Qu’ont en commun Samuel Eto’o, la guerre en Ukraine, le FC Barcelone et le CS Longueuil ? Ils ont tous forgé le fabuleux destin d’Armand Ella Ken.

Le Camerounais de 30 ans porte aujourd’hui les couleurs du CS Longueuil en Ligue 1 Québec – anciennement appelée la PLSQ –, le championnat le plus relevé de la province. Or, avant qu’il y aboutisse, le parcours a été sinueux, c’est le moins que l’on puisse dire.

Une rencontre fortuite mène à la Masia

C’est à 12 ans que le récit footballistique d’Ella Ken prend ses racines. Tout débute par hasard.

Tandis qu’il accompagne sa mère à l’aéroport, le garçon aperçoit quelques bougres de son âge dans des uniformes sportifs qui partent vers l’Espagne. Tandis qu’il retourne chez lui, il reçoit un appel de sa mère.

« Tu ne sais pas qui j’ai rencontré ? lui dit-elle. Samuel Eto’o ! »

Oui, le légendaire Samuel Eto’o. Il aura suffi d’une discussion avec l’un des plus prolifiques attaquants du soccer professionnel pour que sa mère lui décroche un essai, dès que la délégation de la fondation d’Eto’o sera de retour d’Espagne.

Par contre, « ce sera ta dernière chance », avertit sa mère, qui ne veut pas voir son fils saborder ses études.

Armand Ella Ken arrive à cette audition gonflé à bloc. C’est un succès sur toute la ligne. La journée même, le sélectionneur informe la mère qu’il pourra se joindre à la fondation. Deux mois plus tard, la fondation retourne jouer un tournoi en Espagne, où elle s’incline en finale contre la Masia.

Ella Ken fait impression. Il devient l’un des six joueurs de la fondation à rejoindre l’académie du FC Barcelone, la réputée Masia. Donc, à 12 ans, il s’envole pour la capitale du beau jeu.

« Je ne connaissais pas la langue, connaissais personne, bref, ça forge un caractère. Ça m’a inculqué une mentalité de fer », se rappelle-t-il.

Le rêve catalan, puis l’évènement

Quand il revient sur ses six années à la Masia, la joie et la fierté d’Ella Ken s’entendent jusqu’à l’autre bout du combiné. « J’ai côtoyé les meilleurs joueurs comme Dani Alves et Éric Abidal. J’ai fait des entraînements avec l’équipe première de [Pep] Guardiola », note-t-il.

Ce sont des gens top ! Ça reste une expérience inoubliable.

Armand Ella Ken, à propos des membres du FC Barcelone

Une tuile tombe toutefois sur la tête d’Ella Ken au moment où sa carrière a le vent dans les voiles. Alors en sélection nationale avec les moins de 20 ans, il subit une « grosse blessure » après la Coupe d’Afrique. Résultat ?

« J’ai eu un pied à moitié paralysé pendant 11 mois. Aucune sensation, rien », explique-t-il.

Quand il revient au jeu, après un an sans match officiel, il n’est plus au niveau. Il retourne au Cameroun, où il finit par recevoir une offre de Karpaty, un club de première division ukrainienne.

Certains ont tôt fait de lui rappeler la différence de prestige entre les deux clubs.

« Des agents sont venus me voir par après pour me dire “pourquoi as-tu choisi ce club”, etc. », explique celui qui évoluait jusqu’alors comme ailier. « J’ai été plus d’un an sans club et vous ne m’avez pas appelé. Personne ne m’a dit : “Oui, j’ai un club pour toi”. Personne.

« Après plus d’un an sans jouer, tout ce que je voulais, c’était retrouver les terrains. Ça m’importait peu, la destination, je voulais retrouver le plaisir de jouer. J’ai pris cette décision que j’assume pleinement. Peut-être que ce n’était pas la meilleure, mais peut-être que c’était la meilleure… »

Le globe-trotter

Ainsi, à 19 ans, le parcours professionnel d’Ella Ken s’entame et le mènera un peu partout dans le monde. Il ira aussi en Hongrie, en Pologne, en Afrique du Sud et en Ouzbékistan, avant de retourner en Ukraine… puis d’aboutir au Canada.

En fait, la décision de quitter l’Ukraine s’est imposée d’elle-même.

Le lendemain de son anniversaire, le 24 février, la Russie pénètre les frontières du pays et force son départ. Trois jours plus tard, Ella Ken et son fils laissent tout derrière ; la voiture, les biens matériels, la maison.

« Je ne savais pas de quoi demain était fait », se remémore-t-il.

Alors, avec comme objectif d’offrir un avenir stable et surtout sécuritaire à son fils, il décide de venir au Québec. Il passera un court moment en France, le temps de remplir les formulaires nécessaires, puis se dirigera vers la métropole.

Au Canada pour de bon

Une fois au Québec, Armand Ella Ken commence sa recherche d’un nouveau club. En fouillant sur l’internet, il découvre le CS Longueuil et lui écrit. Après quelques séances d’entraînement, une union est formée.

Il sait toutefois que de rejoindre un club de niveau semi-professionnel au Québec vient mettre sur pause sa carrière professionnelle. Peu importe, c’est la famille qui a gagné.

PHOTO MOHAMMED TAHA, CS LONGUEUIL

Armand Ella Ken (à gauche)

« J’ai fait une carrière que Dieu aurait voulu que je fasse. Avec toutes les blessures et tout ce parcours. Aujourd’hui, je me concentre sur autre chose. La carrière pourrait recommencer demain, même si j’en doute fort. Mais je me fais toujours plaisir en jouant au foot.

« J’ai privilégié la stabilité plus qu’autre chose. Je veux voir mon fils grandir dans un environnement beaucoup plus sain. C’est mon choix. Je planifie de rester au Canada à long terme. Si, un jour, je vais en Première Ligue canadienne, on verra. Mais ma priorité est de voir mon fils prendre plaisir. »