L'homme qui se tient au seuil de la porte entrebâillée est mal à l'aise. «Non, c'est trop difficile, chuchote-t-il en fixant le sol. Je ne peux pas parler. Je suis sud-africain.»

Plus loin, deux femmes se figent lorsque nous les abordons. Leurs visages se ferment, leurs yeux fuient nos regards. Elles n'ont rien à dire.

«Ces gens sont zimbabwéens. On les reconnaît à leur accent. Mais ils ne l'avoueront jamais. Ils ont peur», explique Charles Mokomyama, le jeune homme qui me guide à travers un dédale de ruelles si étroites qu'il est parfois laborieux de s'y frayer un passage.

Il y a de quoi avoir peur. Nous sommes au coeur du township d'Alexandra, le «Ground Zero» des violences xénophobes de mai 2008. C'est dans ces ruelles pauvres et grouillantes que les premières attaques avaient éclaté avant de se propager aux autres townships et bidonvilles de l'Afrique du Sud. En un mois, 62 personnes avaient été tuées, 670 blessées et 100 000 immigrés avaient été forcés de prendre la fuite.

«Ç'a été une période terrible pour Alexandra, raconte M. Mokomyama. Les étrangers ont été chassés de leurs maisons. Plusieurs ont été traînés dans les rues, où ils ont été battus à mort ou brûlés vifs. Les jeunes avaient peur d'aller à l'école parce que, dans le chaos, il y a eu beaucoup de viols et de meurtres d'enfants.»

Tous les étrangers ont peur

Deux ans plus tard, ce douloureux souvenir revient hanter les millions d'immigrés africains installés au pays. La rumeur circule et enfle depuis des semaines: les attaques contre les étrangers reprendront après la Coupe du monde. Les townships et les bidonvilles seront «nettoyés» après la clôture du tournoi, demain.

Flavien Gagoum attend dans l'angoisse le dernier coup de sifflet. «Tous les étrangers en Afrique du Sud ont peur», soutient ce Camerounais installé depuis huit ans à Johannesburg. «Je peux vous promettre que, après la Coupe du monde, il y aura des attaques xénophobes. J'ai des amis qui ont reçu des tracts dans leur magasin. C'était écrit: "Assurez-vous de dégager après la Coupe."»

Anthony Owusu Nyamekye, enseignant originaire du Ghana, n'a pas le loisir de passer outre à cette menace. «C'est sérieux. Avec ce qui s'est passé en 2008, nous sommes très inquiets. Je suis prêt à partir. Mais si je dois fuir avec ma famille, je laisserai tout derrière moi. Je ne sais pas de quoi l'avenir sera fait.»

On estime qu'il y a entre 8 et 9 millions d'immigrés en Afrique du Sud, dont 3 millions de Zimbabwéens. La plupart ont franchi la frontière illégalement. «Beaucoup d'étrangers viennent de pays troublés ou en guerre, dit M. Nyamekye. Ils se sont réfugiés ici dans l'espoir de mener une vie paisible. Mais ils sont devenus une menace aux yeux de certains Sud-Africains pauvres.»

La situation est particulièrement explosive à Alexandra, le plus vieux township de Johannesburg, où s'entassent des centaines de milliers de personnes. En comparaison, Soweto nage dans la richesse. À Alexandra, la pénurie de logements est énorme. Des taudis se dressent sur les moindres bouts de terrain, jusque sur les trottoirs. On manque de place, d'emploi, d'espoir. Il a suffi d'une étincelle, en mai 2008, pour que tout s'enflamme.

Discours xénophobes

Ceux qui avaient fourni l'allumette étaient des criminels liés à de petites mafias de quartier qui luttent pour le contrôle du territoire. «C'est vrai, mais les criminels n'auraient jamais pu rallier les gens avec leurs discours xénophobes s'il n'y avait pas eu autant de mécontentement dans la population», dit Maurice Smithers, qui a organisé le tout premier Festival africain de Johannesburg, le mois dernier, dans l'espoir de lutter contre la xénophobie.

M. Smithers est l'un des derniers Sud-Africains blancs à habiter Yoville, au centre de la métropole. Il y a 20 ans, c'était un quartier juif. Aujourd'hui, c'est la Petite Afrique. La rue principale, Raleigh, fourmille de gens venus des quatre coins du continent. «La plupart des entreprises appartiennent à des étrangers. Mon inquiétude, s'il y a un soulèvement, c'est que Yoville parte en flammes. C'est ce qui arrive lorsqu'il y a des émeutes raciales ailleurs dans le monde. Ça ne prendrait pas grand-chose pour que ça se produise ici - juste la mauvaise personne pour allumer l'incendie.»

Pour calmer les inquiétudes, le gouvernement a promis de sévir contre ceux qui seraient tentés de perpétrer des attaques contre les étrangers après la Coupe du monde. L'Afrique du Sud n'est pas une «république de bananes» et ne permettra à personne de perpétrer des violences xénophobes, a affirmé la semaine dernière Fikile Mbalula, adjoint au ministre de la Police.

Flavien Gagoum n'est pas rassuré. Comme plusieurs immigrés, il juge que les autorités n'en font pas assez pour prévenir une nouvelle flambée de violence. Des 1400 suspects arrêtés pendant les émeutes de 2008, une dizaine seulement ont été condamnés. «Les autres ont été libérés sous prétexte qu'il n'y avait pas assez de preuves contre eux. C'est normal: leurs victimes sont mortes brûlées! Ou alors, elles refusent de dénoncer par crainte de retrouver leur famille morte à la maison. Résultat, les tueurs sont là, dehors, à distribuer des tracts et à répandre des rumeurs...»