Le désir y était, mais le cœur et la tête ont lâché avant la mi-parcours. Perturbée depuis deux semaines par son sort incertain en vue de la saison prochaine, Marie-Michèle Gagnon a été reléguée au 21e rang sur 27 partantes à la descente des finales de la Coupe du monde de Courchevel, mercredi.

« J’essayais de passer au travers, de me dire : ce n’est pas grave, je suis capable de faire les courses, mais mentalement, j’étais vraiment à plat, a confié la skieuse de Lac-Etchemin. Ça m’a pris beaucoup d’énergie mentale et émotionnelle. C’était vraiment difficile de ne pas savoir ce qui va se passer dans le futur. »

À la veille du super-G de Lenzerheide, le 5 mars, Gagnon a compris avec stupéfaction qu’elle ne figurait pas dans les plans de l’équipe canadienne en vue de la saison prochaine. La direction de Canada Alpin assure qu’aucune décision n’est prise (voir encadré).

Atterrée, incapable de dormir cette nuit-là, l’athlète de 32 ans n’a pas terminé l’épreuve suisse. Elle a donc raté par un point une participation à la course prévue ce jeudi à Courchevel, réservée aux 25 meilleures de la saison.

La Québécoise n’a pas apprécié la façon dont l’information lui a été transmise de vive voix par le directeur de la haute performance, Phil McNichol.

C’était très direct, sans beaucoup d’empathie, ce n’était pas une belle interaction. Ça m’a fait sentir comme si les résultats que j’ai [obtenus] cette année, c’était de la m…

Marie-Michèle Gagnon

Gagnon ne comprend pas non plus pourquoi on lui a fait cette annonce alors qu’il reste encore deux Coupes du monde à disputer.

« Le timing n’était vraiment pas professionnel, selon moi. Ce n’était vraiment pas idéal. Ça m’a beaucoup affectée, choquée et surprise. Mentalement, je suis complètement à plat. Je suis bien partie [7e au premier intermédiaire] parce que je suis une battante, mais à partir du milieu, je faisais juste descendre le parcours. Je n’étais pas capable [de faire plus]. »

« Tout le monde était abasourdi »

Déçue par le contexte, Gagnon n’en veut pas à McNichol, un Américain entré en poste à l’hiver 2020. À l’époque, elle avait aussi eu à se battre pour conserver une petite structure de vitesse adaptée à ses besoins personnels.

Au Canada, le financement fédéral du sport de haut niveau, recommandé par l’agence À nous le podium, est fortement lié aux résultats aux Jeux olympiques. Gagnon a déjà annoncé que ceux de Pékin, où elle a pris le huitième rang en descente, soit le meilleur classement féminin en Chine, seraient ses derniers.

« Dans ce sens-là, ce n’est pas complètement la faute de Phil, a-t-elle reconnu. Le sport canadien est vraiment rattaché aux Jeux olympiques. En ski alpin, pour les autres pays, les Jeux olympiques, ce n’est qu’une course parmi d’autres. Oui, c’est un rêve de bien y faire, mais il y a aussi les Championnats du monde, les globes de chaque discipline, toutes des choses qui sont mieux vues dans notre sport qu’une médaille olympique. »

L’unique Canadienne qui évolue à temps plein dans les épreuves de vitesse (super-G et descente) se désole néanmoins de recevoir ce message alors qu’elle a rempli le critère de qualification pour l’équipe l’hiver prochain. Une athlète de son âge devait en effet se classer parmi les 15 premières de la liste de départ de Coupe du monde dans une discipline, ce qu’elle a réussi de justesse en descente. Plusieurs coéquipiers de sa génération seraient dans une mauvaise posture en vertu de ce critère renforcé depuis 2021.

Dans d’autres pays, elle ferait partie de l’équipe nationale de plein droit, a fait remarquer Gagnon.

« J’ai parlé à des gens dans le monde du ski, à des coachs étrangers et tout le monde était abasourdi. Personne ne comprenait. Ça n’a aucun sens. Dans l’équipe suisse, avec qui on s’entraîne, tu es nommée dans l’équipe nationale et tu reçois une auto quand tu es dans le top 15. »

PHOTO LUCA BRUNO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Marie-Michèle Gagnon

Son entraîneur depuis deux ans, Hansjörg Plankensteiner, déplore la situation. En voyant sa protégée au bord des larmes durant la séance vidéo de la veille, il a réalisé qu’il serait « impossible » pour elle d’obtenir un bon résultat.

« Elle était complètement démolie, a témoigné l’Italien. C’était trop lourd à porter. C’est fou d’avoir fait ça. Je ne comprends pas Phil d’avoir dit ça avant la fin de la saison.

« Je sais qu’on n’a pas eu de podium. Il y a eu beaucoup d’erreurs coûteuses. Mais elle a été très malade à son retour des Fêtes et ça nous a coûté beaucoup de bon entraînement. Au bout du compte, six top 10 cette saison, ce n’est pas si mal pour Canada Alpin. »

« Je ne finirai pas comme ça »

Ancienne spécialiste du slalom, la triple athlète olympique est persuadée qu’elle est sur le point d’émerger en vitesse. Elle en veut pour preuve ses performances à l’entraînement.

« Là, c’est le temps de le faire en course de plus en plus. En descente, ça s’est quand même très bien passé, à part à Cortina [28e], où j’ai eu de la misère avec l’ajustement de mes bottes. Ma meilleure performance est une cinquième place. Je suis souvent proche du podium. J’ai fini trois ou quatre fois à 20 ou 30 centièmes du podium. Du côté du super-G, je n’ai pas trouvé cette constance cette année [26e au classement final en 2022, 11e en 2021]. »

Gagnon refuse de lâcher le morceau. Elle dit avoir reçu un courriel d’excuses de McNichol. Il lui a précisé que les plans définitifs ne seraient pas établis avant la fin d’avril. « Je ne connais pas ses intentions. En même temps, c’est arrivé et, malheureusement, ça m’a détruite. »

Elle se dit sûre « à 100 % » de rechausser les skis la saison prochaine, que ce soit avec l’équipe canadienne, dans une structure privée ou en collaboration avec un autre pays. Selon Plankensteiner, son équipementier Head serait prêt à la soutenir.

« Je ne finirai pas comme ça, a-t-elle assuré. Je ne laisserai pas la décision d’une autre personne dicter la fin de ma carrière. Il faut que ça vienne de moi. Pas parce que j’ai une tête de cochon, mais parce que je sais que j’ai le potentiel, que je m’améliore beaucoup en vitesse et que j’ai de très bonnes chances de passer à un autre niveau l’an prochain. »

Un programme à « rebâtir »

« Très surprise » des propos de Marie-Michèle Gagnon, la présidente de Canada Alpin, Thérèse Brisson, soutient que l’organisation est encore en train d’évaluer les programmes actuels. Une chose est claire : celui de la vitesse féminine, uniquement articulé autour de la Québécoise depuis deux ans, est à « rebâtir ».

Elle a défendu son directeur de la haute performance, Phil McNichol. « Phil et moi nous parlons tout le temps. Je serais très surprise que ce soit ce qui s’est dit. Elle a peut-être entendu qu’il n’y aurait pas de programme comme celui de cette année, mais on doit rebâtir le programme de vitesse [féminin]. On en a parlé. Des vétérans peuvent ne pas souhaiter faire partie d’une reconstruction. Mais c’est la réalité. On sait qu’on doit rebâtir notre programme et obtenir du succès, mais ça prendra un certain temps avant d’obtenir des réponses. »

Vantant les qualités de Gagnon, « une personne et une athlète fantastique », Brisson a assuré qu’elle ne serait pas pénalisée par sa décision de ne pas skier pendant tout le prochain cycle olympique. Les Championnats du monde qui seront disputés à Courchevel et Méribel l’an prochain sont aussi de la plus haute importance.

« C’est peut-être vrai qu’un programme n’est pas optimisé pour une athlète qui veut skier une autre année. Ça peut être un souci majeur. On a des objectifs et des priorités. L’échéancier que quelqu’un souhaite voir mis en place n’est pas ce qui détermine sa présence dans l’équipe ou non. Satisfais-tu aux critères ? Contribues-tu de façon positive ? Partages-tu les objectifs ? Ce sont là les choses importantes. »