Dans le métro menant à Holmenkol-len, dans les hauteurs d'Oslo, un vieux monsieur sort un bâton de klister et en astique vigoureusement la semelle de ses skis. En cette fin d'après-midi glacial, il est prêt pour sa sortie quotidienne. À moins de 20 minutes du centre-ville, un immense terrain de jeu l'attend: des dizaines et des dizaines de kilomètres de pistes de ski de fond.

Alex Harvey a souri quand on a lui rapporté l'anecdote, mercredi soir. Cet après-midi, ce sera à son tour de prendre d'assaut les pistes du Holmenkollen, théâtre, plus grand que nature, des 48es Championnats du monde de ski nordique, qui regroupent aussi les compétitions de saut à ski et de ski nordique.

«À partir d'ici, on pourrait skier jusqu'à Lillehammer», a dit Harvey à propos de la ville olympique de 1994, située quelque 200 kilomètres plus au nord.

Le soleil venait de se coucher quand il a reçu La Presse à son hôtel où logent aussi les Norvégiens et les Italiens. À l'extérieur, il devait faire -15°C. Pourtant, à quelques kilomètres de là, dans la forêt de Nordmarka, des fans ont déjà établi leur campement sur le bord des pistes. Ils font des feux de camp, ils inventent des chansons avec le nom des coureurs, ils boivent un coup.

Harvey et ses coéquipiers canadiens les ont aperçus à l'entraînement cette semaine. L'ambiance sera électrique. «C'est un tailgate party de football... sauf que ça dure deux semaines, dit le skieur de Saint-Ferréol-les-Neiges. C'est difficile de s'imaginer ça en tant que Québécois ou Canadien. Chez nous, c'est notre grand-mère qui fait du ski de fond!»

«Ses traces de ski!»

Alex Harvey n'a pas besoin de se l'imaginer. Holmenkollen est le lieu sacré du ski de fond. Comme Wimbledon pour le tennis. Son père Pierre y a disputé ses tout premiers Mondiaux en 1982. Six ans plus tard, dans le cadre du centenaire de la compétition, il est devenu le premier non-Européen à s'imposer au Holmenkollen.

«On dit souvent que je suis les traces de mon père, a souligné Alex. Là, je vais vraiment suivre ses traces de ski!»

En début de semaine, NRK, la télévision nationale norvégienne, a d'ailleurs tourné un reportage avec Alex sur la victoire de son père. Il n'avait encore jamais vu les images. Il a été impressionné.

«C'était différent à l'époque, a-t-il fait remarquer. C'était 2 heures et quart dans le bois et ils ne changeaient pas de skis comme aujourd'hui. En plus, c'était un départ individuel, pas un départ de masse comme pour les Mondiaux. C'est vraiment le plus fort qui gagnait.»

La semaine dernière, Pierre a envoyé un courriel à son fils. Ça disait essentiellement: Te rends-tu compte? «C'est mon histoire, c'est quelque chose ce qu'il s'en va faire là, a dit Pierre, dans un rare moment d'émotion, en entrevue téléphonique. En fait, je sais qu'il le réalise. Il sait ce que représente la Norvège en ski de fond. Mais ce sont les Mondiaux. C'est comme la Norvège au carré!»

À 22 ans, Alex Harvey s'attend à vivre les moments les plus exaltants de sa jeune carrière. «C'est probablement le plus gros événement de ski de fond que je vais vivre de ma vie, a-t-il dit. Aux Jeux olympiques de Vancouver, il y avait peut-être 7000 spectateurs par jour. Ici, on parle de plus de 100000.»

Cette perspective ne l'intimide pas. Au contraire: «Je suis un gars assez relax. J'utilise le stress à mon avantage.»

Il venait d'apprendre qu'il avait hérité du dossard 16 en vue des qualifications du sprint style libre de 1,7 km, épreuve d'ouverture de ces Mondiaux d'Oslo, la même qui a permis à Harvey de monter sur la deuxième marche du podium le week-end dernier à Drammen. Le Norvégien Petter Northug Jr., grand favori des championnats, s'élancera tout juste après. Lui, de la pression, il en aura.