(Laval, QC) Et puis, les vacances ? Pour sept jeunes arbitres, ça s’est passé sur un terrain de soccer. À Göteborg. En Suède.

Le travail d’arbitre n’a pas nécessairement bonne presse par les temps qui courent, mais l’histoire des Lavallois Hamza Achkor, Rydha Ait Seddik, Abdeljalil Benhmade, Yassine Ben Khelifa, Phillipe Lopez-Fiset, William Mavua et Emerik Tessier montre qu’au-delà des histoires parfois troublantes qui circulent, le travail d’officiel peut mener à des expériences de vie uniques.

Pour eux, cette expérience, c’était la Gothia Cup, un des plus importants tournois de soccer mineur au monde. À la mi-juillet, nos sept comparses sont partis vers le pays de Yaki-Da pour six jours de matchs de foot. Ils en ont arbitré une vingtaine dans la semaine, à hauteur de quatre par jour.

Ils n’étaient pas rémunérés, mais logés et nourris, « avec une passe de transport en commun pour la semaine », précise Emerik Tessier. Leur seule dépense était donc leur billet d’avion. Les sept en ont profité pour étirer le voyage, à Malmö et à Copenhague, au Danemark. L’un des sept, Hamza Achkor, est ensuite passé par le Maroc, tant qu’à être du bon côté de l’Atlantique.

PHOTO FOURNIE PAR PHILLIPE LOPEZ=FISET

Le septuor d’arbitres à Göteborg, en Suède

Ce qui les attendait, c’était un immense melting-pot culturel. Les équipes provenaient de 69 pays et les arbitres, de 16 pays. Ils ont fait équipe avec « un Croate, un Autrichien, un Suisse », énumèrent-ils.

« On a pu arbitrer des matchs d’équipes qui parlent d’autres langues. Il fallait trouver d’autres méthodes de communication à adopter avec des gens d’autres pays. Ça, on va ramener ça dans notre bagage », souligne Yassine Ben Khelifa.

« Les joueurs étaient surpris, ils ne s’attendent pas à ce que je parle espagnol avec mon drapeau du Canada, ajoute Phillipe Lopez-Fiset. Mais si c’est une équipe espagnole contre une équipe allemande, tu dois faire attention pour que les Allemands ne commencent pas à se demander de quoi tu parles ! »

Nos sept Lavallois ont arbitré des matchs de plus petite envergure, à « 300 ou 400 spectateurs », précisent-ils. Ce qui demeure tout de même gros comparativement à ce qu’ils vivent au cours de l’été au Québec. Mais le tournoi est un évènement majeur en Suède et s’amorce par une cérémonie d’ouverture au stade Ullevi, le plus gros au pays, devant quelque 50 000 spectateurs.

« Comme aux Jeux olympiques, chaque délégation est présentée, illustre Emerik Tessier. Il y avait même une partie de spectacle pour les arbitres, ils ont fait une chorégraphie et ont sélectionné un arbitre japonais pour faire un discours et dire aux gens qu’ils s’attendaient à un tournoi dans le respect.

« Quand tu fais des matchs ici au Québec, au Canada, les arbitres sont vus comme les ennemis. Là, sur le terrain, les joueurs vont critiquer l’arbitre, c’est normal. Mais hors du terrain, tout le monde était comme une famille. Après les cérémonies d’ouverture, on a fait des chants avec des joueurs, des familles. Tout le monde était là pour l’amour du foot. Il y avait un côté beau. On faisait partie de la famille du foot. »

Temps durs

Ce thème de la relation avec les arbitres est un peu inévitable pendant la rencontre avec les six jeunes hommes (Hamza Achkor était au Maroc au moment de l’entrevue).

Thème inévitable parce que le métier d’arbitre se retrouve dans l’actualité pour les mauvaises raisons. Du hockey au soccer, en passant par le baseball, le problème du recrutement revient constamment.

Emerik Tessier n’a que 23 ans, mais après six ans dans son rôle de coordonnateur à l’arbitrage de l’AS Laval, il commence à connaître le milieu. La consœur du Journal de Montréal Mylène Richard a publié un dossier étoffé relatant plusieurs histoires pas chics survenues à des officiels. Tessier le confirme : ce n’est pas de l’exagération. « On n’est pas les seuls à lire l’actualité. Les parents aussi la lisent », rappelle-t-il.

« Moi, je n’ai jamais été assez à l’aise pour dire à un parent : ben non, c’est sécuritaire pour votre enfant. Je ne pourrai jamais assurer à un parent que son enfant ne sera jamais insulté ou menacé par un entraîneur. Mais j’essaie de leur montrer qu’on a des mentors, des évaluateurs sur le terrain. Un parent est venu nous voir et a dit : « Je suis content de voir qu’ils ont du soutien à Laval. Quand mon jeune a commencé, j’assistais à tous ses matchs, parce que j’avais peur qu’il arrive quelque chose. Là, je vois qu’ils sont encadrés, qu’ils ont du soutien. » »

Alors non, notre sextuor ne tente pas d’embellir le portrait. « Nous, on a de l’expérience, on a une carapace », poursuit Emerik Tessier.

C’est dans les premières années que les arbitres vont abandonner. Ce sont souvent de jeunes arbitres de 14, 15, 16 ans qui sont exposés à des parents qui causent des problèmes. Ce sont ces années-là qui sont dures. Une fois qu’elles sont passées, qu’on a fait notre carapace, on le prend comme de l’essence. Les spectateurs crient, ça ajoute de l’adrénaline.

Emerik Tessier

Et ça, ils en ont eu amplement. « Ça fait revivre un peu le foot. Ici, les gens le prennent plus comme un loisir, parce que ce n’est pas le premier sport. Là-bas, tu sens la passion dans les gradins, et ça te donne encore plus envie d’arbitrer », estime Rydha Ait Seddik.

« Personnellement, je cherchais l’intensité qu’on ne retrouve pas ici, je cherchais un jeu plus établi, où on pouvait développer notre arbitrage, raconte Abdeljalil Benhmade. Je n’ai pas été déçu. On a eu des matchs à haute intensité. Tu vois que les joueurs veulent jouer au foot, et nous, on veut arbitrer. On fait ça parce qu’on aime ça. Ça fait comme une fusion entre les deux. Les joueurs étaient contents à la fin. Ça donne envie d’y retourner. »

Les six jeunes adultes entendent justement remettre ça. Ils ont été recrutés par Referee Abroad, un organisme sans but lucratif qui était responsable de dénicher les arbitres dits internationaux pour ce tournoi. « Un responsable est venu nous voir à la fin du tournoi, le dernier soir. Il était satisfait de notre professionnalisme. Il nous a dit : « Si vous êtes intéressés, contactez-moi. » »

On devine que ce sera fait.

C’est quoi, la Gothia Cup ?

La Gothia Cup, c’est du costaud. Selon le site internet de l’évènement, 1878 équipes provenant de 69 pays y ont participé cette année, dans ce qui est considéré comme le plus grand tournoi de soccer mineur au monde. En tout, 107 terrains ont été sollicités pour les 4771 matchs disputés. « Une semaine de rêve », dirait notre confrère Richard Labbé, un aficionado de foot. Organisée depuis 1975, la compétition a accueilli quelques-uns des futurs titans du ballon, notamment Zlatan Ibrahimovic et Xabi Alonso. Le Canada comptait huit clubs dans cette édition 2023, dont deux du Québec : l’AS Laval, dans le U-16 féminin, et l’académie Valencia CF, dans le U-18 masculin. Les Lavalloises ont atteint la finale, où elles se sont inclinées 2-1 devant le SV Eutingen, un club allemand, tandis que le Valencia CF a perdu en seizièmes de finale.

Pourquoi devenir arbitre ?

Nos six intervenants ont tous joué au soccer avant de passer à l’arbitrage. Nous leur avons demandé ce qui les pousse et les retient dans ce milieu.

J’ai découvert l’arbitrage à 14, 15 ans. J’envisage de continuer toute ma vie, même si je ne monte pas au plus haut niveau. Je fais ça parce que j’aime ça. Mais comme les autres, j’espère aller au plus haut niveau.

Abdeljalil Benhmade

J’ai eu la chance de jouer au niveau élite, considéré comme le AAA. J’ai arrêté de jouer l’an dernier pour arbitrer, tellement j’aime ça. Je ne joue plus, mais en arbitrant, ça me permet de rester au plus haut niveau.

Phillipe Lopez-Fiset

L’arbitrage m’aide partout dans la vie : les relations interpersonnelles, le caractère, l’objectivité, gérer des situations problématiques. Je veux le faire le plus longtemps possible, jusqu’à ce qu’on soit incapable, à 80 ans !

Emerik Tessier

Je jouais jusqu’à 14 ans, j’ai arrêté et mon père m’a inscrit comme arbitre. J’ai toujours voulu rester connecté au foot. À Laval, les arbitres sont devenus mes amis, ça m’a aidé à progresser et à me forger un caractère.

William Mavua

On dit toujours qu’il y a trois équipes : les deux qui jouent et les arbitres. Dès que je suis rentré dans l’équipe des arbitres, j’ai trouvé ma place, ma passion. On se comprend entre nous et ça permet de créer un esprit de famille.

Yassine Ben Khelifa

J’ai été joueur quelques années et j’ai trouvé une autre option pour être proche du sport. En grandissant, tu te fais des amis. On est partis en Suède pas juste entre arbitres, mais entre amis.

Rydha Ait Seddik