, monté en épingle par les médias, a gâché son expérience olympique. Quatre ans plus tard, la lutteuse revient sur «l'incident». Une manière de tourner la page avant Londres, où la Montréalaise aura une seconde chance.

Dans lutte olympique, il y a «olympique». Et pour les athlètes qui pratiquent ce sport ingrat, méconnu du grand public, qui s'entraînent loin des projecteurs, participent à des compétitions obscures rapportées en quelques lignes au fin fond de journaux locaux, les Jeux olympiques sont l'aboutissement d'une dure carrière.

En lutte olympique, on ne monte pas plus haut que la plus haute marche du podium.

Parlez-en à la triple championne du monde Martine Dugrenier. On la présentait comme l'une des favorites à Pékin. Les analystes la voyaient tous finir sur le podium. L'aboutissement logique d'années d'efforts. Un rêve qui se réalisait enfin.

Les Jeux olympiques de 2008 ont plutôt tourné au cauchemar pour la Montréalaise. Elle ne le dira pas dans ces termes, mais on le devine lorsque, quatre ans plus tard, on discute avec elle de «l'incident».

Il était 16 h 30 à Pékin, le 18 août 2008. Dugrenier s'était inclinée le matin en demi-finale contre la Japonaise Kaori Icho, alors invaincue en six ans. Il lui restait une dernière chance de remporter une médaille. Une victoire contre l'Américaine Randi Miller et elle prenait le bronze et deviendrait la première Québécoise médaillée de ces Jeux de Pékin.

Sur les lignes de côté, son entraîneur n'en attendait pas moins. Victor Zilberman a quitté l'Union soviétique il y a 35 ans pour venir enseigner la lutte à Montréal. L'homme a gardé de l'Est un certain sens de la discipline. Un amour de la technique de la lutte, aussi. Il savait que sa protégée avait déjà battu l'Américaine trois ans plus tôt. Il savait qu'elle était meilleure.

Mais Zilberman a vite constaté que le duel échappait à Dugrenier. Lors d'une pause durant le combat, il l'a rudoyée pour la motiver. Les versions divergent: des poussées agressives pour certains, un coup au ventre pour d'autres. Dugrenier est retournée au tapis, s'est battue du mieux qu'elle a pu, mieux qu'au début du combat, certainement, mais elle a tout de même perdu. De justesse. Elle a ainsi fini cinquième dans la catégorie des 63 kilos.

«Oui, j'ai fini cinquième et c'était une déception. Mais j'étais fière de mon dernier combat, a-t-elle raconté

lorsque nous l'avons récemment rencontrée à l'entraînement. Ç'avait été très serré, ça s'est joué sur un point. C'était grandiose.»

Une vidéo...

Elle était déçue, mais fière à la fois. On la voyait finir sur le podium, elle terminait juste en bas. Ce n'était pas une tragédie. Elle luttait contre les meilleures du monde! C'est dans cet état d'esprit qu'elle est allée faire face aux médias québécois, ceux-là mêmes qui, pour raconter sa belle histoire, auraient tellement voulu qu'elle gagne. Elle était prête à défendre sa performance, elle n'en rougissait pas.

Quand elle s'est assise après la défaite devant un journaliste de Radio-Canada, on l'a avertie qu'on lui montrerait une vidéo et qu'elle serait invitée à la commenter. Elle pensait qu'il s'agirait du dernier point controversé de l'Américaine. Elle a été sidérée quand on lui a fait défiler, alors que les caméras tournaient, les images de son entraîneur qui la rudoyait.

Elle s'est sentie piégée. Jamais elle n'avait vu ces images avant. Jamais on ne l'avait avertie qu'on voulait en discuter. Jamais elle n'avait anticipé l'ampleur qu'allait prendre cette histoire.

Dugrenier a adopté une position défensive. Elle a pris parti pour Zilberman. «C'est un sport physique, ardu, et il devait me réveiller. Il a bien fait», a-t-elle répondu sur le coup. Son message n'a pas changé dans les jours qui ont suivi et il est le même quatre ans plus tard.

Le Comité olympique canadien a enquêté sur l'incident et a blanchi l'entraîneur. Mais les images passées en boucle au Canada ont eu leur effet. «Quand je suis revenue de Pékin, plus personne ne parlait de ma performance, de ma cinquième place, des matchs que j'avais livrés, mais tout le monde parlait de cet incident», se rappelle Dugrenier.

Alors qu'elle voulait parler de lutte - une fois aux quatre ans, peut-on la blâmer? -, on rabattait toujours les conversations vers «l'incident». «Ce n'était pas très plaisant. Ç'a fait en sorte que mon souvenir olympique n'était pas super bon après, déplore-t-elle. Le meilleur souvenir que j'ai, c'est la cérémonie d'ouverture. Le reste, c'est un peu noir.»

Toute la pression médiatique a créé un froid entre elle et son entraîneur. Ils ont dû avoir une bonne discussion. Puis elle n'était plus certaine de vouloir se rendre à Londres en 2012. Les Jeux olympiques venaient soudainement de perdre de leur lustre.

Parmi les favorites

Martine Dugrenier a finalement continué la lutte. Avant Pékin, elle avait manqué de justesse l'or aux Mondiaux à trois reprises. Elle avait terminé deuxième. Après 2008, elle a remporté l'or trois fois de suite aux Mondiaux. Ceux de 2011 lui ont échappé à cause de mauvaises performances. Mais nul doute qu'elle se rend à Londres encore une fois parmi les favorites. Peut-être plus encore qu'à Pékin.

Elle le sait et elle comprend mieux que quiconque l'importance de limiter les attentes. «Il y en a qui pensent que je suis favorite et que c'est dans la poche. Mais la réalité, c'est que les gens savent que je suis championne du monde, lâche-t-elle. Ils veulent me battre. Des fois, ils y vont même un peu plus fort parce que pour eux, je suis la personne à battre. Je dois être prête à tous les combats.»

Elle aura 33 ans à Londres. Il s'agit, selon toute vraisemblance, de sa dernière chance de médaille. Mais, médaille ou non, il s'agit surtout d'une chance en or de racheter l'épisode de Pékin, de vivre à fond l'expérience olympique et d'en garder un bon souvenir.

«L'incident a fait de l'ombre à mon parcours. Ç'a mal fini, les Jeux, pour moi. Ç'a fait en sorte que l'expérience olympique, je ne l'ai pas aimée autant que je le voulais, admet la lutteuse. Alors c'est certain que mon but était de retourner aux Jeux pour avoir une meilleure expérience. Là, j'ai enfin ma chance.»